samedi 11 août 2012

Baja (texte)


Lundi 25 juin : Oceanside

Il est temps de quitter notre spot de la Sequoia National Forest. Mais on y est tellement bien que l’on a vraiment du mal à lever le camp. Seul l’appel des vagues de Baja nous décide à bouger. Sans lui, on y serait facilement resté une ou deux semaines… On reprend donc la route en sens inverse et on descend pour la dernière fois les versants de la Sierra Nevada. La forêt s’efface pour laisser la place à une végétation rase et sèche. Puis, on se retrouve de nouveau dans les grandes plaines agricoles de Californie, ces immenses cultures bloquées entre montagnes et océan. La route traverse de gigantesques exploitations d’arbres fruitiers dont les champs s’étendent à perte de vue. La production est aux mains de géants de l’alimentation qui étalent en grand le nom de leur groupe sur des hangars démesurés. On est bien loin des petites fermes familiales que l’on croisait dans le Nevada. On appréhende un peu la traversée de ces grandes plaines. A l’aller, la température avait frôlé les quarante degrés, et après la fraicheur des montagnes on ne tient pas spécialement à retrouver la canicule… Mais les heures passent et le mercure ne s’envole pas. On roule donc tranquillement en regardant défiler les rangées d’orangers.

Toutefois, la journée ne s’annonce pas vraiment trépidante. L’objectif est de rouler au maximum pour se rapprocher le plus possible de San Diego. On réduit donc les pauses et avalons les kilomètres. On traverse même Los Angeles sans s’y arrêter. D’une part, on n’a pas vraiment le temps, et d’autre part, la mégalopole est tellement tentaculaire que s’y engouffrer au hasard avec un camping-car nous rebute. De plus, l’Interstate de contournement que nous empruntons est une deux fois huit voies dont la taille nous laisse facilement imaginer l’importance du trafic et les embouteillages que l’on doit y rencontrer aux heures de pointe. Mais comme pour l’instant la circulation est fluide, on préfère ne pas s’attarder et en profiter pour filer vers le Sud. Tant pis pour les stars de cinéma, les nanas en bikini et les grands palmiers californiens ; l’appel de la Baja est plus fort que ça. 

Après une grosse journée de route, nous ne sommes plus qu’à une heure de San Diego, et notre objectif, qui était de se rapprocher le plus possible de la frontière, est atteint. Mais San Diego est une grande ville dans laquelle on a peur de galérer avec notre gros bahut. On préfère donc s’arrêter juste avant dans la ville d’Oceanside pour passer la nuit et faire le lendemain nos préparatifs pré-Baja. Nous ne savons pas exactement ce que nous allons trouver là-bas. Tout ce que l’on sait, c’est que le spot est au milieu de nulle part, à une soixantaine de kilomètres de piste du premier village, et que l’on n’y trouve absolument rien. Il faut donc prévoir d’y être autonome, en eau et en nourriture, pour ne pas avoir à faire des allers retours sur la piste si celle-ci s’avère en mauvais état. Et comme nous avons prévu d’y rester un bon mois, il faut faire de grosses provisions. Il faut également faire une lessive pour avoir un max de fringues de rechange, et profiter d’internet pour tout régler avant un mois de black-out. On repère donc un WalMart et son inséparable acolyte, Mac Do, et on s’apprête, dans une bonne odeur de frites, et comme à notre habitude dans les zones urbaines, à squatter parking et connexion wifi. Sauf que là, nous sommes en Californie, et qu’ici les choses ne sont pas comme ailleurs. Les Walmarts n’y sont pas RVs friendly et au bout d’une demi-heure à peine, le gardien du parking vient nous demander gentiment, mais fermement, de dégager. Il affirme qu’un peu plus loin se trouve un autre Walmart qui autorise les stationnements pour la nuit. Il est déjà tard et après notre longue journée de route on aurait aimé se poser un peu, mais on n’a pas le choix, il faut déplacer notre maison. On part donc vers le second Walmart, dont on se fait également et assez rapidement éjecter. Trois Walmarts et trois gardiens plus tard, on ne sait toujours pas où l’on va passer la nuit. Epuisé, on finit par trouver un bout de parking qui ne semble pas surveillé entre un fast-food fermé et une station-service. Après le squat de la veille dans la forêt des Sequoias, l’environnement laisse à désirer. Mais comme cette fois aucun gardien ne surgit de la nuit pour nous faire déguerpir, on peut enfin se coucher. Il est deux heures du matin et on a passé la soirée à se faire virer. Au vue de l’accueil que nous font les californiens, il faudra vraiment boucler nos préparatifs dans la journée pour filer au plus vite et ne pas avoir à repasser une nuit ici. 

Mardi 26 juin : San Diego

La journée qui s’annonce est donc une journée corvée mais elle doit se terminer par une bonne soirée. On doit retrouver Sam, un pote de Nice fou de surf et de planche, qui est installé depuis trois ans à San Diego. Taïna, sa copine, avait prévu avec ses collègues de l’école française un barbecue sur la plage pour fêter le début des vacances. Ça tombe super bien et ça nous donnera l’occasion de parler un peu français. Le programme est de les retrouver là-bas en fin de journée. C’est une bonne nouvelle, mais du coup il faut s’activer pour être à l’heure. Et ça commence mal… Il y a aux Etats-Unis et au Mexique une maladie que peuvent attraper les chiens, les « vers du cœur », contre laquelle il existe un médicament que l’on doit donner à titre préventif une fois par mois. Il s’agit juste d’un petit comprimé mais il nous en manque trois pour finir le périple. Ils sont habituellement vendus à l’unité dans toutes les pharmacies d’un peu partout… sauf aux Etats-Unis, et nous ne le savions pas. Au pays du roi business, ce médicament tout bête n’est vendu que sur ordonnance et après examen médical, prise de sang et tout le tra la la. Le tout facturé plus de 150 $, pour un cachet qui vaut normalement 5€. On perd donc un temps fou à trouver un véto compatissant, et surtout moins regardant, mais malgré tous nos efforts de persuasion, nous n’arriverons à corrompre personne. La loi c’est la loi, et ici ça se respecte. Du coup, impossible d’obtenir le médoc. On a alors l’idée de se tourner vers les pharmacies que l’on devrait croiser sur la route lorsque nous serons au Mexique. La législation n’y est peut-être pas la même, et la population, dans tous les cas, y est certainement moins tatillonne. Après avoir perdu encore beaucoup de temps à chercher une pharmacie dans une région qui apparemment n’en possède pas, on finit par en dénicher une qui a le médicament, accepte de le vendre et nous le met de côté. Ouf ! On va peut-être pouvoir s’attaquer à tout ce qui nous reste à faire, c’est-à-dire lessive, courses et internet. Heureusement, nous sommes garés prêt d’un Mac Do, d’un supermarché et d’une laverie. On devrait donc arriver à boucler tout ça sans trop galérer. Nous n’avons pas fini de nous réjouir de ce constat que quelqu’un tape à la porte du camion. C’est à nouveau un gardien, que la vue de notre camion attire décidemment irrémédiablement, qui vient encore nous déloger. Il n’est apparemment pas autorisé de stationner plus de deux heures. Recommence alors la valse des parkings et le jeu du chat et de la souris avec les gardiens.

Pour accélérer la cadence, Laetitia part faire les courses au pas de… course, justement, pendant que je mets à jour le blog, règle quelques détails pour le cargo et prend une assurance pour le camion pour la Baja. Nous n’aurons plus d’accès internet pendant plusieurs semaines, alors il faut que tout soit calé. J’ai entre temps Sam au téléphone qui m’annonce que pour l’occasion il a pu se libérer plus tôt de son travail et qu’ils seront à 6 h 30 sur la plage. Ouah, ça va être juste. Je boucle internet, et rejoins Laetitia et ses deux caddies déjà bien remplis. A la fin des courses, il est déjà plus de 6 heures et demie… On a encore une heure de route, plus une goutte d’essence, et tout à ranger… On balance tout dans le camion et on se speed à fond pour arriver finalement à 20 heures sur la plage de Crown Point où l’on retrouve Sam et Taïna et toute leur troupe. Ouf ! Encore une bonne journée marathon à la fin de laquelle on se dit à nouveau que l’on a décidément pas fait simple avec ce trip ! Mais elle n’est pas finie… Le programme est de passer la soirée sur la plage puis, comme on n’a pas eu le temps de remplir nos réserves d’eau, d’aller en faire le plein dans une station-service, et enfin d’aller dormir le plus près possible de la frontière. Avec ce que nous entendons du Mexique, on n’a pas trop envie de trainer sur la route et aimerions boucler rapidement le trajet jusqu’au spot.

On a en effet, tout au long de notre périple, entendu pas mal de choses effrayantes sur ce pays, au point que l’on se demande si c’est une bonne idée de maintenir cette option. De manière générale, pour les américains, il est extrêmement dangereux de s’y rendre. La toile n’est pas plus optimiste avec des messages vraiment alarmants aux voyageurs du style « n’y allez que si vous n’avez pas le choix ». On y parle beaucoup d’embuscades sur les routes, d’enlèvements, et de recrudescence de la violence due aux cartels de la drogue. Ces derniers n’hésitent apparemment pas à régler leurs comptes à coup de pistolets, en public et dans les rues, au détriment des passants qui se trouvent malencontreusement au milieu. En revanche, les mexicains et certains touristes que nous avons rencontrés se sont montrés plus rassurants, en assurant que la Baja n’était pas touchée par les troubles qui agitent le reste du pays. Ils nous ont affirmé qu’il était possible d’y aller, à la condition toutefois de ne pas s’attarder dans la zone frontalière, dans les villes, et surtout à Tijuana, et de ne pas rouler de nuit. On a donc décidé de maintenir notre périple au Mexique, mais pour ne prendre aucun risque, on projette de boucler le trajet jusqu’au spot dans la journée. De la frontière jusqu’à Punta San Carlos, il y a un peu plus de quatre cents kilomètres de goudron jusqu’au village Del Rosario, puis une piste d’une soixantaine de kilomètres jusqu’au spot. Nous se savons pas du tout dans quel état elle se trouve, et ne pouvons donc pas évaluer le temps que l’on va mettre à la parcourir. Pour prévoir un maximum de marge, on se fixe donc un départ à cinq heures du matin.

Mais en attendant, on passe un bon moment avec nos deux frenchies que l’on est super content de revoir, même si ce n’est que pour une soirée. On en profite pour en apprendre plus sur leur vie américaine. San Diego est considérée comme l’une des villes les plus agréables des Etats Unis. Le climat y est doux toute l’année et les gens moins stressés qu’ailleurs. Et surtout il y a, pour Sam, trois cents jours de surf par an ! On n’est donc pas prêt de le revoir en France… Il nous rassure aussi sur la Baja. Il y est allé quinze jours auparavant pour surfer et n’y a rencontré aucun problème. Taïna nous explique un peu le fonctionnement de son école privée française. Comme points positifs, elle touche un salaire plus important qu’en France et a beaucoup moins d’élèves par classe. En revanche, école privée oblige, elle n’a plus la sécurité d’emploi des fonctionnaires et son contrat doit être renouvelé tous les ans. Elle peut se faire virer à tout moment et doit donc veiller à être en bon terme avec parents et directeur. Ce qui n’est pas facile au pays des procès à outrance et où un instit n’a pas le droit de toucher ni de hausser la voix sur un élève !

On les quitte avec regret vers 23 heures. On aurait pu rester un peu plus à San Diego, mais on a vu qu’il n’était pas très facile d’y squatter… Et dans tous les cas, Taïna part en France pour les vacances et Sam bosse. On donne rendez-vous à ce dernier pour la semaine suivante à Punta San Carlos. Ça fait des années qu’on parle de s’y retrouver et on a tous hâte d’y partager quelques vagues.

Après les avoir laissé, on perd encore du temps dans un Burger King pour se reconnecter à internet. Il nous reste deux ou trois petites choses à régler avant de passer au Mexique. En consultant une dernière fois nos mails, on trouve un message d’Antoine et Amélie, le couple rencontré à Yosemite. Après la soirée passée ensemble, on avait oublié de s’échanger nos coordonnées. Aussi on est très surpris de recevoir un mail de leur part, et encore plus surpris de voir comment ils ont obtenu notre adresse. Ils nous ont retrouvés sur la toile grâce à… Nouky ! On va donc à notre tour sur le net et on découvre alors que notre chien est une super star. En tapant son nom, sa bouille s’affiche immédiatement en première page de Google. Pour cette fois, on est super content, mais c’est tout de même un peu effrayant. Big brother is here et rien ne lui échappe… Après avoir enfin bouclé tous nos préparatifs, on finit par s’arrêter pour dormir dans un Truck Stop juste avant la frontière. L’ambiance n’y est pas très rassurante. Comme il fait nuit on ne voit pas bien loin, mais il nous semble qu’autour du Truck-Stop, il n’y a rien à part des terrains vagues. Une sorte de brouillard s’est installé et plus grand monde ne circule à part les patrouilles de la Police des Frontières. Pas très tranquille, on se couche à deux heures, pour un réveil à cinq.

Mercredi 27 juin : Mexico

La nuit a été très courte mais comme dans cette atmosphère on ne dormait pas vraiment, le réveil n’est pas si difficile. Et puis aujourd’hui nous attendent encore de grandes inconnues : le passage de la frontière, la route et la piste. Comme on ne veut pas risquer de rouler de nuit, on ne traîne pas. On fait le plein d’essence et d’eau à la station-service où tout le monde parle déjà espagnol, histoire de nous mettre dans l’ambiance, et on prend la route pour le Mexique. Le Mexique, ça parait dingue. Après tout le périple que l’on a déjà fait, on ne réalise qu’à moitié.

L’Interstate, passée la dernière sortie américaine, se vide brutalement. On se retrouve seul sur une deux fois cinq voies qui traverse une sorte de no man’s land entre les deux pays. Le brouillard nous enveloppe toujours et il est presque impossible de distinguer le pays vers lequel nous allons. Une impression étrange se dégage de cette route. On atteint la frontière sur la réserve en ne sachant pas trop à quoi s’attendre. Les frontières en Amérique du Sud n’avaient pas toutes étaient très simples à franchir, alors on est un peu méfiant. Un officier mexicain nous arrête et nous demande nos papiers. Il les regarde rapidement sans rien noter, jette un œil dans le camion et nous fait signe d’y aller. Le tout a duré moins de trois minutes, le plus rapide passage de frontière de notre carrière de voyageurs ! On est quand même un peu surpris par l’absence de poste frontière US et on comprend maintenant pourquoi dans tous les films américains les bandits tentent de gagner le Mexique. Il n’est vraiment pas facile de pénétrer aux States, mais il est particulièrement aisé d’en sortir… 

On roule maintenant dans Tijuana. Et comme lorsque nous avions traversé Lima, on croise tous nos doigts pour que le camion ne nous fasse pas le coup de la panne ou du pneu crevé. Le but du jeu est maintenant d’attraper au plus vite l’autoroute qui descend plein sud vers Ensenada, et surtout de ne pas se perdre dans les mauvais endroits. On commence par prendre une route qui longe le fameux mur séparant les deux pays. Il est entouré de barbelés et de nombreux locaux lui tournent autour. A peine la frontière passée, on a basculé dans une autre atmosphère. On a définitivement quitté le pays du tout carré tout aseptisé. Les rues sont sales, les immeubles branlants et tagués, des gens squattent un peu partout alors qu’il n’est que six heures du mat. Mais pour le moment pas de problème, pas d’embuscades, pas de coups de pistolet, et pas même un regard agressif. Les locaux affichent une indifférence totale à notre égard et ne semblent pas regarder notre camion comme un objet de convoitise… Mais malgré tout, on est soulagé de s’engager sur l’autoroute et de quitter la ville, même si le péage est surveillé par des gardes armés, ce qui n’est pas très rassurant... Après Ensenada, l’autoroute se transforme en nationale et devient la route 1, la seule qui descend toute la Baja.

On longe un moment l’océan. Celui-ci est régulièrement bordé par des petites stations balnéaires composées de quelques immeubles avec vue sur la mer et de nombreux RVs parcs. Mais les plages sont vides et sales et il n’y a pas un touriste à l’horizon. Il se dégage de ces petites stations un véritable sentiment d’abandon. Ces endroits, qui ont dû être auparavant très fréquentés, sont aujourd’hui déserts et reflètent les conséquences des troubles qui agitent le pays. 

On quitte ensuite l’océan pour s’enfoncer dans l’intérieur. La route traverse une enfilade de petites villes qui ne sentent pas vraiment la société occidentale de consommation. A part la Ruta 1 qui est goudronnée, la plupart des routes sont en terre. Elles sont bordées par des maisons à l’aspect précaire et rustique, et fréquentées par des voitures un peu déglinguées. Il n’y a plus de doute, on n’est plus du tout aux Etats-Unis. Mais c’est une ambiance qui ne nous dépayse pas et qui nous rappelle bien des endroits. Là encore les gens n’affichent aucune hostilité. Mais quand on leur demande s’il y a des risques à voyager au Mexique, et si l’on doit faire particulièrement attention sur la route, ils nous répondent tous unanimement que « Ici n’est pas pire qu’ailleurs ». On ne sait pas bien à quel « ailleurs » ils font référence, et quand on essaie d’en savoir plus ils deviennent très vagues. De ce que l’on a déjà vu de la route, celle-ci a l’air fréquentée et on ne doit pas craindre d’embuscade dans la journée, mais ça nous conforte quand même dans l’idée de ne pas traîner et d’atteindre le spot avant la nuit. On a quand même droit à plusieurs barrages de militaires lourdement armés qui arrêtent les véhicules pour les contrôler. 

Un peu plus loin, les villages s’espacent et la route serpente entre des collines. L’environnement devient aride et la végétation se fait plus rare. C’est le début du désert de Baja California. Il ne fait pourtant pas trop chaud, certainement grâce à l’influence du Pacifique tout proche.

En arrivant à San Quintin, on trouve facilement la pharmacie où doivent normalement nous attendre les comprimés de Nouky. Mais elle est toute petite et sur les étagères on ne voit que très peu de médicaments. On se dit alors que c’était bien audacieux d’espérer trouver quoique ce soit ici, surtout pour un chien, et on commence à regretter notre choix. Pourtant, dès qu’on se présente, la  pharmacienne  nous sort la boite qui était bien rangée à l’écart. On fait la grimace devant le prix qui diminue du coup un petit peu. Ah les pays où il est toujours possible de discuter ; ça nous manquait. On paye, on remercie vivement et on repart illico.

On arrive à El Rosario, le dernier village avant San Carlos, à 13 heures. On a mis sept heures depuis San Diego, ce qui n’est pas si mal et nous laisse encore suffisamment de temps devant nous. Le village est un petit pueblo plein de poussière et en le traversant, on se dit qu’on a bien fait de faire un max de provisions… On tourne un moment pour trouver la piste qui doit nous mener au fameux spot, mais pas facile dans un village où toutes les routes sont des pistes de savoir laquelle est la bonne. On demande notre chemin aux locaux, mais personne ne semble savoir qu’il y a un spot de windsurf dans le secteur. Un gros doute commence à nous envahir… On va, en dernier recours, se renseigner à la « délégacion », la police locale. Là encore le policier ne voit pas du tout de quoi on parle. Je commence à franchement désespérer, mais il fait appel à un collègue qui semble, enfin, voir de quoi il s’agit. Il m’explique qu’il faut continuer vers le Sud et que la piste devrait (!?) se trouver entre les kilomètres 70 et 75. Il me dit « C’est facile, lorsque la route arrive sur un grand plateau, c’est sur la droite, il y a un panneau. Si tu dépasses le kilomètre 75, fais demi-tour, c’est que tu l’as loupé ». On prend donc la direction du Sud en croisant les doigts pour qu’il ne se soit pas trompé.

Après El Rosario, la route s’enfonce dans le désert et devient aussi peu peuplée que le paysage qui nous entoure. Le kilomètre 70 passe, puis le 75, et toujours rien. Il y a bien une piste ou deux sur la droite, mais elles sont complètement défoncées et semblent impraticables. Encore une fois, on commence à douter. Impossible pourtant de l’avoir loupée, mais s’il fallait prendre les pistes précédentes, on peut commencer à faire une croix sur San Carlos... On continue encore un peu notre route qui semble s’élever vers un plateau en se disant que si après celui-ci il n’y a toujours rien, on fera demi-tour. Heureusement, au kilomètre 80, on découvre enfin le panneau tant attendu qui indique la Punta San Carlos ! Ouf, on est soulagé de l’avoir trouvé, même si le panneau nous confirme bien les soixante kilomètres. On avait l’espoir que ce soit un peu plus court, mais non, c’est bien soixante kilomètres de piste qui nous attendent, et en camping-car on sait que ça peut être très long…

Il est 14 heures lorsque l’on s’engage sur la piste du plus célèbre spot de Baja. J’avais espéré que ce serait une bonne piste de terre bien tassée. Malheureusement, les vagues du Pacifique se méritent et il faut souffrir pour les atteindre, car c’est une piste pleine de cailloux qui nous accueille. Passé un premier moment d’euphorie à admirer le désert qui nous entoure, on déchante très rapidement. Winnie tremble et chahute à chaque pas. Deux options s’offrent alors à nous : soit rouler très vite pour atténuer les chocs dus aux cailloux, ce qui fonctionne très bien pour un pick-up, mais réduit à une chance sur deux la possibilité d’arriver avec un camion en un seul morceau, soit rouler très doucement. Si on ajoute à ça l’absence de cric qui nous aurait permis de changer une roue, on n’a plus vraiment le choix, on est contraint de choisir la deuxième option. On roule donc au pas et l’aiguille du compteur ne fait même pas l’effort de se soulever, ce qui n’est pas sans nous rappeler l’Amérique du Sud. On le savait pourtant, camping-car et tout terrain ne riment pas. Mais nous voilà repartis dans la galère des pistes ; les expériences passées ne servent-elles donc pas… ?

En attendant, on roule tellement doucement que l’on n’a même pas l’impression d’avancer. Nouky, qui n’en pouvait plus d’être enfermé, se balade tranquillement devant nous et s’arrête de temps en temps pour nous attendre. Il nous jette des regards qui en disent long sur notre allure. Mais dès que je tente d’accélérer, le camion tremble dans tous les sens et semble tellement gémir que je suis obligé de ralentir. Au bout d’une heure, je m’aperçois qu’on a à peine fait cinq miles, soit sept kilomètres. A ce rythme, il va nous falloir presque dix heures pour arriver au spot, et donc rouler de nuit. En plein désert, au Mexique, c’est de la folie. Je ne veux pas nous faire courir ce risque et préfère faire demi-tour, même s’il faut renoncer aux vagues du Pacifique. Je réveille Laeti qui avait assez rapidement abandonné le siège de copilote pour un petit somme, et lui fait part de mon constat. Mais elle se sent de continuer. Elle me rappelle que l’on a planifié tout notre voyage en fonction de San Carlos et que l’on rêve de ces vagues depuis si longtemps qu’il serait dommage de faire demi-tour si près du but. Pendant que l’on cogite sur le bord de la route, une voiture arrive dans un nuage de poussière et s’arrête à notre côté. Ce sont des mexicains qui se rendent au camp de pêcheurs voisin du spot. Ils sont très sympas et nous expliquent que sur la piste ne passent que des travailleurs, comme eux, qui vont soit au camp des pêcheurs, soit au camp des ramasseurs de pierres. Ils nous assurent que tout le monde se connait, qu’il n’y a pas de danger, et qu’il y a toujours quelqu’un qui va passer dans la journée en cas de problème. Ils nous rassurent également en affirmant que sur le spot il y a de nombreux camping-cars et que la piste ne se dégrade pas trop par la suite. D’après eux, en roulant doucement, ça devrait passer sans problème. Et pour finir, ils nous montrent qu’eux non plus n’ont pas de roue de secours…

Ok, si d’autres l’ont fait, on doit pouvoir le faire. On reprend donc la piste, ou plutôt le calvaire… Un peu plus loin, j’arrête une deuxième voiture dont le gars, encore un pêcheur sympa, me tient le même discours que ses collègues. Ça nous conforte dans l’idée de continuer, mais on se promet de ne plus jamais se mettre dans de pareilles positions. Il y en a marre des situations délicates et des trips galères !

A un moment, la piste devient sablonneuse et un poil meilleure, ce qui nous permet d’augmenter notre moyenne. A cette allure, le moindre kilomètre heure de gagné compte. Mais la joie est de courte durée, et le sable redonne vite sa place au tapis de cailloux. C’est alors une véritable guerre des nerfs qui s’engage entre la piste et nous. Objectif : ne pas craquer. Ton pied a envie d’enfoncer la pédale et d’accélérer comme un fou, mais il faut retenir cette pulsion et voir le paysage défiler au ralenti. A 17 heures, cela fait trois heures que nous roulons sur la « dirt road » et nous n’avons fait que trente kilomètres. On n’est donc qu’à la moitié du chemin et devant nous la piste se détériore. On se redemande alors si l’on a fait le bon choix, mais au point où on en est, ça ne servirait à rien de faire demi-tour. On continue donc la torture. Mais pour rajouter à l’énervement qu’entraînent inévitablement trois heures à se faire secouer dans tous les sens, il y a des pistes qui partent de tous les côtés, sans aucun panneau. Notre instinct nous dicte de rester sur la piste principale, mais on maudit les gars de Solosports, le surfcamp situé sur le spot, qui n’ont même pas pris la peine d’indiquer le chemin. La route est déjà suffisamment longue comme ça pour ne pas la prolonger par des erreurs d’itinéraire. Pour s’encourager, on se repasse dans notre tête les vidéos que l’on a vu du spot, et on se dit que si les vagues sont à la hauteur de ce supplice, elles doivent être vraiment fabuleuses…

Toute notre attention se porte sur la route, au point qu’on en oublie d’apprécier le paysage alentour qui est pourtant magnifique. La route traverse une région sauvage et complètement désertique, et chemine entre mesas et petits canyons. Par endroits, elle est bordée par d’énormes cactus multi centenaires, de gigantesques candélabres de plusieurs mètres de hauteur. Mais voilà, le chaos des cinq tonnes de métal sur la piste, le train avant qui claquent brutalement dans les trous, et l’habitacle qui tremble et vibre au point qu’on a l’impression que tout va se démantibuler ne nous laissent pas beaucoup de répit. D’autant que l’heure tourne et la nuit approche. Mais la piste n’en finit plus. Plus on s’approche du but, et plus on a l’impression de s’en éloigner, comme dans un mauvais cauchemar. On sent la mer et on la devine derrière les collines. On aimerait y aller en traçant au plus court mais au lieu de cela, la piste replonge vers l’intérieur des terres et disparait au loin. Ça nous rend dingue car d’après mes calculs on devrait être tout proche, mais toujours pas d’océan en vue. On commence à se dire que l’on s’est peut-être trompé d’itinéraire, d’autant que l’on a délaissé une heure auparavant une piste en bon état, quand on aperçoit enfin un panneau indiquant le camp de Solo Sports. Mais le panneau est complètement défoncé et c’est vraiment difficile de comprendre quelle piste il indique. Le soleil offre ses derniers rayons et on n’aperçoit ni camping-cars, ni planchistes, ni même l’océan. La piste devient même pire qu’ailleurs en franchissant un canyon horriblement étroit, en dévers et dans d’énormes cailloux. Après ce dernier calvaire, on découvre, enfin, le camp et quelques vans. Ouf, on est soulagé et éreinté! Après six heures de piste et plus de treize heures de route, on tire enfin le frein à main. Pour le reste, on verra demain…

Jeudi 28 juin : San Carlos

Après une bonne nuit, on découvre à notre réveil le site de San Carlos. Devant nous s’étire une longue plage quasi rectiligne autour d’une grande baie. Celle-ci est fermée au vent par un îlot qui est un véritable repère de pélicans et par le campement de Solosports. Sous le vent, elle est délimitée par une pointe qui la sépare de plusieurs petites baies qui s’étendent jusqu’à un camp de pêcheurs. Celui-ci est surplombé par d’immenses mesas qui plongent dans la mer. Nous sommes à priori chanceux car la présence de sable est exceptionnelle. Il a dû être entraîné par les tempêtes de l’hiver car, d’après les habitués, il n’y a normalement pas de plage, seulement de gros blocs de rochers. Loin des plages paradisiaques des Caraïbes, celle-ci est jonchée de cailloux assez plats et de sea-weed, ces algues marines longues de plusieurs dizaines de mètres qui ont leurs racines dans le sable et dont l’extrémité vient flotter à la surface. Inexistante à marée haute, la plage est surplombée de falaises d’environ quatre à cinq mètres de hauteur sur lesquelles nous nous sommes installés. Le spot est entouré de collines, vallées et mesas désertiques peuplées uniquement de cactus, serpents, scorpions et coyotes. Le cadre est complètement sauvage et donne une sensation de bout du monde. Et on peut affirmer que l’on a connu des bouts du monde beaucoup moins isolés que celui-là !

On fait très vite connaissance avec les autres planchistes. Il faut dire que ça va assez vite puisqu’il n’y a que trois autres camions autour de nous. Ce sont tous des habitués du spot. Bill, 66 ans, de Virginie, qui passe six mois de l’année ici depuis dix ans. Bary et Sally, la petite soixantaine, dans un school bus aménagé, qui viennent une dizaine de jours quatre à cinq fois par an depuis… 35 ans ! Paul, l’ermite, à l’écart des autres, qui passe la moitié de l’année sur place depuis une trentaine d’année également. Voilà pour les piliers. Pour les autres campeurs… il n’y en a pas. Solo n’a pas de clients mais Neil, son gérant, s’occupe de préparer l’arrivée prochaine de quelques « guests ». Le camp se compose d’un bar devant lequel se trouve une esplanade sur laquelle Neil monte des tentes lorsqu’il y a des clients. L’ensemble est assez rustique… Certes les clients arrivent par avion privé, mais après c’est à la roots… Enfin on verra plus tard que si les tentes ne semblent pas très confortables, le patron sait aider ses clients à s’endormir à coup de Baja Fog, la boisson locale à base de tequila. Il a su également choisir une bonne cuisinière qui régale ses invités et propose une quantité assez hallucinante de matos. En attendant, tous se montrent très accueillants et assez surpris de voir des français sur leur spot. Ce qui est par contre effrayant, c’est la moyenne d’âge… On parait des minots à côté d’eux. Le windsurf se meurt-il… ?

En fin de matinée, le vent commence à se lever et s’oriente side-off shore. Les vagues sont petites mais elles permettent quand même de voir les différents spots dans le spot. Tout au vent, devant l’îlot, casse la vague de Bambora, aux forts relents de guano, qui est plutôt une grosse vague de saut. Viennent ensuite les vagues de la plage, « the main wave » qui déroule sur le banc de sable en deux sections, et plus bas la vague de The Point, qui casse devant la pointe sous le vent et déroule dans l’autre baie en se terminant par le fameux Chili Bowl. D’après les locaux, lorsqu’il y a du swell, toutes ces vagues peuvent se connecter pour enchaîner les rollers à l’infini. On se dit un peu qu’il n’y a pas qu’à Marseille qu’il y a des marseillais, mais on ne demande qu’à voir ça.

En attendant, le vent se lève de plus en plus et nous faisons notre première nav en 4.7 et 3.7. Les vagues sont petites mais l’orientation est parfaite et on se fait déjà bien plaisir sur la vague de la plage. On est accompagné par les pélicans mais aussi, comme au Chili, par les phoques, car l’eau est… très froide. En naviguant ça va encore mais quand on tombe on ne traine pas. On se bénit ainsi d’avoir trimballé nos combis 5/3 mm jusqu’ici.

Vendredi 29 juin : El Rosario

Aujourd’hui le vent s’annonce fort. Il souffle depuis la veille et a à peine faiblit quelques heures au petit matin. Les quelques heures de répit de la matinée, celles qui nous laissent un peu profiter du généreux soleil, sont donc courtes, car le vent est froid et humide, vu qu’il passe sur l’océan avant de nous rejoindre. En tout cas, aujourd’hui nous ne sommes pas pressés d’aller à l’eau car il n’y a pas beaucoup de vagues. On grée donc tranquillement dans l’après-midi.

Avant de se mettre à l’eau on discute un moment avec Bary et Sally quand Paul et Uggy, son énorme chien noir, viennent se mêler à la conversation. On papote tranquillement quand soudain Uggy se jette sur Nouky. Devant l’imposante stature de l’adversaire, notre poilu ne fait pas le poids. On tente de les séparer, moi en essayant d’attraper notre bestiole pendant que Laetitia essaie d’écarter l’autre. Paul lui est complètement paniqué, et ne trouve rien de mieux à faire que de donner des coups de pied à Nouky, pourtant déjà au sol. Même quand j’arrive à choper Nouky, Uggy continue encore à le mordre. Une fois la bataille calmée, on court mettre notre chien à l’abri dans le camion, mais on s’aperçoit vite que quelque chose ne va pas. Il tient sa patte avant immobile et est incapable de s’en servir. Il a mal quand on le touche et un os ne parait pas en place. Avec notre mauvaise expérience au Maroc quelques années auparavant, on voit rouge. Le scénario se reproduit. Patte cassée, endroit isolé, grosses galères en perspective. Pour le moment, il faut trouver un véto, et vite. Impossible de perdre six heures sur la piste, d’autant qu’il est déjà quatre heures de l’après-midi. On va voir Paul qui, une fois remis, reconnaît plus ou moins ses torts et accepte de nous amener dans son pick-up jusqu’à El Rosario. On se serre à l’avant avec Nouky allongé entre nous. Il n’a pas l’air très bien, ce qui ne nous rassure pas. Notre chauffeur quant à lui, roule vite, très vite. Mais on s’en aperçoit à peine car, entre deux chaos sur la piste, nous nous faisons tous les scénarios possibles et bien sûr pas les plus roses. On se voit déjà reprendre la piste avec Winnie et remonter à San Diego faire soigner le chien. De plus, le weekend-end commence, ce qui ne va pas simplifier les choses. On s’attend donc à galérer, à payer des milliers de dollars pour l’opération, à faire une croix sur San Carlos après à peine deux jours sur place, et on pense surtout à Nouky qui se passerait bien d’une deuxième fracture…

Après une heure et demie dans la poussière, nous arrivons à El Rosario. On doute de trouver un véto dans ce bled et pensons qu’il va falloir tirer jusqu’à San Quintin, à une heure de route. Par précaution, on se renseigne tout de même auprès des habitants qui nous indiquent qu’il y a bien une personne au village qui soigne les animaux. On se rend donc à l’adresse indiquée et on arrive devant une maison plus que modeste, sans panneau ni nom. On frappe à la porte en se disant qu’il va vraiment falloir aller à San Quintin, quand une femme s’approche. On lui explique rapidement notre cas. Elle semble réfléchir un moment puis nous explique qu’elle soigne habituellement les vaches, qu’elle n’a pas de radio, mais qu’elle connaît aussi les chiens et nous propose d’ausculter Nouky. On lui amène notre blessé et la regardons, un peu surpris, l’allonger dans la benne pourrie de son pick-up. Elle promène longuement sa main sur son épaule et sa patte pendant que nous attendons le souffle coupé son verdict. De lui va dépendre toute la suite de notre voyage. Enfin, elle nous annonce qu’il n’y a rien de cassé, que la douleur est due à l’inflammation causée par le choc et qu’il faut seulement bien nettoyer la plaie. On n’ose y croire. Ne voulant prendre aucun risque avant de retourner dans notre repère du bout du monde, je lui pose dix mille questions et l’oblige même à recommencer dix fois l’auscultation. Je lui fais toucher à plusieurs reprises l’endroit qui me semblait suspect mais elle est formelle, tout fonctionne bien.

Elle propose de désinfecter la plaie et nous demande d’aller acheter quelques produits. Je trouve tout dans une « pharmacie » tenue par des adolescents qui ressemble à une case et sans aucune inscription. A mon retour, elle noie la plaie dans une solution de type Bétadine à même la taule pleine de poussière de son pick-up qui se colore petit à petit, et lui fait une piqure d’antibiotique. La scène a quelque chose de surréaliste mais nous sommes trop préoccupés pour relever. Elle nous conseille de bien lui laver la blessure et de lui refaire des piqures pendant deux jours. On reprend la piste en sens inverse plus soulagés, mais on attendra quand même de le voir gambader avant de crier victoire.

Samedi 30 juin : Rencontre involontaire

Les jours passent et nous commençons à prendre nos repères sur le spot. Le vent souffle fort et nous sortons les petites voiles, mais les vagues ne sont pas encore au rendez-vous. Pour nous faire patienter, tout le monde nous reparle de ces vagues incroyables qui déroulent de Bambora jusqu’aux pêcheurs les jours de gros. On dirait qu’ils se sont donnés le mot et tous les superlatifs y passent. D’après eux, Punta San Carlos est « the place to be ». Sauf que, pour le moment, c’est plutôt plat…

Ne voyant toujours pas de crêtes fumantes à l’horizon, on décide d’aller explorer le désert alentour et les collines qui surplombent le campement. On doit y avoir une jolie vue sur le spot. On part donc tous les deux en laissant Nouky au camion. Il commence à peine à poser la patte et il est encore trop tôt pour le faire courir. On emprunte une large piste qui commence par grimper sévèrement et où l’on a naturellement le regard qui plonge sur nos pieds pour mieux les encourager à gravir la pente. Tout d’un coup Laeti, qui était à quelques pas devant moi, fait un bond, m’attrape par le bras et m’entraîne en arrière. Je me laisse faire sans trop comprendre mais en relevant les yeux je découvre, au beau milieu du chemin, un serpent à sonnettes dressé sur ses anneaux et prêt à bondir ! On a vraiment eu chaud. Laeti qui marchait tête baissée a bien failli lui mettre le pied dessus. C’est un petit bruit de pierre qui lui a fait lever les yeux alors que le serpent ne se trouvait plus qu’à deux mètres d’elle. En tout cas ce dernier est au milieu du chemin et ne semble pas vouloir en bouger. Comme on ne tient pas à contrarier ce colérique habitant local, nous arrêtons net la ballade et retournons sans traîner au camion. On a assez d’ennuis comme ça pour se les chercher, et nos ballades s’arrêteront désormais aux limites de la plage…

Sur le chemin du retour on repense à notre rencontre. On se dit que Nouky, qui court toujours devant nous, aurait trouvé le premier le serpent. Vu son attrait pour tout ce qui bouge, il aurait certainement voulu jouer avec le sonnette qui ne l’aurait pas vu du même œil. On se dit alors que sa blessure, qui nous est apparue comme une nouvelle tuile, lui a finalement peut-être sauvé la vie…

Mardi 3 juillet : Chili Bowl

Ce mardi le vent est plus léger, pour 5.3 et 4.2, mais il y a un peu plus de vagues. On descend à la rencontre du fameux Chili Bowl qui est encore petit mais commence à marcher. Dans cette baie, sous le vent du spot, le vent accélère entre les falaises et est quasi off-shore. Il creuse la vague qui déroule d’abord le long de la côte avant de se terminer par un bowl. Même de petite taille, la vague est sympa. Elle laisse présager de son potentiel et on y fait quelques bons surfs.

Mercredi 4 juillet: Sam is here !

Après de multiples incertitudes et déconvenues avec les potes qui devaient l’accompagner, Sam a enfin trouvé un copilote pour descendre en Baja. Il va finalement venir avec Jeff, un surfeur et planchiste de San Diego. Ils profitent tous les deux de la fête nationale américaine du 4 Juillet pour se faire un gros week-end et nous rejoindre. Ça fait vraiment plaisir de retrouver Sam ici, d’autant plus qu’il nous parlait de San Carlos depuis des années et attendait une occasion pour y venir. Malheureusement, le jour de leur arrivée le vent est tombé mais ils peuvent quand même s’offrir une petite session de surf.

Le vent revient dès le lendemain. On ressort les grandes voiles pour une session à Chili Bowl sous l’œil de Sam et Jeff. Les conditions sont sympas mais sans plus. Même si la météo annonçait du swell jusqu’à 18 secondes de période, les vagues restent encore petites. Du coup, tout le monde est assez dépité mais une bouteille de rouge amenée par Sam nous fera, le temps de la soirée, oublier cette déconvenue.

Vendredi le vent est bizarre. Quelques gars rident la « main wave » mais ils ont des six mètres et ne planent pas. Le vent a du mal à s’établir au bord alors qu’il semble bien fort au large. On fait confiance à notre instinct et aux moutons qui déferlent serrés au loin, et on part en 4.7 et 3.7 vers The Point. Plus on descend, plus on prend le vent et on se retrouve bientôt à fond ! On a alors droit à une incroyable happy hour dans un vent établi et seuls à l’eau. On prend vague sur vague dans des séries de deux mètres et on commence enfin à découvrir San Carlos ! Devant The Point pète une première section. La vague déroule près de la falaise dans une partie déventée. Elle est lisse comme un miroir et on peut déjà y faire quelques délicieux rollers. Puis, on récupère du vent. Il faut alors faire du down the line pour passer une section molle jusqu’au Chili Bowl où, après un aerial, on peut envoyer quelques gros cut back sur l’épaule. La vague est lisse et le vent quasi off, du pur surf 100 % Baja adrénaline !

Samedi 7 juillet : PSC on fire

Après la journée d’hier, tout le monde est plus détendu. D’autant qu’au réveil, une chose est sure, le swell arrive ! Le vent s’annonce aussi de la partie et souffle déjà. Sam et Jeff partent pour une session matinale alors que l’on attend que le vent s’établisse. Il prend les tours dans l’après-midi et on sort les 4.2 et 3.3. Un peu fort au début, le vent baisse ensuite d’un poil. Il est toujours parfaitement side-off. Les vagues, elles, grossissent et atteignent « logo high », soit un bon trois mètres ! On décide de rester sur la vague du haut qui déroule devant le camion. Malgré le vent fort, la vague est super propre. Elle déroule à souhait et nous offre une superbe épaule bien tendue. De quoi envoyer de gros buttoms full speed et enchaîner les rollers. On ne peut retenir un cri de joie en sortie de vague, synonyme de session mémorable. Du coup, on fait tirer la session jusqu’au coucher du soleil dans une lumière sublime. On est comblé. On a vu PSC fonctionner et elle vient de nous offrir une session d’anthologie. Ce spot est vraiment démentiel et c’est sans doute le meilleur que l’on ait ridé jusque-là !

Dimanche 8 juillet :

Sam et Jeff reprennent la route pour San Diego. Ils bossent dès le lendemain mais ont bien amorti leur séjour. On est très heureux d’avoir pu passer quelques jours ensemble et d’avoir eu de superbes conditions. Pour nous, ça continue avec encore du vent fort pour les petites voiles, mais un petit peu moins de vagues. On retrouve des conditions plus « normales » pourtant bien sympas, mais qui  après ces deux derniers jours, manquent de frissons…

Lundi 9 juillet :

Le vent est toujours présent mais une mauvaise nouvelle nous attend dès le matin. Grâce à Bill, notre voisin sexagénaire, on a un accès internet. On n’y croyait pas au début tant on est perdu au milieu du désert, mais il a bien une coupole avec connexion satellite, le tout fonctionnant à l’aide de panneaux solaires ! Quand il fait beau, il met donc à disposition son wifi, ce qui est très pratique pour tous ses voisins. Ce matin donc, en regardant nos mails, on découvre avec stupeur que la personne qui devait ramener Nouky de New York en France a foiré sa réservation et a pris une compagnie n’acceptant pas les chiens. Nous avions convenu qu’en échange d’une participation financière de notre part, elle nous rejoignait à NY et repartait avec le chien. Nous aurions pu rapatrier Nouky par nos propres moyens via un transporteur, mais comme ça revenait au même prix que de payer une grosse partie d’un billet d’avion, on s’était dit qu’il valait mieux faire plaisir à quelqu’un. On avait tout prévu avec elle dès Porto Rico et avions réservé nos billets de cargo en fonction. Nous étions donc censés ne plus nous occuper de notre retour, notre trip étant booké et budgété jusqu’à la fin. Or là, catastrophe. Tous nos plans tombent à l’eau. On n’a plus aucun moyen de ramener Nouky, le transporteur n’ayant plus de place à ces dates-là, et nous n’avons que quatre jours pour trouver une solution. Au-delà, nous ne pourrions plus annuler le cargo sans perdre la totalité du versement. Mais quand on est à huit mille kilomètres et neuf heures de décalage avec la France, avec pour seul moyen de communication une connexion qui dépend de l’heure de réveil de son propriétaire ou du taux d’ensoleillement, ce n’est pas évident. C’est donc prise de tête sur prise de tête, et on a beau remuer ciel et terre, on ne trouve pas de solution en si peu de temps. Seule issue donc, vu qu’on ne se résout pas à abandonner notre chien aux USA : annuler le cargo, perdre la moitié du prix du billet et prendre un vol pour la France. On est vraiment dégoutté. Laetitia ne voulait vraiment pas reprendre l’avion, et encore moins sur une ligne aussi longue, et avec tout notre barda, ça s’annonce compliqué. De plus, on avait vraiment envie de s’offrir le cargo comme transition avant le retour à la vie « normale ». On se retrouve donc encore une fois à modifier nos plans et à devoir assumer d’importants surcoûts à cause d’éléments extérieurs, et tout ça pour avoir voulu faire plaisir…

Vendredi 13 juillet : Session surprise

Ça y est, le cargo est annulé et on a réservé nos vols Washington – Paris avec Air France pour le 20 août. La pilule a vraiment du mal à passer mais on n’a pas d’autre choix que de ruminer notre colère en attendant que ça passe. Pour nous consoler, San Carlos, où tout est toujours possible, nous offre une session aussi incroyable qu’improbable. Alors que depuis notre réveil le temps était bouché avec du brouillard et du vent on shore, le ciel se dégage tout d’un coup. En cinq minutes, le vent change de direction et s’oriente, et quelques moutons apparaissent au loin. Les vagues sont consistantes depuis ce matin, alors ça peut peut-être le faire. On sort nos grandes voiles et on part à l’eau. Le vent est trop léger pour planer mais il nous permet de tenir suffisamment sur nos planches pour tirer des bords. On descend directement à The Point où les séries semblent les plus grosses. Arrivés en bas, on découvre de belles vagues avec des séries entre 1 m 50 et 3 m ! La pression monte à chaque fois que l’on distingue un set qui dépasse de l’horizon car sans planer on est plus vulnérable, et une erreur de placement coûte cher. On prend la vague devant The Point et la puissance de celle-ci nous permet de faire deux à trois rollers dans la section complètement déventée par la falaise. C’est surréaliste, la vague est complètement lisse, il n’y a pas une risée, mais les mètres cubes d’eau qui nous poussent aux fesses nous donnent assez de vitesse pour créer notre propre vent. Passée la dévente, on abat down the line pour aller taper le bowl et grignoter quelques rollers sur l’épaule. Encore une session mémorable, pur surfsailing, où l’on remonte tranquillement au peak en voyant dérouler des vagues parfaites.

Samedi 14 juillet :

Aujourd’hui, on laisse le plan d’eau aux quelques kiteurs clients de Solo. Il y a un poil de vent mais pas de vagues exploitables en windsurf. On squatte donc la falaise et on tourne dans le campement pour discuter avec les riders locaux. Même si au final nous ne sommes jamais très nombreux, on voit arriver et repartir pas mal de monde. En général, les américains n’ont que peu de vacances et ne descendent que pour des séjours courts, en moyenne de quatre ou cinq jours. Du coup, sur le spot, ça brasse pas mal. Avec l’arrivée de l’été et des vacances, la moyenne d’âge a chuté. Mais malheureusement, on constate que ce sont les plus âgés qui planchent, les autres ayant tous irrémédiablement switchés pour le kite…

La météo est optimiste pour les jours à venir en prévoyant l’arrivée de swell, on profite donc de cette journée pour traîner un peu et se reposer. De toute façon, à San Carlos, lorsque l’on n’est pas sur l’eau, il n’y a pas grand-chose à faire. La couleur et la température de la mer n’encouragent pas vraiment à aller se baigner et notre rencontre avec le serpent nous a passé l’envie d’aller nous promener dans le désert. Du coup, on papote avec les voisins, on bouquine, on fait la sieste, on repapote, on lance des baballes à Nouky et on répare des bricoles sur le camion. Parfois, des dauphins viennent s’amuser dans les vagues à notre place et nous offrent un joli spectacle pendant un moment. Si sur la terre la faune est discrète et peu hospitalière, dans l’eau elle est beaucoup plus importante. Des patrouilles entières de pélicans survolent en permanence le spot en se laissant planer à la crête des vagues. Il n’est pas rare non plus de faire son buttom autour d’un petit phoque qui nous regarde tout étonné, mais pas le moins du monde effrayé. On dirait vraiment qu’ils ont pris l’habitude de voir des planchistes et se montrent très curieux. Quant à la grande faune sous-marine, celle que l’on ne souhaite pas croiser, on ne l’a pour l’instant pas rencontrée. Même si les pécheurs affirment voir des grands blancs, les riders locaux nous assurent qu’aucun n’a jamais pointé son museau sur le spot. On ne cherche pas à en savoir davantage… Et comme ils disent ici : « Happy seals mean no shark », tant que les phoques sont joyeux, c’est qu’il n’y a pas de requin dans le secteur. Donc dans le doute, sur l’eau, on fait des petits bords, on évite d’aller faire nos réglages au large et on observe attentivement les mimiques des phoques pour savoir s’ils ont l’air heureux…

Dans l’ensemble, la vie à San Carlos est particulière. On y est totalement isolé. Il n’y a pas un commerce, pas une construction, pas un habitant, et à part le bar de Solo qui sert ses Baja Fog dès que le soleil se couche, il n’y a rien. Juste un petit bout de falaise balayé par le vent et coincé entre le désert et l’océan où squattent quelques camions. On doit donc vivre en complète autarcie. Aussi il se crée une sorte d’entraide implicite. Les gens se dépannent naturellement les uns les autres. Par exemple, la coutume est de laisser en partant tout ce que l’on peut laisser à ceux qui restent. On récupère donc assez régulièrement de l’eau et de la nourriture de gens qui partent et qui souvent les avaient déjà reçues d’autres gens… Et chacun partage ce qu’il a reçu avec ceux qui restent. Dans ce système, on ne s’en sort pas trop mal, vu qu’à part Bill, c’est nous qui restons le plus longtemps.

On arrive aussi à se débrouiller avec les pêcheurs qui passent de temps en temps vendre leur pêche. On s’est ainsi récupéré une énormissime langouste que l’on a engloutie avec Sam. Et du poisson frais aux filets gros comme des côtes de bœuf aux moules géantes que l’on va ramasser à marée basse, on n’est pas trop à plaindre…

Jeudi 19 juillet : Repos…

Aujourd’hui, il n’y a ni vent ni vagues. C’est donc repos total après trois belles journées de nav. En effet, le swell annoncé par la météo est bien arrivé en début de semaine. Il nous est monté tout droit d’une tempête tropicale qui est passée au sud du Mexique. Le vent est resté léger, entre dix et quinze nœuds, mais suffisant pour sortir en 5.3 et 4.2. Pas assez toilés pour planer mais assez pour remonter au peak, on a pu s’offrir encore d’incroyables sessions de wavesailing. Sans jamais être plus de quatre à l’eau, on a enchaîné les sessions. Et encore une fois, San Carlos s’est montré généreux ; vague ultra lisse, séries à trois mètres, vent side-off, lèvre fumante et épaule tendue, le paradis. Un coup devant la plage, un coup en bas à s’envoler sur le bowl, on est comblé. A chaque session, on prend tellement de vagues parfaites qu’on en deviendrait presque blazé. On se surprend à délaisser certaines vagues ou à râler quand on n’arrive pas à prendre la plus grosse. Ce n’est que le soir, quand on regarde les photos sur lesquelles la lèvre est les ¾ du temps au-dessus de nos têtes, que l’on se rend compte de la taille : ah ouais quand même ! San Carlos est donc un fabuleux wave park du bout du monde où une fois le droit d’entrée acquitté, le passage de la pire piste de l’histoire, tu peux enchaîner les plus belles sessions de ta vie de planchiste... !

Samedi 21 juillet : balai aérien

Depuis hier le vent souffle mais les vagues restent petites. On se fait quand même quelques petites sessions tout en assistant à un véritable balai aérien au-dessus de nos têtes. Chaque samedi, on a l’habitude de voir arriver vers 13 ou 14 heures le petit cesna qui amène les guests de Solo depuis San Diego. En quelques heures à peine, les gars se retrouvent sur le spot, frais et dispos pour naviguer. Mais mieux encore, ce sont les planchistes qui descendent juste pour le week-end avec leur propre avion qu’ils garent ensuite derrière la plage. La super classe… Mais à chaque fois on tremble un peu pour eux. Les avions doivent se poser face au vent sur une petite piste de terre délimitée par de gros cailloux blancs. Mais étant donnée leur petite taille, ils se font vraiment chahuter par le vent et tanguent de manière impressionnante avant de se poser. En attendant, aujourd’hui c’est un véritable défilé dans les airs. Quatre coucous se sont posés les uns derrière les autres sur la piste. La faute à Matt Pritchard, windsurfer pro, qui vient faire une « clinic » toute la semaine. En planche, on ne sait pas trop pourquoi, on parle de « clinic » pour parler d’un stage ou d’un coaching. Là, c’est un bonus proposé par Solo aux windsurfers qui, moyennant un supplément, peuvent ainsi recevoir durant tout leur séjour les conseils d’un pro afin de se perfectionner.

Dimanche 22 juillet : crowded Chili Bowl

Ce dimanche, en regardant par la fenêtre du camion, on voit que le swell est revenu. Quelques séries frappent The Point et le vent souffle légèrement. On descend donc sous le vent du spot avec les grandes voiles où l’on est très vite rejoint par les membres de la clinic. Le spot devient soudain crowded comme jamais et on se retrouve entouré d’une quinzaine de gars ! Ça fait bizarre et il faut se réhabituer à partager les vagues… On croise pour la première fois Pritchard sur l’eau qui se montre d’entrée très souriant, ça fait plaisir. Est-ce parce qu’on navigue comme lui en Tabou et Gaastra ?

Au milieu de tout ce monde, on arrive quand même à prendre de belles vagues à la pointe et on s’offre quelques aerials spécial Baja. Et je dois avouer que tout au long du séjour Chili Bowl m’a vraiment régalé des plus gros aerials de ma vie de planchiste. Tout simplement « amazing » ! Après quelques rollers à The Point, le bowl commence à se former assez loin sous le vent. On part donc en méga down the line avec un vent qui devient de plus en plus off-shore. Même quand le vent est léger, on prend une vitesse incroyable. On longe la ligne en regardant la lèvre fumer et projeter son spray dans les airs. Puis on frappe la section, bien au-dessus de la tête, et on s’envole littéralement au-dessus du bowl. On a alors l’impression de planer le temps d’une fraction de seconde qui semble durer une éternité, avant de se réceptionner dans la mousse ou sur le plat de la vague. C’est une sensation unique que je n’ai ressentie nulle part ailleurs. Je crois que j’ai fait plus d’aerials à Punta San Carlos que dans tous mes trips réunis…

Mercredi 25 juillet : Sessions du soir

En ce début de semaine, la marée ne redescend qu’en fin de journée, ce qui offre les meilleures conditions pour la session du soir, notre spécialité. Aujourd’hui, le vent est bien établi et l’on peut ressortir nos 4.7 et 3.7. Les vagues oscillent autour d’un mètre cinquante et la session se joue cette fois sur la « main beach ». Il est rare que toutes les vagues fonctionnent en même temps et en fonction de la marée, de la taille et de l’orientation de la houle, il faut choisir entre toutes les sections celle qui offre les plus belles vagues. 

Lundi, mardi et mercredi, nous nous offrons donc trois supers sessions du soir. En fin de journée, la lumière change et éclaire le désert. Le soleil fait alors ressortir le rouge des mesas et le bleu foncé de l’océan, et donne une teinte dorée aux embruns fumants des vagues off-shore. Depuis le plan d’eau, le spectacle est magique. On se sent alors tout petit face à ce décor immense et majestueux qui s’illumine devant nous. Avec la marée basse, les vagues deviennent plus puissantes. Elles déroulent mieux et offrent une belle épaule sur laquelle on se fait d’incroyables surfs. Après près d’un mois à San Carlos, notre carving s’est affuté et on frappe plus fort la lèvre. La session de mardi est vraiment exceptionnelle et on déchire, seuls à l’eau, les vagues jusqu’à la nuit. Même Laeti en a complètement oublié sa peur des requins !

Vendredi 27 juillet : Repas d’adieu ?

Jeudi les vagues sont tombées. On se met quand même à l’eau mais ça n’a vraiment pas la même saveur… D’autant que le compte à rebours est lancé. On a fait tirer jusque-là alors que, sans moyen pour se réapprovisionner, on ne pensait tenir que quinze jours. Mais après un mois, on n’a plus de gaz, plus d’eau, plus de nourriture, plus de fringues, plus d’argent… Bref, ça commence à être la crise. On a de plus devant nous toute la traversée des Etats Unis pour rejoindre la côte Est où l’on doit tenter de vendre Winnie avant notre départ. On vit donc nos derniers jours sur place et on ne pourra malheureusement pas rester pour la compétition qui débute ce week-end. C’est une étape de l’American Windsurf Tour, très suivi aux USA comme en Europe, où de nombreux pros et hawaïens seront présents. Ça aurait été l’occasion de voir naviguer les boss du windsurf et de se faire des contacts… Mais ça nous mettrait vraiment trop à la bourre.

On profite des conditions moyennes pour aller traîner à Solo et faire plus ample connaissance avec Matt Pritchard. Sur terre il se révèle tout aussi sympa que sur l’eau, et le courant passe tout de suite. On discute de toutes sortes de choses, mais évidemment beaucoup de windsurf et de Maui… Il nous complimente sur notre style en surf. Il m’apprend même qu’il m’a filmé ces derniers jours pour faire progresser ses élèves ! Pire que ça, il nous dit clairement que Laetitia doit rester pour la compète. Il n’arrête pas de me dire « she will win for sure ! ». Ouah… ! Venant de lui, on en rougit… En tout cas, ça fait du bien à notre égo, mais mal à notre cerveau, car du coup on va étudier toute la soirée les options possibles pour pouvoir rester, sans succès. On a beau retourner les choses dans tous les sens, il nous faut une semaine pour traverser les states, et pas moins d’une autre pour vendre le RV. En tirant au max on pourrait donc rester deux à trois jours de plus, ce qui ne suffirait pas pour la compète, et ne nous laisserait aucune marge pour la suite… On fixe donc notre départ à samedi matin et on se console un peu en regardant la météo qui n’annonce à priori pas de vrai coup de houle pour la semaine prochaine. Mais quand même, rider San Carlos en partageant les vagues de Levi Siver, sous l’œil de Keith Teboul comme juge, ça aurait été sympa…

En attendant, il n’y a toujours pas de vagues ce vendredi et un vent super fort. On sort quand même, moi en 4.2, Laeti en 3.7 pour dire au revoir au spot. Mais sur l’eau il n’y a vraiment rien d’exceptionnel, alors on rentre assez vite pour commencer à ranger doucement notre bazar. N’ayant pas d’installation comparable à celle des autres campeurs, on fait notre package rapidement, contrairement à Bill qui a mis près de cinq jours pour tout plier. Puis le soir, on retourne au camp de Solo. Kevin, le boss, nous a invités à venir manger pour que l’on goute le fameux poulet au chocolat de sa cuisinière mexicaine et pour qu’on se dise au revoir. Nous ne savions pas que le poulet au chocolat était une spécialité locale (?), et ça ne sent d’ailleurs pas beaucoup le chocolat, mais c’est très bon et l’on est vraiment content de passer cette dernière soirée au camp. On y passe un bon moment entre vin rouge, brownie maison et discussions avec Nico et Sido, un couple de français super sympa en vacances au camp, Pritchard et ses potes, et les élèves de la clinique. Et puis cela donne à Matt l’occasion de nous chauffer encore une fois sur Hawaï. Il nous propose même ne nous aider à trouver logement et petit boulot et nous dit de ne pas hésiter à le contacter au cas où…

Samedi 28 juillet : Le départ

Ça y est, nous sommes arrivés au bout de notre séjour à San Carlos et il est temps de reprendre la route. Dans ce sens, nous ne voulons pas tenter de faire le trajet jusqu’à San Diego en une seule journée. Avec la piste, puis la route, nous risquerions d’arriver dans la zone frontalière en début de nuit et nous n’avons aucune envie de prendre ce risque. Nous planifions donc de faire le retour en deux étapes, une première journée pour la piste et un peu de route jusqu’à San Quintin, où se trouve un camping, puis une seconde journée pour le reste de la route jusqu’à la frontière et le passage de celle-ci. Nous sommes un peu inquiets concernant la frontière car l’on entend toujours parler d’embouteillages monstres et de files d’attentes interminables. En général, il parait qu’il faut compter trois heures pour passer, et cela peut être pire le week-end… C’est pourquoi nous avons longtemps hésité à partir un samedi. Mais partir avant nous privait de quelques journées de planche et en partant après nous aurions été trop à la bourre. Comme de nombreux campeurs habitués des lieux nous affirment que la folie à la frontière ne concerne que Tijuana, mais qu’en passant par un autre poste frontière plus à l’Est, à Tecate, il n’y a jamais de problème, on maintient notre planning. Et ils sont tous formels, passer par Tecate rallonge la route d’environ une heure, mais ensuite le passage se fait en cinq minutes.

Ce samedi matin, on attaque donc la route de bonne heure. On préfère prévoir un peu de marge au cas où l’on aurait un problème, mais on est cette fois-ci beaucoup mieux équipé qu’à l’aller. Sam nous a apporté une bombe anti-crevaison et notre voisin de camp nous donne juste avant de partir un kit de réparation de pneus et une seconde bombe. On fait donc nos adieux au campement. On a un petit pincement au cœur. San Carlos est un spot fabuleux mais il est tellement isolé et difficile d’accès que nous ne savons pas si nous pourrons y revenir un jour. Enfin, après un dernier au revoir au Pacifique, aux vagues, aux phoques et aux pélicans, on se lance sur la piste à la vitesse fulgurante de cinq miles à l’heure. On connait le calvaire qui nous attend mais comme à l’aller on a repéré quelques petits morceaux de pistes parallèles qui semblent en meilleur état, on espère gagner un peu de temps. Pourtant, arrivés au milieu du chemin, il faut se rendre à l’évidence : nous n’allons pas plus vite qu’à l’aller et il va bien falloir payer nos six heures de piste, taxe obligatoire de San Carlos…

En revanche, nous ne sommes plus dans le même état d’esprit. On connait maintenant le chemin et n’avons plus le souci de se tromper ou d’arriver de nuit, à moins de crever deux pneus en même temps comme l’un des coureurs de la compète que l’on croise sur le bord de la route. Cette fois, on peut prendre le temps d’admirer le désert autour de nous. On pousse même le luxe jusqu’à s’arrêter prendre quelques photos des cactus géants. Nous prenons donc notre mal en patience et finissons par arriver à la jonction de la route. Ouf ! Avant d’enchaîner sur le goudron, on sort se dégourdir un peu les jambes et découvrons alors que Winnie a changé de couleur… A l’origine blanc, puis un peu jauni par le temps (23 ans quand même), il est désormais marron ! Il est littéralement recouvert de poussière et on ne peut même plus voir à travers les vitres du fond. Comme on ne peut pas se pointer à la frontière avec un camion aussi sale, on prévoit de faire un arrêt nettoyage avant le camping et on remonte en voiture. Mais en allant chercher un truc à l’arrière, on a la bonne surprise de voir que la poussière ne s’est pas contentée d’ensevelir le camion mais qu’elle s’est aussi incrustée à l’intérieur. Il y a en a… absolument partout ! Un demi-centimètre de sable recouvre les lits, le sol, les meubles et jusque dans les placards, tout est désormais marron. Les seules fringues que l’on n’avait pas utilisées à San Carlos car elles n’étaient pas assez chaudes, les appareils photos, cams et autres, tout est pourri ! Super ! Vraiment, on se souviendra longtemps du spot, mais plus longtemps encore de son horrible piste…

Après une petite heure de route, on arrive au village de San Quintin. On fait un premier stop dans un car wash où une équipe de mexicains nous nettoie l’extérieur du camion. Tel un petit bataillon d’armée ils se répartissent autour de nous. Il y en a partout, sur le toit, sur le capot, à l’arrière. Et à grands coups de jets d’eau, ils nous rendent en moins d’une demi-heure un camion nickel. On ne l’avait jamais vu aussi propre ! Puis, pendant que Laeti s’attaque au nettoyage de l’intérieur, je pars faire quelques courses. En me promenant dans la rue, je me sens à l’aise. Les gens sont sympas, souriants, tranquilles. Les odeurs, les couleurs, les visages, tout me donne envie de revenir un jour. Le Mexique a vraiment l’air d’être un pays magnifique et accueillant. Quel dommage qu’une bande de cinglés tire parfois sur tout ce qui bouge pour des histoires de poudre blanche… J’en profite également pour faire une courte lessive et laver au moins les draps. Sans ça, on aurait vraiment l’impression en se couchant de dormir sur une plage… Pour le reste des dix tonnes de linge sale, on verra plus tard… On arrive également à recharger notre réservoir de gaz et ne serons ainsi pas obligés de manger nos aliments crus… On fait aussi un arrêt chez un garagiste car sur la piste les amortisseurs de Winnie claquaient vraiment très fort et sur le goudron on pouvait entendre des petits bruits de roulement. On préfère donc vérifier ça avant de continuer la route. En arrivant chez le garagiste, on a un peu la sensation d’être la poule aux œufs d’or au milieu de tous les mexicains qui viennent nous entourer, et on s’attend à se faire déplumer. Pourtant, après un rapide examen, le garagiste nous apprend qu’il n’y a rien de grave et qu’il faut juste regraisser tout ça, ce qu’il fait gratuitement en quelques minutes. En partant de chez lui, nous ne sommes pas très sûrs de la fiabilité de son diagnostic, mais en revanche, nous sommes convaincus de sa gentillesse et l’on se dit que certains pays nous ont peut-être rendus un peu trop méfiants… Enfin, après une première journée assez éprouvante, on se rend au camping où l’on prend une bonne et très longue douche chaude, la première depuis… on ne sait même plus quand.

Le jour suivant, on reprend la route très tôt. Il nous reste sept heures de route jusqu’à la frontière, puis encore deux heures jusqu’à San Diego. Comme à l’aller, nous ne rencontrons aucun des problèmes évoqués concernant le Mexique. On arrive ainsi vers quatre heures à Tecate. On repère rapidement le chemin vers la frontière et venons nous placer dans une double file d’attente qui nous parait déjà bien plus longue que ce que l’on nous avait annoncé. Après un petit moment, un policier nous fait signe de s’enquiller dans une troisième file sur le côté. Avant même de pouvoir lui demander pourquoi, il disparait sur sa moto. Nous nous engageons alors avec tous les autres véhicules qui attendaient derrière nous, pensant qu’ils doivent venir d’ouvrir une troisième file à la douane. On patiente ainsi encore une bonne demi-heure sans avancer beaucoup, jusqu’à passer devant un nouveau flic qui nous demande quels papiers nous avons. Nous lui répondons que nous avons seulement nos passeports français et rien d’autre et on commence à sentir l’entourloupe. Et nous avons raison… Puisque nous n’avons que nos passeports et rien d’autre, le flic nous informe que nous devons retourner dans l’une des deux autres files parallèles, car celle où nous nous trouvons est réservée pour les gens qui ont la carte on ne sait trop quoi. Ok, pas de problème, nous, on veut bien aller dans la file d’à côté, mais lui, ne veut pas. Il faut que l’on retourne d’où l’on vient refaire à nouveau toute la queue. On tente alors tous les trucs que l’on a appris lors de nos différents voyages pour faire changer d’avis un agent récalcitrant : sourires, bla bla en espagnol, propositions diverses, on sort même le chien, au cas où il aimerait les chiens (si si ça a marché une fois), mais il ne veut rien savoir. On n’a jamais vu un agent aussi buté, même aux Etats-Unis. Il faut donc se résigner à retourner faire la queue. Et comme entre-temps pas mal de voitures sont arrivées, on repart de bien plus loin que la première fois. Notre voisin de file nous annonce qu’il y en a au moins pour deux heures d’attente. On commence alors à s’occuper comme on peut. On papote avec les vendeurs ambulants qui circulent entre les voitures, avec les gens des autres véhicules, on bouquine un peu mais on commence assez rapidement à tourner en rond. D’autant que l’on ne peut pas lâcher le volant. La file est en montée et il faut garder le moteur allumé pour pouvoir avancer d’un centimètre toutes les cinq minutes sinon la police mexicaine n’est pas contente. On squatte donc en plein soleil dans une bonne odeur de pots d’échappements. Ça nous rappelle légèrement des souvenirs de passage à Tanger… Pour s’occuper, on commence donc à maudire tous les gens qui nous ont assuré que « Non, par Tecate, il n’y a JAMAIS de problème ». A voir le nombre de marchands ambulants, on a un peu de mal à croire que l’on est tombé le seul jour où il y a du monde. L’un d’eux nous confirme d’ailleurs, avec un grand sourire, que toutes les semaines, du vendredi au lundi, c’est la même histoire. Pour lui, les bouchons, c’est bon pour les affaires… On maudit aussi un coup les américains et leur paranoïa qui leur fait fouiller toutes les voitures une à une. Mais on a beau râler, bougonner et maugréer, rien ne nous fait avancer plus vite, et Tecate reste un parfait apprentissage de la patience et de la maîtrise de soi… Autour de nous, chacun s’occupe comme il peut. Certains descendent des packs de bières pendant que d’autres multiplient les allers retours entre les voitures. Et à intervalle régulier, tout le monde se jette sur son klaxon pour manifester haut et fort son mécontentement. Ça ne sert à rien, mais ça détend. Bref, à cette allure les heures passent, le soleil se couche, la nuit s’installe et on n’est toujours pas passé. Les deux heures d’attente se sont bien étirées… On commence alors un peu à s’inquiéter car à Tecate la frontière n’est pas ouverte toute la nuit. A onze heures pile poil, les douanes ferment, sans aucune considération pour les longues heures passées sous le cagnard ou pour l’insécurité qui règne autour de la frontière, et il faut alors se débrouiller pour dormir dans la ville. On s’inquiète d’autant plus qu’autour de nous, certains commencent à faire demi-tour pour rejoindre Tijuana. Mais cette option ne nous tente pas trop. Quitte à devoir rester au Mexique, on préfère que ce soit à Tecate. Enfin, après six heures d’attente (!), on voit enfin se profiler le portail des douaniers. On pensait avoir atteint des sommets de lenteur sur la piste, mais c’est parce qu’on ne connaissait pas encore Tecate. Nous aurons mis six heures pour parcourir à peine cinq cents mètres ! Enfin, à 10 h 30 on est appelé pour passer. On s’attend à devoir expliquer pendant deux heures à un douanier renfrogné que l’on ne compte pas s’installer aux US, que nous ne transportons pas d’armes ni de clandestins et que notre matos de windsurf n’est pas rempli de drogue, mais contre toute attente, les officiers se montrent cordiaux et souriants. Ils ne s’intéressent qu’aux trois patates que l’on transporte et qui risqueraient de contaminer les leurs. Ils nous les confisquent donc poliment et nous laissent passer. Ouf ! Ça y est, nous sommes de retour aux States ! Devant nous s’étendent les 4500 kilomètres qui nous séparent de New York où nous devons être dans une dizaine de jours. Du Pacifique à l’Atlantique nous attend donc un long trajet que l’on prévoit de couper un peu par une pause de quelques jours à Las Vegas. On ne sait jamais, si l’on arrivait à gagner le jackpot, on saurait quoi en faire…

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