Lundi 25 juin :
Oceanside
Il est temps de quitter notre
spot de la Sequoia National Forest. Mais on y est tellement bien que l’on a
vraiment du mal à lever le camp. Seul l’appel des vagues de Baja nous décide à
bouger. Sans lui, on y serait facilement resté une ou deux semaines… On reprend
donc la route en sens inverse et on descend pour la dernière fois les versants
de la Sierra Nevada. La forêt s’efface pour laisser la place à une végétation
rase et sèche. Puis, on se retrouve de nouveau dans les grandes plaines
agricoles de Californie, ces immenses cultures bloquées entre montagnes et
océan. La route traverse de gigantesques exploitations d’arbres fruitiers dont
les champs s’étendent à perte de vue. La production est aux mains de géants de
l’alimentation qui étalent en grand le nom de leur groupe sur des hangars
démesurés. On est bien loin des petites fermes familiales que l’on croisait
dans le Nevada. On appréhende un peu la traversée de ces grandes plaines. A
l’aller, la température avait frôlé les quarante degrés, et après la fraicheur
des montagnes on ne tient pas spécialement à retrouver la canicule… Mais les
heures passent et le mercure ne s’envole pas. On roule donc tranquillement en
regardant défiler les rangées d’orangers.
Toutefois, la journée ne
s’annonce pas vraiment trépidante. L’objectif est de rouler au maximum pour se
rapprocher le plus possible de San Diego. On réduit donc les pauses et avalons
les kilomètres. On traverse même Los Angeles sans s’y arrêter. D’une part, on
n’a pas vraiment le temps, et d’autre part, la mégalopole est tellement
tentaculaire que s’y engouffrer au hasard avec un camping-car nous rebute. De
plus, l’Interstate de contournement que nous empruntons est une deux fois huit
voies dont la taille nous laisse facilement imaginer l’importance du trafic et
les embouteillages que l’on doit y rencontrer aux heures de pointe. Mais comme pour
l’instant la circulation est fluide, on préfère ne pas s’attarder et en
profiter pour filer vers le Sud. Tant pis pour les stars de cinéma, les nanas
en bikini et les grands palmiers californiens ; l’appel de la Baja est plus
fort que ça.
Après une grosse journée de
route, nous ne sommes plus qu’à une heure de San Diego, et notre objectif, qui
était de se rapprocher le plus possible de la frontière, est atteint. Mais San
Diego est une grande ville dans laquelle on a peur de galérer avec notre gros
bahut. On préfère donc s’arrêter juste avant dans la ville d’Oceanside pour passer
la nuit et faire le lendemain nos préparatifs pré-Baja. Nous ne savons pas
exactement ce que nous allons trouver là-bas. Tout ce que l’on sait, c’est que
le spot est au milieu de nulle part, à une soixantaine de kilomètres de piste
du premier village, et que l’on n’y trouve absolument rien. Il faut donc
prévoir d’y être autonome, en eau et en nourriture, pour ne pas avoir à faire
des allers retours sur la piste si celle-ci s’avère en mauvais état. Et comme
nous avons prévu d’y rester un bon mois, il faut faire de grosses provisions. Il
faut également faire une lessive pour avoir un max de fringues de rechange, et
profiter d’internet pour tout régler avant un mois de black-out. On repère donc
un WalMart et son inséparable acolyte, Mac Do, et on s’apprête, dans une bonne
odeur de frites, et comme à notre habitude dans les zones urbaines, à squatter
parking et connexion wifi. Sauf que là, nous sommes en Californie, et qu’ici
les choses ne sont pas comme ailleurs. Les Walmarts n’y sont pas RVs friendly
et au bout d’une demi-heure à peine, le gardien du parking vient nous demander
gentiment, mais fermement, de dégager. Il affirme qu’un peu plus loin se trouve
un autre Walmart qui autorise les stationnements pour la nuit. Il est déjà tard
et après notre longue journée de route on aurait aimé se poser un peu, mais on
n’a pas le choix, il faut déplacer notre maison. On part donc vers le second
Walmart, dont on se fait également et assez rapidement éjecter. Trois Walmarts
et trois gardiens plus tard, on ne sait toujours pas où l’on va passer la nuit.
Epuisé, on finit par trouver un bout de parking qui ne semble pas surveillé entre
un fast-food fermé et une station-service. Après le squat de la veille dans la
forêt des Sequoias, l’environnement laisse à désirer. Mais comme cette fois aucun
gardien ne surgit de la nuit pour nous faire déguerpir, on peut enfin se
coucher. Il est deux heures du matin et on a passé la soirée à se faire virer.
Au vue de l’accueil que nous font les californiens, il faudra vraiment boucler
nos préparatifs dans la journée pour filer au plus vite et ne pas avoir à
repasser une nuit ici.
Mardi 26 juin : San Diego
La journée qui s’annonce est donc
une journée corvée mais elle doit se terminer par une bonne soirée. On doit
retrouver Sam, un pote de Nice fou de surf et de planche, qui est installé
depuis trois ans à San Diego. Taïna, sa copine, avait prévu avec ses collègues
de l’école française un barbecue sur la plage pour fêter le début des vacances.
Ça tombe super bien et ça nous donnera l’occasion de parler un peu français. Le
programme est de les retrouver là-bas en fin de journée. C’est une bonne
nouvelle, mais du coup il faut s’activer pour être à l’heure. Et ça commence
mal… Il y a aux Etats-Unis et au Mexique une maladie que peuvent attraper les
chiens, les « vers du cœur », contre laquelle il existe un
médicament que l’on doit donner à titre préventif une fois par mois. Il s’agit
juste d’un petit comprimé mais il nous en manque trois pour finir le périple.
Ils sont habituellement vendus à l’unité dans toutes les pharmacies d’un peu
partout… sauf aux Etats-Unis, et nous ne le savions pas. Au pays du roi
business, ce médicament tout bête n’est vendu que sur ordonnance et après
examen médical, prise de sang et tout le tra la la. Le tout facturé plus de 150
$, pour un cachet qui vaut normalement 5€. On perd donc un temps fou à trouver
un véto compatissant, et surtout moins regardant, mais malgré tous nos efforts
de persuasion, nous n’arriverons à corrompre personne. La loi c’est la loi, et
ici ça se respecte. Du coup, impossible d’obtenir le médoc. On a alors l’idée
de se tourner vers les pharmacies que l’on devrait croiser sur la route lorsque
nous serons au Mexique. La législation n’y est peut-être pas la même, et la
population, dans tous les cas, y est certainement moins tatillonne. Après avoir
perdu encore beaucoup de temps à chercher une pharmacie dans une région qui
apparemment n’en possède pas, on finit par en dénicher une qui a le médicament,
accepte de le vendre et nous le met de côté. Ouf ! On va peut-être pouvoir
s’attaquer à tout ce qui nous reste à faire, c’est-à-dire lessive, courses et
internet. Heureusement, nous sommes garés prêt d’un Mac Do, d’un supermarché et
d’une laverie. On devrait donc arriver à boucler tout ça sans trop galérer.
Nous n’avons pas fini de nous réjouir de ce constat que quelqu’un tape à la porte
du camion. C’est à nouveau un gardien, que la vue de notre camion attire
décidemment irrémédiablement, qui vient encore nous déloger. Il n’est
apparemment pas autorisé de stationner plus de deux heures. Recommence alors la
valse des parkings et le jeu du chat et de la souris avec les gardiens.
Pour accélérer la cadence, Laetitia
part faire les courses au pas de… course, justement, pendant que je mets à jour
le blog, règle quelques détails pour le cargo et prend une assurance pour le
camion pour la Baja. Nous n’aurons plus d’accès internet pendant plusieurs
semaines, alors il faut que tout soit calé. J’ai entre temps Sam au téléphone
qui m’annonce que pour l’occasion il a pu se libérer plus tôt de son travail et
qu’ils seront à 6 h 30 sur la plage. Ouah, ça va être juste. Je boucle internet,
et rejoins Laetitia et ses deux caddies déjà bien remplis. A la fin des courses,
il est déjà plus de 6 heures et demie… On a encore une heure de route, plus une
goutte d’essence, et tout à ranger… On balance tout dans le camion et on se
speed à fond pour arriver finalement à 20 heures sur la plage de Crown Point où
l’on retrouve Sam et Taïna et toute leur troupe. Ouf ! Encore une bonne
journée marathon à la fin de laquelle on se dit à nouveau que l’on a décidément
pas fait simple avec ce trip ! Mais elle n’est pas finie… Le programme est
de passer la soirée sur la plage puis, comme on n’a pas eu le temps de remplir
nos réserves d’eau, d’aller en faire le plein dans une station-service, et
enfin d’aller dormir le plus près possible de la frontière. Avec ce que nous
entendons du Mexique, on n’a pas trop envie de trainer sur la route et
aimerions boucler rapidement le trajet jusqu’au spot.
On a en effet, tout au long de
notre périple, entendu pas mal de choses effrayantes sur ce pays, au point que
l’on se demande si c’est une bonne idée de maintenir cette option. De manière
générale, pour les américains, il est extrêmement dangereux de s’y rendre. La
toile n’est pas plus optimiste avec des messages vraiment alarmants aux voyageurs
du style « n’y allez que si vous n’avez pas le choix ». On y parle
beaucoup d’embuscades sur les routes, d’enlèvements, et de recrudescence de la
violence due aux cartels de la drogue. Ces derniers n’hésitent apparemment pas
à régler leurs comptes à coup de pistolets, en public et dans les rues, au
détriment des passants qui se trouvent malencontreusement au milieu. En
revanche, les mexicains et certains touristes que nous avons rencontrés se sont
montrés plus rassurants, en assurant que la Baja n’était pas touchée par les
troubles qui agitent le reste du pays. Ils nous ont affirmé qu’il était
possible d’y aller, à la condition toutefois de ne pas s’attarder dans la zone
frontalière, dans les villes, et surtout à Tijuana, et de ne pas rouler de nuit.
On a donc décidé de maintenir notre périple au Mexique, mais pour ne prendre
aucun risque, on projette de boucler le trajet jusqu’au spot dans la journée.
De la frontière jusqu’à Punta San Carlos, il y a un peu plus de quatre cents
kilomètres de goudron jusqu’au village Del Rosario, puis une piste d’une
soixantaine de kilomètres jusqu’au spot. Nous se savons pas du tout dans quel
état elle se trouve, et ne pouvons donc pas évaluer le temps que l’on va mettre
à la parcourir. Pour prévoir un maximum de marge, on se fixe donc un départ à
cinq heures du matin.
Mais en attendant, on passe un
bon moment avec nos deux frenchies que l’on est super content de revoir, même si
ce n’est que pour une soirée. On en profite pour en apprendre plus sur leur vie
américaine. San Diego est considérée comme l’une des villes les plus agréables
des Etats Unis. Le climat y est doux toute l’année et les gens moins stressés qu’ailleurs.
Et surtout il y a, pour Sam, trois cents jours de surf par an ! On n’est
donc pas prêt de le revoir en France… Il nous rassure aussi sur la Baja. Il y est
allé quinze jours auparavant pour surfer et n’y a rencontré aucun problème. Taïna
nous explique un peu le fonctionnement de son école privée française. Comme points
positifs, elle touche un salaire plus important qu’en France et a beaucoup
moins d’élèves par classe. En revanche, école privée oblige, elle n’a plus la
sécurité d’emploi des fonctionnaires et son contrat doit être renouvelé tous les
ans. Elle peut se faire virer à tout moment et doit donc veiller à être en bon
terme avec parents et directeur. Ce qui n’est pas facile au pays des procès à
outrance et où un instit n’a pas le droit de toucher ni de hausser la voix sur
un élève !
On les quitte avec regret vers 23
heures. On aurait pu rester un peu plus à San Diego, mais on a vu qu’il n’était
pas très facile d’y squatter… Et dans tous les cas, Taïna part en France pour
les vacances et Sam bosse. On donne rendez-vous à ce dernier pour la semaine
suivante à Punta San Carlos. Ça fait des années qu’on parle de s’y retrouver et
on a tous hâte d’y partager quelques vagues.
Après les avoir laissé, on perd
encore du temps dans un Burger King pour se reconnecter à internet. Il nous
reste deux ou trois petites choses à régler avant de passer au Mexique. En
consultant une dernière fois nos mails, on trouve un message d’Antoine et
Amélie, le couple rencontré à Yosemite. Après la soirée passée ensemble, on
avait oublié de s’échanger nos coordonnées. Aussi on est très surpris de
recevoir un mail de leur part, et encore plus surpris de voir comment ils ont
obtenu notre adresse. Ils nous ont retrouvés sur la toile grâce à… Nouky !
On va donc à notre tour sur le net et on découvre alors que notre chien est une
super star. En tapant son nom, sa bouille s’affiche immédiatement en première
page de Google. Pour cette fois, on est super content, mais c’est tout de même
un peu effrayant. Big brother is here et rien ne lui échappe… Après avoir enfin
bouclé tous nos préparatifs, on finit par s’arrêter pour dormir dans un Truck Stop
juste avant la frontière. L’ambiance n’y est pas très rassurante. Comme il fait
nuit on ne voit pas bien loin, mais il nous semble qu’autour du Truck-Stop, il
n’y a rien à part des terrains vagues. Une sorte de brouillard s’est installé
et plus grand monde ne circule à part les patrouilles de la Police des
Frontières. Pas très tranquille, on se couche à deux heures, pour un réveil à
cinq.
Mercredi 27 juin : Mexico
La nuit a été très courte mais comme
dans cette atmosphère on ne dormait pas vraiment, le réveil n’est pas si
difficile. Et puis aujourd’hui nous attendent encore de grandes
inconnues : le passage de la frontière, la route et la piste. Comme on ne
veut pas risquer de rouler de nuit, on ne traîne pas. On fait le plein
d’essence et d’eau à la station-service où tout le monde parle déjà espagnol,
histoire de nous mettre dans l’ambiance, et on prend la route pour le Mexique.
Le Mexique, ça parait dingue. Après tout le périple que l’on a déjà fait, on ne
réalise qu’à moitié.
L’Interstate, passée la dernière
sortie américaine, se vide brutalement. On se retrouve seul sur une deux fois
cinq voies qui traverse une sorte de no man’s land entre les deux pays. Le
brouillard nous enveloppe toujours et il est presque impossible de distinguer
le pays vers lequel nous allons. Une impression étrange se dégage de cette
route. On atteint la frontière sur la réserve en ne sachant pas trop à quoi
s’attendre. Les frontières en Amérique du Sud n’avaient pas toutes étaient très
simples à franchir, alors on est un peu méfiant. Un officier mexicain nous
arrête et nous demande nos papiers. Il les regarde rapidement sans rien noter,
jette un œil dans le camion et nous fait signe d’y aller. Le tout a duré moins
de trois minutes, le plus rapide passage de frontière de notre carrière de
voyageurs ! On est quand même un peu surpris par l’absence de poste
frontière US et on comprend maintenant pourquoi dans tous les films américains
les bandits tentent de gagner le Mexique. Il n’est vraiment pas facile de
pénétrer aux States, mais il est particulièrement aisé d’en sortir…
On roule maintenant dans Tijuana.
Et comme lorsque nous avions traversé Lima, on croise tous nos doigts pour que
le camion ne nous fasse pas le coup de la panne ou du pneu crevé. Le but du jeu
est maintenant d’attraper au plus vite l’autoroute qui descend plein sud vers
Ensenada, et surtout de ne pas se perdre dans les mauvais endroits. On commence
par prendre une route qui longe le fameux mur séparant les deux pays. Il est
entouré de barbelés et de nombreux locaux lui tournent autour. A peine la
frontière passée, on a basculé dans une autre atmosphère. On a définitivement
quitté le pays du tout carré tout aseptisé. Les rues sont sales, les immeubles
branlants et tagués, des gens squattent un peu partout alors qu’il n’est que
six heures du mat. Mais pour le moment pas de problème, pas d’embuscades, pas
de coups de pistolet, et pas même un regard agressif. Les locaux affichent une
indifférence totale à notre égard et ne semblent pas regarder notre camion
comme un objet de convoitise… Mais malgré tout, on est soulagé de s’engager sur
l’autoroute et de quitter la ville, même si le péage est surveillé par des gardes
armés, ce qui n’est pas très rassurant... Après Ensenada, l’autoroute se
transforme en nationale et devient la route 1, la seule qui descend toute la
Baja.
On longe un moment l’océan.
Celui-ci est régulièrement bordé par des petites stations balnéaires composées
de quelques immeubles avec vue sur la mer et de nombreux RVs parcs. Mais les
plages sont vides et sales et il n’y a pas un touriste à l’horizon. Il se
dégage de ces petites stations un véritable sentiment d’abandon. Ces endroits,
qui ont dû être auparavant très fréquentés, sont aujourd’hui déserts et reflètent
les conséquences des troubles qui agitent le pays.
On quitte ensuite l’océan pour
s’enfoncer dans l’intérieur. La route traverse une enfilade de petites villes qui
ne sentent pas vraiment la société occidentale de consommation. A part la Ruta
1 qui est goudronnée, la plupart des routes sont en terre. Elles sont bordées
par des maisons à l’aspect précaire et rustique, et fréquentées par des voitures
un peu déglinguées. Il n’y a plus de doute, on n’est plus du tout aux
Etats-Unis. Mais c’est une ambiance qui ne nous dépayse pas et qui nous
rappelle bien des endroits. Là encore les gens n’affichent aucune hostilité.
Mais quand on leur demande s’il y a des risques à voyager au Mexique, et si l’on
doit faire particulièrement attention sur la route, ils nous répondent tous
unanimement que « Ici n’est pas pire qu’ailleurs ». On ne sait pas
bien à quel « ailleurs » ils font référence, et quand on essaie d’en
savoir plus ils deviennent très vagues. De ce que l’on a déjà vu de la route,
celle-ci a l’air fréquentée et on ne doit pas craindre d’embuscade dans la
journée, mais ça nous conforte quand même dans l’idée de ne pas traîner et
d’atteindre le spot avant la nuit. On a quand même droit à plusieurs barrages
de militaires lourdement armés qui arrêtent les véhicules pour les contrôler.
Un peu plus loin, les villages
s’espacent et la route serpente entre des collines. L’environnement devient
aride et la végétation se fait plus rare. C’est le début du désert de Baja
California. Il ne fait pourtant pas trop chaud, certainement grâce à
l’influence du Pacifique tout proche.
En arrivant à San Quintin, on
trouve facilement la pharmacie où doivent normalement nous attendre les
comprimés de Nouky. Mais elle est toute petite et sur les étagères on ne voit
que très peu de médicaments. On se dit alors que c’était bien audacieux
d’espérer trouver quoique ce soit ici, surtout pour un chien, et on commence à
regretter notre choix. Pourtant, dès qu’on se présente, la
pharmacienne nous sort la boite qui était bien rangée à l’écart. On
fait la grimace devant le prix qui diminue du coup un petit peu. Ah les pays où
il est toujours possible de discuter ; ça nous manquait. On paye, on
remercie vivement et on repart illico.
On arrive à El Rosario, le
dernier village avant San Carlos, à 13 heures. On a mis sept heures depuis San
Diego, ce qui n’est pas si mal et nous laisse encore suffisamment de temps
devant nous. Le village est un petit pueblo plein de poussière et en le
traversant, on se dit qu’on a bien fait de faire un max de provisions… On
tourne un moment pour trouver la piste qui doit nous mener au fameux spot, mais
pas facile dans un village où toutes les routes sont des pistes de savoir
laquelle est la bonne. On demande notre chemin aux locaux, mais personne ne semble
savoir qu’il y a un spot de windsurf dans le secteur. Un gros doute commence à
nous envahir… On va, en dernier recours, se renseigner à la
« délégacion », la police locale. Là encore le policier ne voit pas
du tout de quoi on parle. Je commence à franchement désespérer, mais il fait
appel à un collègue qui semble, enfin, voir de quoi il s’agit. Il m’explique
qu’il faut continuer vers le Sud et que la piste devrait (!?) se trouver entre
les kilomètres 70 et 75. Il me dit « C’est facile, lorsque la route arrive
sur un grand plateau, c’est sur la droite, il y a un panneau. Si tu dépasses le
kilomètre 75, fais demi-tour, c’est que tu l’as loupé ». On prend donc la
direction du Sud en croisant les doigts pour qu’il ne se soit pas trompé.
Après El Rosario, la route s’enfonce
dans le désert et devient aussi peu peuplée que le paysage qui nous entoure. Le
kilomètre 70 passe, puis le 75, et toujours rien. Il y a bien une piste ou deux
sur la droite, mais elles sont complètement défoncées et semblent
impraticables. Encore une fois, on commence à douter. Impossible pourtant de
l’avoir loupée, mais s’il fallait prendre les pistes précédentes, on peut commencer
à faire une croix sur San Carlos... On continue encore un peu notre route qui
semble s’élever vers un plateau en se disant que si après celui-ci il n’y a
toujours rien, on fera demi-tour. Heureusement, au kilomètre 80, on découvre
enfin le panneau tant attendu qui indique la Punta San Carlos ! Ouf, on
est soulagé de l’avoir trouvé, même si le panneau nous confirme bien les soixante
kilomètres. On avait l’espoir que ce soit un peu plus court, mais non, c’est
bien soixante kilomètres de piste qui nous attendent, et en camping-car on sait
que ça peut être très long…
Il est 14 heures lorsque l’on s’engage
sur la piste du plus célèbre spot de Baja. J’avais espéré que ce serait une bonne
piste de terre bien tassée. Malheureusement, les vagues du Pacifique se
méritent et il faut souffrir pour les atteindre, car c’est une piste pleine de
cailloux qui nous accueille. Passé un premier moment d’euphorie à admirer le
désert qui nous entoure, on déchante très rapidement. Winnie tremble et chahute
à chaque pas. Deux options s’offrent alors à nous : soit rouler très vite
pour atténuer les chocs dus aux cailloux, ce qui fonctionne très bien pour un
pick-up, mais réduit à une chance sur deux la possibilité d’arriver avec un
camion en un seul morceau, soit rouler très doucement. Si on ajoute à ça
l’absence de cric qui nous aurait permis de changer une roue, on n’a plus
vraiment le choix, on est contraint de choisir la deuxième option. On roule donc
au pas et l’aiguille du compteur ne fait même pas l’effort de se soulever, ce
qui n’est pas sans nous rappeler l’Amérique du Sud. On le savait pourtant,
camping-car et tout terrain ne riment pas. Mais nous voilà repartis dans la
galère des pistes ; les expériences passées ne servent-elles donc pas… ?
En attendant, on roule tellement
doucement que l’on n’a même pas l’impression d’avancer. Nouky, qui n’en pouvait
plus d’être enfermé, se balade tranquillement devant nous et s’arrête de temps
en temps pour nous attendre. Il nous jette des regards qui en disent long sur
notre allure. Mais dès que je tente d’accélérer, le camion tremble dans tous
les sens et semble tellement gémir que je suis obligé de ralentir. Au bout
d’une heure, je m’aperçois qu’on a à peine fait cinq miles, soit sept
kilomètres. A ce rythme, il va nous falloir presque dix heures pour arriver au
spot, et donc rouler de nuit. En plein désert, au Mexique, c’est de la folie.
Je ne veux pas nous faire courir ce risque et préfère faire demi-tour, même s’il
faut renoncer aux vagues du Pacifique. Je réveille Laeti qui avait assez
rapidement abandonné le siège de copilote pour un petit somme, et lui fait part
de mon constat. Mais elle se sent de continuer. Elle me rappelle que l’on a
planifié tout notre voyage en fonction de San Carlos et que l’on rêve de ces
vagues depuis si longtemps qu’il serait dommage de faire demi-tour si près du
but. Pendant que l’on cogite sur le bord de la route, une voiture arrive dans
un nuage de poussière et s’arrête à notre côté. Ce sont des mexicains qui se
rendent au camp de pêcheurs voisin du spot. Ils sont très sympas et nous
expliquent que sur la piste ne passent que des travailleurs, comme eux, qui
vont soit au camp des pêcheurs, soit au camp des ramasseurs de pierres. Ils
nous assurent que tout le monde se connait, qu’il n’y a pas de danger, et qu’il
y a toujours quelqu’un qui va passer dans la journée en cas de problème. Ils
nous rassurent également en affirmant que sur le spot il y a de nombreux
camping-cars et que la piste ne se dégrade pas trop par la suite. D’après eux,
en roulant doucement, ça devrait passer sans problème. Et pour finir, ils nous
montrent qu’eux non plus n’ont pas de roue de secours…
Ok, si d’autres l’ont fait, on
doit pouvoir le faire. On reprend donc la piste, ou plutôt le calvaire… Un peu
plus loin, j’arrête une deuxième voiture dont le gars, encore un pêcheur sympa,
me tient le même discours que ses collègues. Ça nous conforte dans l’idée de
continuer, mais on se promet de ne plus jamais se mettre dans de pareilles
positions. Il y en a marre des situations délicates et des trips galères !
A un moment, la piste devient sablonneuse
et un poil meilleure, ce qui nous permet d’augmenter notre moyenne. A cette
allure, le moindre kilomètre heure de gagné compte. Mais la joie est de courte
durée, et le sable redonne vite sa place au tapis de cailloux. C’est alors une
véritable guerre des nerfs qui s’engage entre la piste et nous. Objectif :
ne pas craquer. Ton pied a envie d’enfoncer la pédale et d’accélérer comme un
fou, mais il faut retenir cette pulsion et voir le paysage défiler au ralenti.
A 17 heures, cela fait trois heures que nous roulons sur la « dirt
road » et nous n’avons fait que trente kilomètres. On n’est donc qu’à la
moitié du chemin et devant nous la piste se détériore. On se redemande alors si
l’on a fait le bon choix, mais au point où on en est, ça ne servirait à rien de
faire demi-tour. On continue donc la torture. Mais pour rajouter à l’énervement
qu’entraînent inévitablement trois heures à se faire secouer dans tous les sens,
il y a des pistes qui partent de tous les côtés, sans aucun panneau. Notre
instinct nous dicte de rester sur la piste principale, mais on maudit les gars
de Solosports, le surfcamp situé sur le spot, qui n’ont même pas pris la peine
d’indiquer le chemin. La route est déjà suffisamment longue comme ça pour ne pas
la prolonger par des erreurs d’itinéraire. Pour s’encourager, on se repasse
dans notre tête les vidéos que l’on a vu du spot, et on se dit que si les
vagues sont à la hauteur de ce supplice, elles doivent être vraiment
fabuleuses…
Toute notre attention se porte sur
la route, au point qu’on en oublie d’apprécier le paysage alentour qui est
pourtant magnifique. La route traverse une région sauvage et complètement
désertique, et chemine entre mesas et petits canyons. Par endroits, elle est
bordée par d’énormes cactus multi centenaires, de gigantesques candélabres de
plusieurs mètres de hauteur. Mais voilà, le chaos des cinq tonnes de métal sur
la piste, le train avant qui claquent brutalement dans les trous, et
l’habitacle qui tremble et vibre au point qu’on a l’impression que tout va se
démantibuler ne nous laissent pas beaucoup de répit. D’autant que l’heure
tourne et la nuit approche. Mais la piste n’en finit plus. Plus on s’approche
du but, et plus on a l’impression de s’en éloigner, comme dans un mauvais
cauchemar. On sent la mer et on la devine derrière les collines. On aimerait y
aller en traçant au plus court mais au lieu de cela, la piste replonge vers
l’intérieur des terres et disparait au loin. Ça nous rend dingue car d’après
mes calculs on devrait être tout proche, mais toujours pas d’océan en vue. On
commence à se dire que l’on s’est peut-être trompé d’itinéraire, d’autant que
l’on a délaissé une heure auparavant une piste en bon état, quand on aperçoit
enfin un panneau indiquant le camp de Solo Sports. Mais le panneau est
complètement défoncé et c’est vraiment difficile de comprendre quelle piste il
indique. Le soleil offre ses derniers rayons et on n’aperçoit ni camping-cars,
ni planchistes, ni même l’océan. La piste devient même pire qu’ailleurs en
franchissant un canyon horriblement étroit, en dévers et dans d’énormes cailloux.
Après ce dernier calvaire, on découvre, enfin, le camp et quelques vans. Ouf,
on est soulagé et éreinté! Après six heures de piste et plus de treize
heures de route, on tire enfin le frein à main. Pour le reste, on verra demain…
Jeudi 28 juin : San Carlos
Après une bonne nuit, on découvre
à notre réveil le site de San Carlos. Devant nous s’étire une longue plage
quasi rectiligne autour d’une grande baie. Celle-ci est fermée au vent par un
îlot qui est un véritable repère de pélicans et par le campement de Solosports.
Sous le vent, elle est délimitée par une pointe qui la sépare de plusieurs
petites baies qui s’étendent jusqu’à un camp de pêcheurs. Celui-ci est
surplombé par d’immenses mesas qui plongent dans la mer. Nous sommes à priori
chanceux car la présence de sable est exceptionnelle. Il a dû être entraîné par
les tempêtes de l’hiver car, d’après les habitués, il n’y a normalement pas de
plage, seulement de gros blocs de rochers. Loin des plages paradisiaques des
Caraïbes, celle-ci est jonchée de cailloux assez plats et de sea-weed, ces
algues marines longues de plusieurs dizaines de mètres qui ont leurs racines
dans le sable et dont l’extrémité vient flotter à la surface. Inexistante à
marée haute, la plage est surplombée de falaises d’environ quatre à cinq mètres
de hauteur sur lesquelles nous nous sommes installés. Le spot est entouré de
collines, vallées et mesas désertiques peuplées uniquement de cactus, serpents,
scorpions et coyotes. Le cadre est complètement sauvage et donne une sensation
de bout du monde. Et on peut affirmer que l’on a connu des bouts du monde
beaucoup moins isolés que celui-là !
On fait très vite connaissance
avec les autres planchistes. Il faut dire que ça va assez vite puisqu’il n’y a
que trois autres camions autour de nous. Ce sont tous des habitués du spot.
Bill, 66 ans, de Virginie, qui passe six mois de l’année ici depuis dix ans.
Bary et Sally, la petite soixantaine, dans un school bus aménagé, qui viennent
une dizaine de jours quatre à cinq fois par an depuis… 35 ans ! Paul,
l’ermite, à l’écart des autres, qui passe la moitié de l’année sur place depuis
une trentaine d’année également. Voilà pour les piliers. Pour les autres
campeurs… il n’y en a pas. Solo n’a pas de clients mais Neil, son gérant,
s’occupe de préparer l’arrivée prochaine de quelques « guests ». Le
camp se compose d’un bar devant lequel se trouve une esplanade sur laquelle
Neil monte des tentes lorsqu’il y a des clients. L’ensemble est assez rustique…
Certes les clients arrivent par avion privé, mais après c’est à la roots… Enfin
on verra plus tard que si les tentes ne semblent pas très confortables, le
patron sait aider ses clients à s’endormir à coup de Baja Fog, la boisson
locale à base de tequila. Il a su également choisir une bonne cuisinière qui
régale ses invités et propose une quantité assez hallucinante de matos. En
attendant, tous se montrent très accueillants et assez surpris de voir des
français sur leur spot. Ce qui est par contre effrayant, c’est la moyenne
d’âge… On parait des minots à côté d’eux. Le windsurf se meurt-il… ?
En fin de matinée, le vent
commence à se lever et s’oriente side-off shore. Les vagues sont petites mais elles
permettent quand même de voir les différents spots dans le spot. Tout au vent, devant
l’îlot, casse la vague de Bambora, aux forts relents de guano, qui est plutôt
une grosse vague de saut. Viennent ensuite les vagues de la plage, « the
main wave » qui déroule sur le banc de sable en deux sections, et plus bas
la vague de The Point, qui casse devant la pointe sous le vent et déroule dans
l’autre baie en se terminant par le fameux Chili Bowl. D’après les locaux,
lorsqu’il y a du swell, toutes ces vagues peuvent se connecter pour enchaîner
les rollers à l’infini. On se dit un peu qu’il n’y a pas qu’à Marseille qu’il y
a des marseillais, mais on ne demande qu’à voir ça.
En attendant, le vent se lève de
plus en plus et nous faisons notre première nav en 4.7 et 3.7. Les vagues sont
petites mais l’orientation est parfaite et on se fait déjà bien plaisir sur la
vague de la plage. On est accompagné par les pélicans mais aussi, comme au
Chili, par les phoques, car l’eau est… très froide. En naviguant ça va encore mais
quand on tombe on ne traine pas. On se bénit ainsi d’avoir trimballé nos combis
5/3 mm jusqu’ici.
Vendredi 29 juin : El Rosario
Aujourd’hui le vent s’annonce
fort. Il souffle depuis la veille et a à peine faiblit quelques heures au petit
matin. Les quelques heures de répit de la matinée, celles qui nous laissent un
peu profiter du généreux soleil, sont donc courtes, car le vent est froid et
humide, vu qu’il passe sur l’océan avant de nous rejoindre. En tout cas,
aujourd’hui nous ne sommes pas pressés d’aller à l’eau car il n’y a pas beaucoup
de vagues. On grée donc tranquillement dans l’après-midi.
Avant de se mettre à l’eau on
discute un moment avec Bary et Sally quand Paul et Uggy, son énorme chien noir,
viennent se mêler à la conversation. On papote tranquillement quand soudain
Uggy se jette sur Nouky. Devant l’imposante stature de l’adversaire, notre
poilu ne fait pas le poids. On tente de les séparer, moi en essayant d’attraper
notre bestiole pendant que Laetitia essaie d’écarter l’autre. Paul lui est
complètement paniqué, et ne trouve rien de mieux à faire que de donner des
coups de pied à Nouky, pourtant déjà au sol. Même quand j’arrive à choper
Nouky, Uggy continue encore à le mordre. Une fois la bataille calmée, on court
mettre notre chien à l’abri dans le camion, mais on s’aperçoit vite que quelque
chose ne va pas. Il tient sa patte avant immobile et est incapable de s’en
servir. Il a mal quand on le touche et un os ne parait pas en place. Avec notre
mauvaise expérience au Maroc quelques années auparavant, on voit rouge. Le
scénario se reproduit. Patte cassée, endroit isolé, grosses galères en
perspective. Pour le moment, il faut trouver un véto, et vite. Impossible de
perdre six heures sur la piste, d’autant qu’il est déjà quatre heures de l’après-midi.
On va voir Paul qui, une fois remis, reconnaît plus ou moins ses torts et accepte
de nous amener dans son pick-up jusqu’à El Rosario. On se serre à l’avant avec
Nouky allongé entre nous. Il n’a pas l’air très bien, ce qui ne nous rassure
pas. Notre chauffeur quant à lui, roule vite, très vite. Mais on s’en aperçoit
à peine car, entre deux chaos sur la piste, nous nous faisons tous les
scénarios possibles et bien sûr pas les plus roses. On se voit déjà reprendre
la piste avec Winnie et remonter à San Diego faire soigner le chien. De plus,
le weekend-end commence, ce qui ne va pas simplifier les choses. On s’attend
donc à galérer, à payer des milliers de dollars pour l’opération, à faire une
croix sur San Carlos après à peine deux jours sur place, et on pense surtout à
Nouky qui se passerait bien d’une deuxième fracture…
Après une heure et demie dans la
poussière, nous arrivons à El Rosario. On doute de trouver un véto dans ce bled
et pensons qu’il va falloir tirer jusqu’à San Quintin, à une heure de route. Par
précaution, on se renseigne tout de même auprès des habitants qui nous indiquent
qu’il y a bien une personne au village qui soigne les animaux. On se rend donc
à l’adresse indiquée et on arrive devant une maison plus que modeste, sans panneau
ni nom. On frappe à la porte en se disant qu’il va vraiment falloir aller à San
Quintin, quand une femme s’approche. On lui explique rapidement notre cas. Elle
semble réfléchir un moment puis nous explique qu’elle soigne habituellement les
vaches, qu’elle n’a pas de radio, mais qu’elle connaît aussi les chiens et nous
propose d’ausculter Nouky. On lui amène notre blessé et la regardons, un peu
surpris, l’allonger dans la benne pourrie de son pick-up. Elle promène
longuement sa main sur son épaule et sa patte pendant que nous attendons le
souffle coupé son verdict. De lui va dépendre toute la suite de notre voyage.
Enfin, elle nous annonce qu’il n’y a rien de cassé, que la douleur est due à
l’inflammation causée par le choc et qu’il faut seulement bien nettoyer la
plaie. On n’ose y croire. Ne voulant prendre aucun risque avant de retourner
dans notre repère du bout du monde, je lui pose dix mille questions et l’oblige
même à recommencer dix fois l’auscultation. Je lui fais toucher à plusieurs reprises
l’endroit qui me semblait suspect mais elle est formelle, tout fonctionne bien.
Elle propose de désinfecter la
plaie et nous demande d’aller acheter quelques produits. Je trouve tout dans une
« pharmacie » tenue par des adolescents qui ressemble à une case et
sans aucune inscription. A mon retour, elle noie la plaie dans une solution de
type Bétadine à même la taule pleine de poussière de son pick-up qui se colore
petit à petit, et lui fait une piqure d’antibiotique. La scène a quelque chose
de surréaliste mais nous sommes trop préoccupés pour relever. Elle nous conseille
de bien lui laver la blessure et de lui refaire des piqures pendant deux jours.
On reprend la piste en sens inverse plus soulagés, mais on attendra quand même de
le voir gambader avant de crier victoire.
Samedi 30 juin : Rencontre involontaire
Les jours passent et nous
commençons à prendre nos repères sur le spot. Le vent souffle fort et nous
sortons les petites voiles, mais les vagues ne sont pas encore au rendez-vous.
Pour nous faire patienter, tout le monde nous reparle de ces vagues incroyables
qui déroulent de Bambora jusqu’aux pêcheurs les jours de gros. On dirait qu’ils
se sont donnés le mot et tous les superlatifs y passent. D’après eux, Punta San
Carlos est « the place to be ». Sauf que, pour le moment, c’est plutôt plat…
Ne voyant toujours pas de crêtes
fumantes à l’horizon, on décide d’aller explorer le désert alentour et les
collines qui surplombent le campement. On doit y avoir une jolie vue sur le
spot. On part donc tous les deux en laissant Nouky au camion. Il commence à
peine à poser la patte et il est encore trop tôt pour le faire courir. On emprunte
une large piste qui commence par grimper sévèrement et où l’on a naturellement
le regard qui plonge sur nos pieds pour mieux les encourager à gravir la pente.
Tout d’un coup Laeti, qui était à quelques pas devant moi, fait un bond, m’attrape
par le bras et m’entraîne en arrière. Je me laisse faire sans trop comprendre
mais en relevant les yeux je découvre, au beau milieu du chemin, un serpent à
sonnettes dressé sur ses anneaux et prêt à bondir ! On a vraiment eu
chaud. Laeti qui marchait tête baissée a bien failli lui mettre le pied dessus.
C’est un petit bruit de pierre qui lui a fait lever les yeux alors que le
serpent ne se trouvait plus qu’à deux mètres d’elle. En tout cas ce dernier est
au milieu du chemin et ne semble pas vouloir en bouger. Comme on ne tient pas à
contrarier ce colérique habitant local, nous arrêtons net la ballade et retournons
sans traîner au camion. On a assez d’ennuis comme ça pour se les chercher, et
nos ballades s’arrêteront désormais aux limites de la plage…
Sur le chemin du retour on
repense à notre rencontre. On se dit que Nouky, qui court toujours devant nous,
aurait trouvé le premier le serpent. Vu son attrait pour tout ce qui bouge, il
aurait certainement voulu jouer avec le sonnette qui ne l’aurait pas vu du même
œil. On se dit alors que sa blessure, qui nous est apparue comme une nouvelle
tuile, lui a finalement peut-être sauvé la vie…
Mardi 3 juillet : Chili Bowl
Ce mardi le vent est plus léger,
pour 5.3 et 4.2, mais il y a un peu plus de vagues. On descend à la rencontre
du fameux Chili Bowl qui est encore petit mais commence à marcher. Dans cette
baie, sous le vent du spot, le vent accélère entre les falaises et est quasi
off-shore. Il creuse la vague qui déroule d’abord le long de la côte avant de
se terminer par un bowl. Même de petite taille, la vague est sympa. Elle laisse
présager de son potentiel et on y fait quelques bons surfs.
Mercredi 4 juillet: Sam is here !
Après de multiples incertitudes
et déconvenues avec les potes qui devaient l’accompagner, Sam a enfin trouvé un
copilote pour descendre en Baja. Il va finalement venir avec Jeff, un surfeur
et planchiste de San Diego. Ils profitent tous les deux de la fête nationale
américaine du 4 Juillet pour se faire un gros week-end et nous rejoindre. Ça
fait vraiment plaisir de retrouver Sam ici, d’autant plus qu’il nous parlait de
San Carlos depuis des années et attendait une occasion pour y venir.
Malheureusement, le jour de leur arrivée le vent est tombé mais ils peuvent
quand même s’offrir une petite session de surf.
Le vent revient dès le lendemain.
On ressort les grandes voiles pour une session à Chili Bowl sous l’œil de Sam
et Jeff. Les conditions sont sympas mais sans plus. Même si la météo annonçait
du swell jusqu’à 18 secondes de période, les vagues restent encore petites. Du
coup, tout le monde est assez dépité mais une bouteille de rouge amenée par Sam
nous fera, le temps de la soirée, oublier cette déconvenue.
Vendredi le vent est bizarre. Quelques
gars rident la « main wave » mais ils ont des six mètres et ne
planent pas. Le vent a du mal à s’établir au bord alors qu’il semble bien fort
au large. On fait confiance à notre instinct et aux moutons qui déferlent
serrés au loin, et on part en 4.7 et 3.7 vers The Point. Plus on descend, plus
on prend le vent et on se retrouve bientôt à fond ! On a alors droit à une
incroyable happy hour dans un vent établi et seuls à l’eau. On prend vague sur
vague dans des séries de deux mètres et on commence enfin à découvrir San Carlos !
Devant The Point pète une première section. La vague déroule près de la falaise
dans une partie déventée. Elle est lisse comme un miroir et on peut déjà y
faire quelques délicieux rollers. Puis, on récupère du vent. Il faut alors faire
du down the line pour passer une section molle jusqu’au Chili Bowl où, après un
aerial, on peut envoyer quelques gros cut back sur l’épaule. La vague est lisse
et le vent quasi off, du pur surf 100 % Baja adrénaline !
Samedi 7 juillet : PSC on fire
Après la journée d’hier, tout le
monde est plus détendu. D’autant qu’au réveil, une chose est sure, le swell
arrive ! Le vent s’annonce aussi de la partie et souffle déjà. Sam et Jeff
partent pour une session matinale alors que l’on attend que le vent s’établisse.
Il prend les tours dans l’après-midi et on sort les 4.2 et 3.3. Un peu fort au
début, le vent baisse ensuite d’un poil. Il est toujours parfaitement side-off.
Les vagues, elles, grossissent et atteignent « logo high », soit un
bon trois mètres ! On décide de rester sur la vague du haut qui déroule devant
le camion. Malgré le vent fort, la vague est super propre. Elle déroule à
souhait et nous offre une superbe épaule bien tendue. De quoi envoyer de gros
buttoms full speed et enchaîner les rollers. On ne peut retenir un cri de joie
en sortie de vague, synonyme de session mémorable. Du coup, on fait tirer la
session jusqu’au coucher du soleil dans une lumière sublime. On est comblé. On
a vu PSC fonctionner et elle vient de nous offrir une session d’anthologie. Ce
spot est vraiment démentiel et c’est sans doute le meilleur que l’on ait ridé
jusque-là !
Dimanche 8 juillet :
Sam et Jeff reprennent la route
pour San Diego. Ils bossent dès le lendemain mais ont bien amorti leur séjour.
On est très heureux d’avoir pu passer quelques jours ensemble et d’avoir eu de
superbes conditions. Pour nous, ça continue avec encore du vent fort pour les
petites voiles, mais un petit peu moins de vagues. On retrouve des conditions plus
« normales » pourtant bien sympas, mais qui après ces deux derniers jours, manquent de
frissons…
Lundi 9 juillet :
Le vent est toujours présent mais
une mauvaise nouvelle nous attend dès le matin. Grâce à Bill, notre voisin
sexagénaire, on a un accès internet. On n’y croyait pas au début tant on est
perdu au milieu du désert, mais il a bien une coupole avec connexion satellite,
le tout fonctionnant à l’aide de panneaux solaires ! Quand il fait beau,
il met donc à disposition son wifi, ce qui est très pratique pour tous ses
voisins. Ce matin donc, en regardant nos mails, on découvre avec stupeur que la
personne qui devait ramener Nouky de New York en France a foiré sa réservation
et a pris une compagnie n’acceptant pas les chiens. Nous avions convenu qu’en
échange d’une participation financière de notre part, elle nous rejoignait à NY
et repartait avec le chien. Nous aurions pu rapatrier Nouky par nos propres
moyens via un transporteur, mais comme ça revenait au même prix que de payer
une grosse partie d’un billet d’avion, on s’était dit qu’il valait mieux faire
plaisir à quelqu’un. On avait tout prévu avec elle dès Porto Rico et avions
réservé nos billets de cargo en fonction. Nous étions donc censés ne plus nous
occuper de notre retour, notre trip étant booké et budgété jusqu’à la fin. Or
là, catastrophe. Tous nos plans tombent à l’eau. On n’a plus aucun moyen de
ramener Nouky, le transporteur n’ayant plus de place à ces dates-là, et nous n’avons
que quatre jours pour trouver une solution. Au-delà, nous ne pourrions plus
annuler le cargo sans perdre la totalité du versement. Mais quand on est à huit
mille kilomètres et neuf heures de décalage avec la France, avec pour seul
moyen de communication une connexion qui dépend de l’heure de réveil de son
propriétaire ou du taux d’ensoleillement, ce n’est pas évident. C’est donc
prise de tête sur prise de tête, et on a beau remuer ciel et terre, on ne
trouve pas de solution en si peu de temps. Seule issue donc, vu qu’on ne se
résout pas à abandonner notre chien aux USA : annuler le cargo, perdre la
moitié du prix du billet et prendre un vol pour la France. On est vraiment
dégoutté. Laetitia ne voulait vraiment pas reprendre l’avion, et encore moins
sur une ligne aussi longue, et avec tout notre barda, ça s’annonce compliqué.
De plus, on avait vraiment envie de s’offrir le cargo comme transition avant le
retour à la vie « normale ». On se retrouve donc encore une fois à
modifier nos plans et à devoir assumer d’importants surcoûts à cause d’éléments
extérieurs, et tout ça pour avoir voulu faire plaisir…
Vendredi 13 juillet : Session surprise
Ça y est, le cargo est annulé et
on a réservé nos vols Washington – Paris avec Air France pour le 20 août. La
pilule a vraiment du mal à passer mais on n’a pas d’autre choix que de ruminer
notre colère en attendant que ça passe. Pour nous consoler, San Carlos, où tout
est toujours possible, nous offre une session aussi incroyable qu’improbable.
Alors que depuis notre réveil le temps était bouché avec du brouillard et du
vent on shore, le ciel se dégage tout d’un coup. En cinq minutes, le vent
change de direction et s’oriente, et quelques moutons apparaissent au loin. Les
vagues sont consistantes depuis ce matin, alors ça peut peut-être le faire. On
sort nos grandes voiles et on part à l’eau. Le vent est trop léger pour planer
mais il nous permet de tenir suffisamment sur nos planches pour tirer des bords.
On descend directement à The Point où les séries semblent les plus grosses.
Arrivés en bas, on découvre de belles vagues avec des séries entre 1 m 50 et 3
m ! La pression monte à chaque fois que l’on distingue un set qui dépasse
de l’horizon car sans planer on est plus vulnérable, et une erreur de placement
coûte cher. On prend la vague devant The Point et la puissance de celle-ci nous
permet de faire deux à trois rollers dans la section complètement déventée par
la falaise. C’est surréaliste, la vague est complètement lisse, il n’y a pas
une risée, mais les mètres cubes d’eau qui nous poussent aux fesses nous
donnent assez de vitesse pour créer notre propre vent. Passée la dévente, on
abat down the line pour aller taper le bowl et grignoter quelques rollers sur
l’épaule. Encore une session mémorable, pur surfsailing, où l’on remonte
tranquillement au peak en voyant dérouler des vagues parfaites.
Samedi 14 juillet :
Aujourd’hui, on laisse le plan
d’eau aux quelques kiteurs clients de Solo. Il y a un poil de vent mais pas de
vagues exploitables en windsurf. On squatte donc la falaise et on tourne dans
le campement pour discuter avec les riders locaux. Même si au final nous ne
sommes jamais très nombreux, on voit arriver et repartir pas mal de monde. En
général, les américains n’ont que peu de vacances et ne descendent que pour des
séjours courts, en moyenne de quatre ou cinq jours. Du coup, sur le spot, ça
brasse pas mal. Avec l’arrivée de l’été et des vacances, la moyenne d’âge a
chuté. Mais malheureusement, on constate que ce sont les plus âgés qui
planchent, les autres ayant tous irrémédiablement switchés pour le kite…
La météo est optimiste pour les
jours à venir en prévoyant l’arrivée de swell, on profite donc de cette journée
pour traîner un peu et se reposer. De toute façon, à San Carlos, lorsque l’on n’est
pas sur l’eau, il n’y a pas grand-chose à faire. La couleur et la température
de la mer n’encouragent pas vraiment à aller se baigner et notre rencontre avec
le serpent nous a passé l’envie d’aller nous promener dans le désert. Du coup,
on papote avec les voisins, on bouquine, on fait la sieste, on repapote, on
lance des baballes à Nouky et on répare des bricoles sur le camion. Parfois,
des dauphins viennent s’amuser dans les vagues à notre place et nous offrent un
joli spectacle pendant un moment. Si sur la terre la faune est discrète et peu
hospitalière, dans l’eau elle est beaucoup plus importante. Des patrouilles
entières de pélicans survolent en permanence le spot en se laissant planer à la
crête des vagues. Il n’est pas rare non plus de faire son buttom autour d’un
petit phoque qui nous regarde tout étonné, mais pas le moins du monde effrayé.
On dirait vraiment qu’ils ont pris l’habitude de voir des planchistes et se
montrent très curieux. Quant à la grande faune sous-marine, celle que l’on ne
souhaite pas croiser, on ne l’a pour l’instant pas rencontrée. Même si les
pécheurs affirment voir des grands blancs, les riders locaux nous assurent
qu’aucun n’a jamais pointé son museau sur le spot. On ne cherche pas à en
savoir davantage… Et comme ils disent ici : « Happy seals mean no
shark », tant que les phoques sont joyeux, c’est qu’il n’y a pas de requin
dans le secteur. Donc dans le doute, sur l’eau, on fait des petits bords, on
évite d’aller faire nos réglages au large et on observe attentivement les
mimiques des phoques pour savoir s’ils ont l’air heureux…
Dans l’ensemble, la vie à San
Carlos est particulière. On y est totalement isolé. Il n’y a pas un commerce,
pas une construction, pas un habitant, et à part le bar de Solo qui sert ses
Baja Fog dès que le soleil se couche, il n’y a rien. Juste un petit bout de
falaise balayé par le vent et coincé entre le désert et l’océan où squattent
quelques camions. On doit donc vivre en complète autarcie. Aussi il se crée une
sorte d’entraide implicite. Les gens se dépannent naturellement les uns les
autres. Par exemple, la coutume est de laisser en partant tout ce que l’on peut
laisser à ceux qui restent. On récupère donc assez régulièrement de l’eau et de
la nourriture de gens qui partent et qui souvent les avaient déjà reçues
d’autres gens… Et chacun partage ce qu’il a reçu avec ceux qui restent. Dans ce
système, on ne s’en sort pas trop mal, vu qu’à part Bill, c’est nous qui
restons le plus longtemps.
On arrive aussi à se débrouiller
avec les pêcheurs qui passent de temps en temps vendre leur pêche. On s’est
ainsi récupéré une énormissime langouste que l’on a engloutie avec Sam. Et du
poisson frais aux filets gros comme des côtes de bœuf aux moules géantes que
l’on va ramasser à marée basse, on n’est pas trop à plaindre…
Jeudi 19 juillet : Repos…
Aujourd’hui, il n’y a ni vent ni
vagues. C’est donc repos total après trois belles journées de nav. En effet, le
swell annoncé par la météo est bien arrivé en début de semaine. Il nous est
monté tout droit d’une tempête tropicale qui est passée au sud du Mexique. Le
vent est resté léger, entre dix et quinze nœuds, mais suffisant pour sortir en 5.3
et 4.2. Pas assez toilés pour planer mais assez pour remonter au peak, on a pu s’offrir
encore d’incroyables sessions de wavesailing. Sans jamais être plus de quatre à
l’eau, on a enchaîné les sessions. Et encore une fois, San Carlos s’est montré
généreux ; vague ultra lisse, séries à trois mètres, vent side-off, lèvre
fumante et épaule tendue, le paradis. Un coup devant la plage, un coup en bas à
s’envoler sur le bowl, on est comblé. A chaque session, on prend tellement de vagues
parfaites qu’on en deviendrait presque blazé. On se surprend à délaisser
certaines vagues ou à râler quand on n’arrive pas à prendre la plus grosse. Ce
n’est que le soir, quand on regarde les photos sur lesquelles la lèvre est les
¾ du temps au-dessus de nos têtes, que l’on se rend compte de la taille :
ah ouais quand même ! San Carlos est donc un fabuleux wave park du bout du
monde où une fois le droit d’entrée acquitté, le passage de la pire piste de l’histoire,
tu peux enchaîner les plus belles sessions de ta vie de planchiste... !
Samedi 21 juillet : balai aérien
Depuis hier le vent souffle mais
les vagues restent petites. On se fait quand même quelques petites sessions
tout en assistant à un véritable balai aérien au-dessus de nos têtes. Chaque
samedi, on a l’habitude de voir arriver vers 13 ou 14 heures le petit cesna qui
amène les guests de Solo depuis San Diego. En quelques heures à peine, les gars
se retrouvent sur le spot, frais et dispos pour naviguer. Mais mieux encore, ce
sont les planchistes qui descendent juste pour le week-end avec leur propre avion
qu’ils garent ensuite derrière la plage. La super classe… Mais à chaque fois on
tremble un peu pour eux. Les avions doivent se poser face au vent sur une
petite piste de terre délimitée par de gros cailloux blancs. Mais étant donnée
leur petite taille, ils se font vraiment chahuter par le vent et tanguent de
manière impressionnante avant de se poser. En attendant, aujourd’hui c’est un
véritable défilé dans les airs. Quatre coucous se sont posés les uns derrière
les autres sur la piste. La faute à Matt Pritchard, windsurfer pro, qui vient
faire une « clinic » toute la semaine. En planche, on ne sait pas trop
pourquoi, on parle de « clinic » pour parler d’un stage ou d’un
coaching. Là, c’est un bonus proposé par Solo aux windsurfers qui, moyennant un
supplément, peuvent ainsi recevoir durant tout leur séjour les conseils d’un
pro afin de se perfectionner.
Dimanche 22 juillet : crowded Chili Bowl
Ce dimanche, en regardant par la
fenêtre du camion, on voit que le swell est revenu. Quelques séries frappent The
Point et le vent souffle légèrement. On descend donc sous le vent du spot avec
les grandes voiles où l’on est très vite rejoint par les membres de la clinic.
Le spot devient soudain crowded comme jamais et on se retrouve entouré d’une
quinzaine de gars ! Ça fait bizarre et il faut se réhabituer à partager
les vagues… On croise pour la première fois Pritchard sur l’eau qui se montre d’entrée
très souriant, ça fait plaisir. Est-ce parce qu’on navigue comme lui en Tabou
et Gaastra ?
Au milieu de tout ce monde, on
arrive quand même à prendre de belles vagues à la pointe et on s’offre quelques
aerials spécial Baja. Et je dois avouer que tout au long du séjour Chili Bowl
m’a vraiment régalé des plus gros aerials de ma vie de planchiste. Tout
simplement « amazing » ! Après quelques rollers à The Point, le
bowl commence à se former assez loin sous le vent. On part donc en méga down
the line avec un vent qui devient de plus en plus off-shore. Même quand le vent
est léger, on prend une vitesse incroyable. On longe la ligne en regardant la
lèvre fumer et projeter son spray dans les airs. Puis on frappe la section,
bien au-dessus de la tête, et on s’envole littéralement au-dessus du bowl. On a
alors l’impression de planer le temps d’une fraction de seconde qui semble
durer une éternité, avant de se réceptionner dans la mousse ou sur le plat de
la vague. C’est une sensation unique que je n’ai ressentie nulle part ailleurs.
Je crois que j’ai fait plus d’aerials à Punta San Carlos que dans tous mes
trips réunis…
Mercredi 25 juillet : Sessions du soir
En ce début de semaine, la marée
ne redescend qu’en fin de journée, ce qui offre les meilleures conditions pour
la session du soir, notre spécialité. Aujourd’hui, le vent est bien établi et
l’on peut ressortir nos 4.7 et 3.7. Les vagues oscillent autour d’un mètre
cinquante et la session se joue cette fois sur la « main beach ». Il
est rare que toutes les vagues fonctionnent en même temps et en fonction de la
marée, de la taille et de l’orientation de la houle, il faut choisir entre
toutes les sections celle qui offre les plus belles vagues.
Lundi, mardi et mercredi, nous
nous offrons donc trois supers sessions du soir. En fin de journée, la lumière
change et éclaire le désert. Le soleil fait alors ressortir le rouge des mesas
et le bleu foncé de l’océan, et donne une teinte dorée aux embruns fumants des
vagues off-shore. Depuis le plan d’eau, le spectacle est magique. On se sent
alors tout petit face à ce décor immense et majestueux qui s’illumine devant
nous. Avec la marée basse, les vagues deviennent plus puissantes. Elles
déroulent mieux et offrent une belle épaule sur laquelle on se fait
d’incroyables surfs. Après près d’un mois à San Carlos, notre carving s’est
affuté et on frappe plus fort la lèvre. La session de mardi est vraiment
exceptionnelle et on déchire, seuls à l’eau, les vagues jusqu’à la nuit. Même
Laeti en a complètement oublié sa peur des requins !
Vendredi 27 juillet : Repas d’adieu ?
Jeudi les vagues sont tombées. On
se met quand même à l’eau mais ça n’a vraiment pas la même saveur… D’autant que
le compte à rebours est lancé. On a fait tirer jusque-là alors que, sans moyen
pour se réapprovisionner, on ne pensait tenir que quinze jours. Mais après un
mois, on n’a plus de gaz, plus d’eau, plus de nourriture, plus de fringues,
plus d’argent… Bref, ça commence à être la crise. On a de plus devant nous
toute la traversée des Etats Unis pour rejoindre la côte Est où l’on doit
tenter de vendre Winnie avant notre départ. On vit donc nos derniers jours sur
place et on ne pourra malheureusement pas rester pour la compétition qui débute
ce week-end. C’est une étape de l’American Windsurf Tour, très suivi aux USA
comme en Europe, où de nombreux pros et hawaïens seront présents. Ça aurait été
l’occasion de voir naviguer les boss du windsurf et de se faire des contacts…
Mais ça nous mettrait vraiment trop à la bourre.
On profite des conditions
moyennes pour aller traîner à Solo et faire plus ample connaissance avec Matt
Pritchard. Sur terre il se révèle tout aussi sympa que sur l’eau, et le courant
passe tout de suite. On discute de toutes sortes de choses, mais évidemment
beaucoup de windsurf et de Maui… Il nous complimente sur notre style en surf.
Il m’apprend même qu’il m’a filmé ces derniers jours pour faire progresser ses
élèves ! Pire que ça, il nous dit clairement que Laetitia doit rester pour
la compète. Il n’arrête pas de me dire « she will win for
sure ! ». Ouah… ! Venant de lui, on en rougit… En tout cas, ça
fait du bien à notre égo, mais mal à notre cerveau, car du coup on va étudier
toute la soirée les options possibles pour pouvoir rester, sans succès. On a
beau retourner les choses dans tous les sens, il nous faut une semaine pour
traverser les states, et pas moins d’une autre pour vendre le RV. En tirant au
max on pourrait donc rester deux à trois jours de plus, ce qui ne suffirait pas
pour la compète, et ne nous laisserait aucune marge pour la suite… On fixe donc
notre départ à samedi matin et on se console un peu en regardant la météo qui
n’annonce à priori pas de vrai coup de houle pour la semaine prochaine. Mais
quand même, rider San Carlos en partageant les vagues de Levi Siver, sous l’œil
de Keith Teboul comme juge, ça aurait été sympa…
En attendant, il n’y a toujours
pas de vagues ce vendredi et un vent super fort. On sort quand même, moi en
4.2, Laeti en 3.7 pour dire au revoir au spot. Mais sur l’eau il n’y a vraiment
rien d’exceptionnel, alors on rentre assez vite pour commencer à ranger
doucement notre bazar. N’ayant pas d’installation comparable à celle des autres
campeurs, on fait notre package rapidement, contrairement à Bill qui a mis près
de cinq jours pour tout plier. Puis le soir, on retourne au camp de Solo.
Kevin, le boss, nous a invités à venir manger pour que l’on goute le fameux poulet
au chocolat de sa cuisinière mexicaine et pour qu’on se dise au revoir. Nous ne
savions pas que le poulet au chocolat était une spécialité locale (?), et ça ne
sent d’ailleurs pas beaucoup le chocolat, mais c’est très bon et l’on est
vraiment content de passer cette dernière soirée au camp. On y passe un bon moment
entre vin rouge, brownie maison et discussions avec Nico et Sido, un couple de
français super sympa en vacances au camp, Pritchard et ses potes, et les élèves
de la clinique. Et puis cela donne à Matt l’occasion de nous chauffer encore
une fois sur Hawaï. Il nous propose même ne nous aider à trouver logement et
petit boulot et nous dit de ne pas hésiter à le contacter au cas où…
Samedi 28 juillet : Le départ
Ça y est, nous sommes arrivés au
bout de notre séjour à San Carlos et il est temps de reprendre la route. Dans
ce sens, nous ne voulons pas tenter de faire le trajet jusqu’à San Diego en une
seule journée. Avec la piste, puis la route, nous risquerions d’arriver dans la
zone frontalière en début de nuit et nous n’avons aucune envie de prendre ce
risque. Nous planifions donc de faire le retour en deux étapes, une première
journée pour la piste et un peu de route jusqu’à San Quintin, où se trouve un
camping, puis une seconde journée pour le reste de la route jusqu’à la
frontière et le passage de celle-ci. Nous sommes un peu inquiets concernant la
frontière car l’on entend toujours parler d’embouteillages monstres et de files
d’attentes interminables. En général, il parait qu’il faut compter trois heures
pour passer, et cela peut être pire le week-end… C’est pourquoi nous avons
longtemps hésité à partir un samedi. Mais partir avant nous privait de quelques
journées de planche et en partant après nous aurions été trop à la bourre.
Comme de nombreux campeurs habitués des lieux nous affirment que la folie à la
frontière ne concerne que Tijuana, mais qu’en passant par un autre poste
frontière plus à l’Est, à Tecate, il n’y a jamais de problème, on maintient
notre planning. Et ils sont tous formels, passer par Tecate rallonge la route
d’environ une heure, mais ensuite le passage se fait en cinq minutes.
Ce samedi matin, on attaque donc
la route de bonne heure. On préfère prévoir un peu de marge au cas où l’on
aurait un problème, mais on est cette fois-ci beaucoup mieux équipé qu’à
l’aller. Sam nous a apporté une bombe anti-crevaison et notre voisin de camp
nous donne juste avant de partir un kit de réparation de pneus et une seconde
bombe. On fait donc nos adieux au campement. On a un petit pincement au cœur.
San Carlos est un spot fabuleux mais il est tellement isolé et difficile
d’accès que nous ne savons pas si nous pourrons y revenir un jour. Enfin, après
un dernier au revoir au Pacifique, aux vagues, aux phoques et aux pélicans, on
se lance sur la piste à la vitesse fulgurante de cinq miles à l’heure. On
connait le calvaire qui nous attend mais comme à l’aller on a repéré quelques
petits morceaux de pistes parallèles qui semblent en meilleur état, on espère gagner
un peu de temps. Pourtant, arrivés au milieu du chemin, il faut se rendre à l’évidence :
nous n’allons pas plus vite qu’à l’aller et il va bien falloir payer nos six
heures de piste, taxe obligatoire de San Carlos…
En revanche, nous ne sommes plus
dans le même état d’esprit. On connait maintenant le chemin et n’avons plus le
souci de se tromper ou d’arriver de nuit, à moins de crever deux pneus en même
temps comme l’un des coureurs de la compète que l’on croise sur le bord de la
route. Cette fois, on peut prendre le temps d’admirer le désert autour de nous.
On pousse même le luxe jusqu’à s’arrêter prendre quelques photos des cactus
géants. Nous prenons donc notre mal en patience et finissons par arriver à la
jonction de la route. Ouf ! Avant d’enchaîner sur le goudron, on sort se
dégourdir un peu les jambes et découvrons alors que Winnie a changé de couleur…
A l’origine blanc, puis un peu jauni par le temps (23 ans quand même), il est
désormais marron ! Il est littéralement recouvert de poussière et on ne
peut même plus voir à travers les vitres du fond. Comme on ne peut pas se
pointer à la frontière avec un camion aussi sale, on prévoit de faire un arrêt
nettoyage avant le camping et on remonte en voiture. Mais en allant chercher un
truc à l’arrière, on a la bonne surprise de voir que la poussière ne s’est pas
contentée d’ensevelir le camion mais qu’elle s’est aussi incrustée à
l’intérieur. Il y a en a… absolument partout ! Un demi-centimètre de sable
recouvre les lits, le sol, les meubles et jusque dans les placards, tout est
désormais marron. Les seules fringues que l’on n’avait pas utilisées à San
Carlos car elles n’étaient pas assez chaudes, les appareils photos, cams et
autres, tout est pourri ! Super ! Vraiment, on se souviendra
longtemps du spot, mais plus longtemps encore de son horrible piste…
Après une petite heure de route,
on arrive au village de San Quintin. On fait un premier stop dans un car wash
où une équipe de mexicains nous nettoie l’extérieur du camion. Tel un petit
bataillon d’armée ils se répartissent autour de nous. Il y en a partout, sur le
toit, sur le capot, à l’arrière. Et à grands coups de jets d’eau, ils nous
rendent en moins d’une demi-heure un camion nickel. On ne l’avait jamais vu
aussi propre ! Puis, pendant que Laeti s’attaque au nettoyage de
l’intérieur, je pars faire quelques courses. En me promenant dans la rue, je me
sens à l’aise. Les gens sont sympas, souriants, tranquilles. Les odeurs, les
couleurs, les visages, tout me donne envie de revenir un jour. Le Mexique a vraiment
l’air d’être un pays magnifique et accueillant. Quel dommage qu’une bande de
cinglés tire parfois sur tout ce qui bouge pour des histoires de poudre
blanche… J’en profite également pour faire une courte lessive et laver au moins
les draps. Sans ça, on aurait vraiment l’impression en se couchant de dormir
sur une plage… Pour le reste des dix tonnes de linge sale, on verra plus tard…
On arrive également à recharger notre réservoir de gaz et ne serons ainsi pas
obligés de manger nos aliments crus… On fait aussi un arrêt chez un garagiste
car sur la piste les amortisseurs de Winnie claquaient vraiment très fort et
sur le goudron on pouvait entendre des petits bruits de roulement. On préfère
donc vérifier ça avant de continuer la route. En arrivant chez le garagiste, on
a un peu la sensation d’être la poule aux œufs d’or au milieu de tous les
mexicains qui viennent nous entourer, et on s’attend à se faire déplumer.
Pourtant, après un rapide examen, le garagiste nous apprend qu’il n’y a rien de
grave et qu’il faut juste regraisser tout ça, ce qu’il fait gratuitement en
quelques minutes. En partant de chez lui, nous ne sommes pas très sûrs de la
fiabilité de son diagnostic, mais en revanche, nous sommes convaincus de sa
gentillesse et l’on se dit que certains pays nous ont peut-être rendus un peu
trop méfiants… Enfin, après une première journée assez éprouvante, on se rend
au camping où l’on prend une bonne et très longue douche chaude, la première
depuis… on ne sait même plus quand.
Le jour suivant, on reprend la
route très tôt. Il nous reste sept heures de route jusqu’à la frontière, puis
encore deux heures jusqu’à San Diego. Comme à l’aller, nous ne rencontrons
aucun des problèmes évoqués concernant le Mexique. On arrive ainsi vers quatre
heures à Tecate. On repère rapidement le chemin vers la frontière et venons
nous placer dans une double file d’attente qui nous parait déjà bien plus
longue que ce que l’on nous avait annoncé. Après un petit moment, un policier
nous fait signe de s’enquiller dans une troisième file sur le côté. Avant même
de pouvoir lui demander pourquoi, il disparait sur sa moto. Nous nous engageons
alors avec tous les autres véhicules qui attendaient derrière nous, pensant
qu’ils doivent venir d’ouvrir une troisième file à la douane. On patiente ainsi
encore une bonne demi-heure sans avancer beaucoup, jusqu’à passer devant un
nouveau flic qui nous demande quels papiers nous avons. Nous lui répondons que
nous avons seulement nos passeports français et rien d’autre et on commence à
sentir l’entourloupe. Et nous avons raison… Puisque nous n’avons que nos
passeports et rien d’autre, le flic nous informe que nous devons retourner dans
l’une des deux autres files parallèles, car celle où nous nous trouvons est
réservée pour les gens qui ont la carte on ne sait trop quoi. Ok, pas de
problème, nous, on veut bien aller dans la file d’à côté, mais lui, ne veut
pas. Il faut que l’on retourne d’où l’on vient refaire à nouveau toute la
queue. On tente alors tous les trucs que l’on a appris lors de nos différents
voyages pour faire changer d’avis un agent récalcitrant : sourires, bla
bla en espagnol, propositions diverses, on sort même le chien, au cas où il
aimerait les chiens (si si ça a marché une fois), mais il ne veut rien savoir.
On n’a jamais vu un agent aussi buté, même aux Etats-Unis. Il faut donc se
résigner à retourner faire la queue. Et comme entre-temps pas mal de voitures
sont arrivées, on repart de bien plus loin que la première fois. Notre voisin
de file nous annonce qu’il y en a au moins pour deux heures d’attente. On
commence alors à s’occuper comme on peut. On papote avec les vendeurs ambulants
qui circulent entre les voitures, avec les gens des autres véhicules, on
bouquine un peu mais on commence assez rapidement à tourner en rond. D’autant
que l’on ne peut pas lâcher le volant. La file est en montée et il faut garder
le moteur allumé pour pouvoir avancer d’un centimètre toutes les cinq minutes
sinon la police mexicaine n’est pas contente. On squatte donc en plein soleil
dans une bonne odeur de pots d’échappements. Ça nous rappelle légèrement des
souvenirs de passage à Tanger… Pour s’occuper, on commence donc à maudire tous
les gens qui nous ont assuré que « Non, par Tecate, il n’y a JAMAIS de
problème ». A voir le nombre de marchands ambulants, on a un peu de mal à
croire que l’on est tombé le seul jour où il y a du monde. L’un d’eux nous
confirme d’ailleurs, avec un grand sourire, que toutes les semaines, du
vendredi au lundi, c’est la même histoire. Pour lui, les bouchons, c’est bon
pour les affaires… On maudit aussi un coup les américains et leur paranoïa qui
leur fait fouiller toutes les voitures une à une. Mais on a beau râler,
bougonner et maugréer, rien ne nous fait avancer plus vite, et Tecate reste un
parfait apprentissage de la patience et de la maîtrise de soi… Autour de nous,
chacun s’occupe comme il peut. Certains descendent des packs de bières pendant
que d’autres multiplient les allers retours entre les voitures. Et à intervalle
régulier, tout le monde se jette sur son klaxon pour manifester haut et fort
son mécontentement. Ça ne sert à rien, mais ça détend. Bref, à cette allure les
heures passent, le soleil se couche, la nuit s’installe et on n’est toujours
pas passé. Les deux heures d’attente se sont bien étirées… On commence alors un
peu à s’inquiéter car à Tecate la frontière n’est pas ouverte toute la nuit. A
onze heures pile poil, les douanes ferment, sans aucune considération pour les
longues heures passées sous le cagnard ou pour l’insécurité qui règne autour de
la frontière, et il faut alors se débrouiller pour dormir dans la ville. On
s’inquiète d’autant plus qu’autour de nous, certains commencent à faire
demi-tour pour rejoindre Tijuana. Mais cette option ne nous tente pas trop.
Quitte à devoir rester au Mexique, on préfère que ce soit à Tecate. Enfin,
après six heures d’attente (!), on voit enfin se profiler le portail des
douaniers. On pensait avoir atteint des sommets de lenteur sur la piste, mais
c’est parce qu’on ne connaissait pas encore Tecate. Nous aurons mis six heures
pour parcourir à peine cinq cents mètres ! Enfin, à 10 h 30 on est appelé
pour passer. On s’attend à devoir expliquer pendant deux heures à un douanier
renfrogné que l’on ne compte pas s’installer aux US, que nous ne transportons
pas d’armes ni de clandestins et que notre matos de windsurf n’est pas rempli
de drogue, mais contre toute attente, les officiers se montrent cordiaux et
souriants. Ils ne s’intéressent qu’aux trois patates que l’on transporte et qui
risqueraient de contaminer les leurs. Ils nous les confisquent donc poliment et
nous laissent passer. Ouf ! Ça y est, nous sommes de retour aux
States ! Devant nous s’étendent les 4500 kilomètres qui nous séparent de
New York où nous devons être dans une dizaine de jours. Du Pacifique à
l’Atlantique nous attend donc un long trajet que l’on prévoit de couper un peu
par une pause de quelques jours à Las Vegas. On ne sait jamais, si l’on
arrivait à gagner le jackpot, on saurait quoi en faire…
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