Mardi
4 juin : West Yellowstone
A la sortie du parc, on s’arrête à la
première ville, West Yellowstone. Celle-ci est située dans une toute petite
partie du Montana coincée entre l’Idaho et le Wyoming. C’est une belle journée
chaude mais on n’en profitera pas car nous avons pas mal de trucs à faire. On
doit d’abord trouver un accès internet pour checker les mails, regarder les
comptes, donner des nouvelles et mettre le blog à jour. Puis, il faut faire la
corvée de linge car nous n’avons qu’une petite dizaine de jours d’autonomie. En
sortant de la laverie, on a la sensation d’avoir brutalement changé de saison.
Le vent s’est levé, le ciel s’est voilé et la température est descendue en
flèche. Jusque-là nous n’avions pas eu le froid tant redouté à Yellowstone,
mais là il faut ressortir nos pantalons, chaussures, polaires et vestes, alors
qu’il y a à peine deux heures, c’était tongs et short ! Encore quelques
courses, le plein d’essence, d’eau et on est prêt pour repartir.
Direction l’Idaho. Après un col
frontière entre les deux états, on redescend vers une vaste plaine et on va se
caler dans une petite prairie de la Caribou-Targhee Forest. La première
impression est que l’Idaho a l’air moins à cran que ses voisins sur les règles
en tout genre. C’est bon signe… On part se faire une petite balade dans les
arbres et, après une centaine de mètres, Nouky fait fuir un troupeau de Mule
Deer. Tout à fait ordinaire. De retour au camion, on se met le chauffage et on
se prépare une bonne choucroute pour se remettre du froid. Enfermé dans notre
cocon douillet, on ne remarque pas ce qui se passe à l’extérieur. Ce n’est
qu’au moment de se coucher que nous nous rendons compte qu’il neige ! Donc
oui la température a bien baissé, et nous sommes début juin ! On ose à
peine imaginer l’hiver ici…
Samedi
9 juin : Teton Valley
On redescend vers le Sud pour se
retrouver de l’autre côté du massif de Grand Teton. On est encore une fois
ébahi par le nombre de campgrounds que nous voyons. Ils sont quasiment tous
pleins alors qu’ils ne présentent vraiment rien de très intéressant. La plupart
sont en bord de route, sans arbres, et avec des emplacements très serrés, alors
qu’autour d’eux l’espace est sans limites. Mais ça n’est décidemment pas dans
la culture des américains de profiter de leur nature sauvage. Et on comprend le
nombre de campgrounds quand on voit le nombre de RVs que l’on croise. Il y en a
de partout. Sur les routes bien sûr, mais aussi à côté des maisons. On dirait
que tous les américains sont prêts à partir avec leur camping-car ou leur
caravane. Et en dehors des campers de location, ce sont généralement de
véritables bus que l’on croise sur les routes. De même gabarit, ils sont
aménagés comme de vrais appartements. Et tous trainent derrière eux une
voiture, un quad, une remorque ou un bateau, lorsqu’ils ne cumulent pas
plusieurs options. Car comme le dit Tom Sauyer, l’américain n’a peur de rien.
Au contraire, il adore la démesure. Par exemple, dans le nombre de roues qu’ils
mettent sur leur véhicule. Sous Winnie, nous avons 1000 $ de pneus, autant dire
que nous regardons attentivement où nous posons les pieds… La plupart des
pick-up, RVs ou caravanes ont des doubles essieux, même les petits modèles. Les
tracteurs eux, en ont… huit au total, comme les batteuses. Mais comme les
routes sont également extra larges et toutes droites, ça ne pose pas vraiment
de problème. Même les routes de montagne les plus sinueuses n’ont aucune
épingle ni virage serré. Nos routes de montagnes seraient considérées par les
américains, au mieux, comme des pistes de moto cross. Et tout est fait pour
faciliter les voyages en camper. On trouve de l’eau dans presque toutes les stations-services
et les parkings sont énormes, avec une partie pour les voitures, et une pour
les RVs. Du coup, pour nous, c’est le bonheur. Par rapport à l’Amérique du Sud,
c’est vraiment reposant. Là-bas, en plus d’un an, nous n’avions croisé que
quelques camping-cars réunis pour le jour de l’an à Ushuaïa et il était
vraiment difficile de trouver de l’eau et des endroits sûrs pour passer la
nuit. Aux States, malgré les prises de tête contre les interdictions, on peut voyager
l’esprit libre.
Après une visite aux Mesa Falls, de
jolies chutes d’eau dans la forêt, on longe la partie occidentale des montagnes
faisant une frontière naturelle entre le Wyoming et l’Idaho. Au pied des pics,
s’étendent à perte de vue d’immenses champs de pommes de terre. Ce légume fait
la fierté de la région et de l’état entier. Pour cultiver leurs patates, les
agriculteurs ont installé un ingénieux mais certainement très coûteux, système
d’arrosage. Ils utilisent des portiques d’une vingtaine de mètres, chargés de
gicleurs et montés sur de grosses roues tout terrain qui forment, accrochés les
uns aux autres, d’immenses lignes en travers des champs. Ces lignes sont
montées sur un pivot, à une extrémité, et permettent de couvrir un disque
d’environ trois à cinq cents mètres de diamètre. Se dessinent donc jusqu’à
l’horizon d’immenses cercles verts.
A côté de Driggs, au pied des Teton,
on va se faire une belle randonnée sur les cimes d’une station de ski,
malheureusement fermée, le Grand Targhee Resort. On essaie de marcher un
maximum à découvert pour éviter toute rencontre fortuite avec l’habitant des
lieux, l’ours. Car toute la région est truffée de mises en garde sur ces
animaux, très beaux à contempler de loin, mais qui peuvent être assez agressifs
de près. On n’est donc jamais tranquille quand on va se promener. On fait du
bruit en marchant et on se prépare à faire face au grand poilu à tout moment.
D’autant qu’avoir un chien constitue un risque supplémentaire. La
« classique » est que l’ours soit attiré par un si beau gibier, ou
que le chien débusque un ours dans un fourré. En général, ce dernier réalise
assez vite que l’ours est bien trop gros pour lui et court se réfugier dans les
jambes de ses maîtres, attirant ainsi tout droit l’animal sur eux. Tu te
retrouves donc avec un impressionnant
tas de muscles qui te fonce dessus et qui, entre un chien et un homme, choisira
en principe la proie la moins rapide… En tout cas, cette fois-ci, on arrive au
sommet, à plus de 3 000 mètres, sans encombre. On découvre une magnifique
vue panoramique avec d’un côté la plaine agricole bordée de lointains massifs
montagneux, et de l’autre le pic du somptueux Teton Range. On profite de la
redescente pour rider les derniers névés de l’hiver. Avec la pente, on arrive à
suffisamment glisser dans la neige avec nos chaussures pour avoir presque
l’impression de faire du ski. On se prend quelques gamelles mais on se marre
comme des gamins.
En redescendant de la station, on va
faire un tour dans le Teton Canyon. Après quelques kilomètres de piste, on trouve
un coin de forêt traversé par une rivière et entouré de montagnes. L’endroit
est beau, nous sommes seuls, il n’y a pas d’interdits ni de restrictions :
c’est l’endroit que nous cherchions, on reste ! On s’installe juste au
bord de l’eau, la baie vitrée à deux mètres au-dessus de la rivière à tel point
que nous avons l’impression d’être en bateau. On apprécie autant le cadre
sauvage qui nous entoure que l’immobilité du camion. Depuis le début du voyage,
nous avons beaucoup roulé, et on a envie de se poser. On s’accorde donc
quelques jours de pause pour faire des balades, se reposer et s’imprégner de la
nature qui nous entoure. De l’intérieur du camion nous voyons défiler la faune
de la forêt qui vient s’abreuver à la rivière. Ainsi, une fois, c’est un élan
qui vient nous saluer, une autre, un troupeau de mule deers. Ils passent
tranquillement près de nous sans montrer aucune crainte, jusqu’au moment où
Nouky les aperçoit et se met à pousser des hurlements. Plutôt surpris par ce
boucan inhabituel, ils disparaissent en bondissant parmi les arbres.
Un soir, on se fait encore surprendre
par la neige. On apprécie le spectacle par la fenêtre jusqu’au moment où l’on
réalise que nous n’avons plus de batterie, et que le chauffage ne peut plus
s’allumer. On tente de résister mais la température chute rapidement et nous
n’avons aucune envie de repasser une nuit à -5° comme à Bryce Canyon. On se
résigne donc à faire tourner le moteur pendant une demi-heure pour recharger la
batterie et la chaleur revient. On a une petite pensée reconnaissante pour
Stew, le réparateur de chauffage... Même si au moment de se déclencher celui-ci
hurle au point de faire trembler le camion, ce qui nous vaut de bons sursauts
en pleine nuit, on peut s’endormir dans notre petit lit douillet alors que
dehors la température est glaciale.
Lundi 11 juin : Craters of the Moon National Monument
Après notre pause sauvage, il faut
reprendre la route si nous voulons avoir le temps de voir tout ce que nous
avions prévu. Mais après ces quelques jours passés dans la forêt, nous n’avons
aucune envie de retourner au monde civilisé et il faut vraiment se faire
violence pour quitter notre bord de rivière.
On traverse, après la ville d’Idaho
Falls, les grandes plaines de l’Idaho. Le regard se perd dans l’immensité déserte
et ne bute que sur les chaînes de montagnes aux cimes enneigées qui se dessinent
à l’horizon. Les routes sont droites, interminables, il n’y a rien à gauche,
rien à droite. Au beau milieu de cet espace désert et déserté se trouve le
Craters of the Moon National Monument. Ici, des éruptions volcaniques ont
laissé derrière elles de larges trainées de lave ainsi que des cratères de
toutes tailles. On distingue nettement le rift qui découpe la terre sur une
cinquantaine de kilomètres. Le paysage est, comme son nom l’indique, lunaire.
Le minéral et le végétal mène un combat dans un contraste de couleur
éblouissant. Les étendues vertes sont fendues de zones noires, sous le regard
d’un ciel au bleu éclatant. Certaines collines déclinent les nuances de noir à
l‘infini et sont parsemées de petites fleurs sauvages. Le site est encore une
fois mis en valeur par un cadre exceptionnel. Il apparaît au milieu de nulle
part, dans une plaine immense aux lointaines limites montagneuses. On se laisse
prendre par l’atmosphère volcanique en parcourant les coulées de lave figées.
On voit très nettement les courbes et le chemin parcouru par cette matière lorsqu’elle
était en fusion. Sous la terre ont coulé de véritables torrents de magma qui en
refroidissant ont créé de nombreuses cavités. On peut s’y faufiler et les
parcourir à pied. Certaines parties sont plongées dans l’obscurité et il faut
s’éclairer à la frontale. D’autres se sont effondrées, laissant ainsi passer la
lumière du jour.
On finit la journée par une pause à
Twin Falls, ville séparée par un profond canyon, où son WalMart nous procure,
une nouvelle fois, hébergement et ravitaillement.
Mercredi 13 juin : Great Basin National Park
On quitte l’Idaho pour le Nevada. On
passe la journée à rouler plein Sud vers Ely, la ville la plus proche de notre
objectif, le Great Basin National Park. Le Nevada se révèle encore moins peuplé
que l’Idaho. Ici, aucune ville ne ponctue les zones désertiques. Il n’y a rien
et des panneaux du style « pas d’essence ni service pendant 200
kilomètres » nous le rappellent bien. Le Nevada est aussi incroyablement
sec et aride. Il n’est que roche à l’état pure. Seuls quelques buissons
rabougris arrivent à y planter leurs racines et disposent d’une paix royale
puisque aucune vache ne risquerait ses sabots dans une telle fournaise. Il est
également parsemé de chaînes montagneuses qui s’étendent du Sud vers le Nord en
encadrant d’immenses plaines qui s’étirent en longueur.
On passe les quelques maisons qui
constituent la ville d’Ely en fin de journée, et on se retrouve à nouveau seuls
sur la route. On roule une bonne heure, puis on s’arrête pour la nuit sur un
col avant Baker, le hameau proche du parc.
On parcourt ce mercredi les quelques
miles qui nous séparent du parc, et on réserve pour l’après-midi une excursion
dans les Lehman Caves. Ces grottes se composent d’un enchaînement de salles
reliées par des galeries aménagées pour le plus grand nombre. Certains passages
sont étroits, mais nul besoin de ramper dans la glaise, comme de vrais
spéléologues, pour explorer la cavité. Ici, c’est à la queue leu leu derrière
le ranger qui prodigue ses informations sur un ton de monitrice de colonie de
vacances. Malgré tout, l’endroit est magique. Il est composé de grandes cavités
où de multiples stalagmites et stalactites ont composé d’improbables
sculptures. C’est vraiment surprenant de voir à quel point la nature, même
souterraine, peut être inventive. Après une heure et demie d’exploration, on
remonte à la surface et on contemple le Wheeler Peak, l’autre symbole du parc
et deuxième sommet du Nevada.
On aimerait bien randonner jusqu’au
sommet mais pour cela, il faut emprunter une route interdite aux véhicules de plus
de 24 pieds, pour cause de « route étroite aux courbes serrées ».
Notre Winnie en fait 27, ce qui fait un mètre de trop. On hésite car si on ne
monte pas en camion, on peut faire une croix sur la rando. De mon côté, j’ai
peur de m’engager sur une route de haute montagne avec notre engin. Je
m’imagine une seule voie aux virages tellement serrés que je risque de rester
bloqué sans pouvoir faire demi-tour. Laetitia, de son côté, croit en un abus de
sur-précautionnisme dont les américains sont certainement les champions du
monde, et pense que si c’est interdit au plus de 24 pieds, c’est que l’on peut
largement passer avec 27. Mais tous deux redoutons une bonne amende si l’on se fait prendre, et
encore plus si on reste tanquer au milieu…
Au moment où l’on allait renoncer, on
croise un type qui travaille soi-disant pour le parc mais qui n’est pas un
ranger. Il est de congé et reste vague sur son véritable job. On l’interroge et
après avoir longuement dévisagé notre camion, il déclare « en allant
doucement, ça devrait aller ». De plus, il nous assure que si l’on se fait
prendre, le ranger ne devrait pas nous coller d’amende. Il ne nous en faut pas
plus. Pas d’amende, plus de restriction, et on s’engage dans l’ascension. Au
pire, on jouera les idiots qui ne connaissent pas la longueur de leur camion.
Et puis, de toute façon, un français ne comprend rien aux « feet »… Mais
la route se révèle excellente. Même des bus pourraient s’y croiser sans
problème. Quant aux courbes serrées, on les emprunte sans freiner. Bref, soit
les américains ont tous du sang marseillais, soit ils abusent vraiment dans
leurs restrictions… Arrivés au camp de base, le camping est plein, plus une
place. On ne veut pas redescendre passer la nuit en bas pour ne pas imposer à
Winnie une nouvelle ascension le lendemain. On s’installe donc sur un parking
pour la nuit. On est plus à une infraction près…
Jeudi
14 juin : Wheeler Peak
La nuit se passe sans encombre. Le
réveil est frais mais personne n’est venu nous déloger. On avale un bon petit
déjeuner et on enfile nos sacs à dos. Malgré la moue suppliante de Nouky, on
renonce à le prendre avec nous, National Park oblige. On ne veut quand même pas
abuser en bravant tous les interdits le même jour sous peine d’expulsion
immédiate du territoire… Le Wheeler Peak offre un point de vue magnifique mais c’est
aussi un défi personnel. C’est notre premier 4 000. Enfin 4 000,
c’est plutôt 3 982, mais avec Laeti sur les épaules les bras tendus, ça
devrait compter… Notre dernière expérience dans ces hauteurs était dans les
contrées andines, mais à l’époque c’est Vadrouille qui avait fait tout le
boulot.
Après un départ facile, la déclivité
augmente au fur et à mesure que le froid s’intensifie. Le vent devient glacial
et notre corps s’engourdit de plus en plus. Le chemin se perd dans les éboulis
et les pierres roulent sous nos semelles. Et puis on commence à manquer de
souffle. La dernière partie est radicale avec une montée hyper raide dans les
rochers. On est obligé de s’arrêter régulièrement pour reprendre une
respiration normale. On progresse donc sûrement, mais doucement… Arrivé au
sommet, on est récompensé de nos efforts par une vue panoramique imprenable. On
dépasse très nettement tout relief alentour et la vision porte à l’infini. On
distingue d’un côté le Golden Gate, de l’autre l’Empire State Building, enfin…
presque… Disons une bonne partie de l’Est du Nevada et l’Ouest de l’Utah. D’ici,
on survole les larges plaines encadrées par les bandes de montagnes, toutes
orientées Nord/Sud. On voit également les fameux cercles verts des cultures et
les tracés rectilignes des quelques routes. De si haut cela saute aux yeux.
L’Homme façonne peu à peu le paysage et crée des formes insolites. J’essaie de
m’imaginer la tête que feraient des extraterrestres survolant pour la première
fois la Terre. Les lignes de Nasca, ce n’était finalement pas grand-chose. On a
fait bien plus depuis…
Vendredi
15 juin : Ely once again
Après une longue redescente pédestre,
puis mécanique au volant de Winnie, et une nouvelle nuit au col, nous sommes de
retour à Ely pour une journée corvée. On commence par une bonne lessive dans un
laundromat. On poursuit par internet sur le parking du Mac Do où on met le blog
à jour. On continue par faire le plein d’eau et d’essence. Et on termine par
une nouveauté : coupe de cheveux pour tous les deux. Dans le camion,
l’utilisation de l’eau est limitée et il n’y a pas de petites économies. Moins
on a de cheveux à laver, moins on utilise d’eau. Je voulais que Laeti s’en
charge, mais au vu du résultat de la coupe qu’elle a faite à Nouky, elle a
préféré que j’aille chez le coiffeur… Il est déjà 18 heures quand on finit tout
ça et on décide de s’avancer un peu sur la route 6 qui doit nous mener au
Yosemite National Park, en Californie !
Samedi
16 juin : Mono Lake
Après une heure de route et un col de
passé, on quitte le goudron pour une nuit de pause quelque part dans le désert,
et on reprend le lendemain notre folle traversée du Nevada d’Est en Ouest.
Autant dans l’axe Nord-Sud, on cheminait dans les plaines en longeant les
montagnes, autant dans cet axe-là, on avance perpendiculairement aux massifs
montagneux que l’on est obligé de franchir les uns après les autres. On joue
donc aux montagnes russes toute la journée avec pas moins de huit cols
franchis. Mais cette course dans le désert est loin d’être monotone. Tout en
restant aride et pelé, le paysage évolue. Le relief, parfois très accidenté,
s’adoucit tout à coup au détour d’un virage. Même le peu de végétation que l’on
peut observer change. Parfois, de rares arbres rabougris arrivent à coloniser
le flanc d’une montagne, mais la plupart du temps la terre est desséchée, à
peine recouverte de minuscules plantes, une sorte de maquis à ras du sol, qui
trouvent de l’eau on ne sait où. Durant les cinq cents kilomètres que nous
parcourons, nous ne croiserons qu’une petite dizaine de ranchs éparpillés au
milieu de nulle part. Nous essayons un instant d’imaginer la vie de leur
habitants, perdus dans ces immensités. L’hiver, la neige les isole encore plus
en barrant les principales routes d’accès. En observant ces ranchs, on se
demande comment arriver à considérer les américains comme un seul et même
peuple ? Que peuvent avoir en commun un citadin New Yorkais et un fermier
qui n’a aucun voisin sur des kilomètres à la ronde ?
Cette longue route nous amène au pied
des gigantesques montagnes de la Sierra Nevada. On les voit surgir presque d’un
seul coup du désert, dégageant loin dans le ciel bleu leurs pics enneigés.
Après un énième col et un long contournement du plus haut sommet du Nevada, le
Boundary Peak, qui culmine vraiment très très haut au-dessus de nos têtes, à
plus de 4 000, on franchit la frontière de la Californie. On s’installe,
quelques miles plus loin, au bord du Mono Lake, un immense lac salé entouré de
montagnes. Il marque la limite entre deux états, mais aussi entre deux univers.
Le désert vient mourir sur sa rive Est alors que la forêt prend ses quartiers
sur les flancs des montagnes qui plongent sur sa rive Ouest. On s’installe au
bord de l’eau et l’on y passe une bonne nuit, accompagné de milliers d’étoiles.
Dimanche
17 juin : Yosemite National Park
On râle souvent contre les National
Parks et leurs restrictions stupides, et pourtant on y passe beaucoup de temps.
Mais aux USA, dès qu’un lieu sort de l’ordinaire, il devient automatiquement
National Park, et se transforme alors en « méga fee and hyper restricted
area ». C’est-à-dire en usine à fric avec des interdits à outrance et des
rangers derrière chaque caillou. Mais éviter ces parcs reviendrait à rater les
choses les plus merveilleuses du pays. Donc, on râle, mais on y va.
Et parmi ces parcs, il en avait un qui est
resté longtemps sur la sellette : Le Yosemite. Non seulement c’est un
National Park, mais la proximité de San Francisco en fait l’un des endroits les
plus visités et les plus surveillés des parcs américains. Et les échos que nous
en avions faisaient plus souvent référence aux hordes de touristes qui s’y
déversent et aux embouteillages que l’on y rencontre, qu’à ses attraits
naturels. De plus, il nous faisait faire une longue boucle dont on se serait
bien passé, vu notre vitesse moyenne et notre consommation pantagruélique, d’essence,
bien entendu. Mais malgré tout ça, le Yosemite est l’un des parcs les plus
connus, et nous ne voulions pas prendre le risque de passer à côté de quelque
chose de fabuleux. On a donc pris la décision d’y aller, quitte à le fuir très
vite s’il s’avérait surpeuplé.
Depuis Lee Vining, la petite bourgade
voisine du Mono Lake, on doit en une petite vingtaine de kilomètres atteindre
le Tioga Pass, à 3 000 mètres d’altitude, la porte d’entrée du parc. Ce
col est infranchissable la plupart du temps à cause de la neige. Il ouvre le
plus souvent en juin, mais reste parfois fermé jusqu’en juillet. On se demande
donc ce que Winnie va en penser et s’il va tenir le coup. Avant de l’attaquer,
nous faisons le plein d’essence le plus cher de notre trip, ce qui ne présage
rien de bon pour la suite de l’ambiance dans le parc… et nous lançons notre
camion à l’assaut de la montagne. Heureusement, nous sommes aux Etats-Unis, le
pays des grandes routes. Celle-ci se révèle encore une fois excellente, avec
une montée très progressive et de très amples virages. L’ascension se passe
super bien, sans coup de surchauffe pour Winnie, et donc pour nous. Mais la
déclivité est là et nous sommes contraints de rouler entre 20 et 30 km/h,
obligeant ainsi les conducteurs qui nous suivent à admirer le paysage et à
s’imprégner du lieu… Mais il est hors de question de s’arrêter pour les laisser
passer, et de casser ainsi le rythme de notre gros escargot que l’on encourage
à chaque passage de panneau indiquant l’altitude. Lentement, on parvient donc
au fameux Tioga Pass. Celui-ci est large et composé de lacs entourés de grandes
forêts ; un vrai paysage de carte postale. Seule verrue au milieu, la guérite
de l’entrée du parc où les touristes doivent se délester de quelques dollars.
Nous montrons notre annual pass et franchissons la barrière.
Le Yosemite est le troisième plus
grand parc des Etats-Unis. Il est divisé en deux secteurs distincts distants d’environ
une centaine de kilomètres : la Tioga Road, par laquelle nous entrons, et
la Yosemite Valley, plus bas. Le premier secteur est réputé plus calme et plus
frais que la vallée. Nous décidons donc de ne pas nous précipiter vers le cœur
du parc et de découvrir le coin qui nous entoure. On y découvre une large
vallée d’altitude verdoyante, traversée de rivières et jonchée de nombreux
lacs. Elle est encadrée par des montagnes au relief spectaculaire et inattendu.
A la vue de cette vallée, on comprend instantanément le succès du parc. C’est
magnifique. Le Yosemite est l’alliance parfaite du minéral et du végétal. Des
montagnes de granit ont été entièrement polies par des glaciers aujourd’hui
disparus. Ces derniers, en s’effaçant, ont composé un décor minéral incroyable,
tantôt composé d’abruptes parois verticales, tantôt de dômes à l’arrondi
parfait. Le plus célèbre d’entre eux étant le Half-Dome, qui se détache de la
vallée à partir d’Olmsted Point. Partout, la roche a été patiemment lustrée.
Brillante et lisse, elle décline toutes les nuances de gris au milieu
d’infinies forêts de pins. Ce paysage somptueux est sublimé par les lacs aux
eaux cristallines et par le bleu du ciel dans lequel n’apparaît pas un seul
nuage. Il s’agit réellement d’un endroit unique où la nature a une nouvelle
fois démontré son imagination sans limites.
On redescend sur terre malheureusement
assez vite car il faut s’occuper du logement. Impossible de ressortir du parc
car cela reviendrait à faire plus d’une centaine de kilomètres. Impossible de
squatter en sauvage, d’abord car tout est très surveillé, et en plus parce qu’il
n’y a aucun endroit isolé accessible en camion. Toutes les pistes qui partent
de la route sont fermées par des chaines. Il faut donc trouver un camping. Mais
qui dit vallée sublime, dit forte affluence, et l’on découvre que tous les
emplacements sont réservés six mois à l’avance ! Certains établissements
vont même jusqu’à proposer de simples abris en toile à plus de 100 $ la
nuit ! Notre seule option est un camping d’état, le White Wolf, qui
n’accepte pas les réservations et fonctionne selon le principe du premier
arrivé-premier servi. Il n’est que midi, mais on ne veut pas prendre le risque
de se retrouver sans rien pour poser notre camion le soir. On décide donc de
filer au camping en espérant y trouver une place, quitte à revenir sur nos pas
ensuite profiter du coin.
Nous trouvons donc in extremis une
place et une évidence s’impose alors. Le parc a l’air vraiment trop beau pour
le survoler en deux jours. Nous décidons de prendre deux nuits au White Wolf
pour explorer la partie supérieure du Yosemite. Trop éloignés par contre de la
vallée principale, nous ne pourrons y rester et devrons trouver une autre
solution pour la suite. Mais pour l’instant, nous ne voulons plus bouger. On a
envie de prendre notre temps car on a déjà fait assez de route pour la journée.
Nous décidons de ne retourner que le lendemain dans la Tioga Road, et de
profiter de notre après-midi pour souffler un peu. On part donc se balader avec
Nouky qui doit se faire discret car il est normalement interdit sur les
chemins. La forêt est magnifique, composée de grands arbres aux troncs
impressionnants. Malgré nos quatre bras réunis, on n’en fait déjà plus le tour.
Lundi
18 juin : Tenaya Lake
Le lendemain, on retourne sur nos pas
pour profiter un peu plus de la vallée que l’on a traversée en arrivant dans le
parc. On stoppe au bord du plus grand lac du secteur, le Tenaya Lake. On est
encore une fois ébahi devant ces dômes granitiques incroyables qui encadrent le
superbe lac aux couleurs de lagon. Après une bonne balade d’une heure et demie
parmi les grands arbres qui entourent le lac, on s’installe sur une plage pour
pique-niquer. On se fait dorer au soleil pendant que Nouky joue inlassablement
dans l’eau. Au fil du voyage il est devenu complètement obsédé par l’eau et tout
ce qui s’y trouve. De plus, il s’est récemment trouvé un nouveau jeu qui
consiste à faire rouler avec les pattes avants des cailloux posés au fond de
l’eau jusqu’à une zone peu profonde où il plonge alors entièrement la tête pour
les attraper, ce qui amuse beaucoup Laeti. Du coup, elle joue avec lui pendant
des heures, comme une enfant, ce qui me laisse le temps de sombrer dans une
délicieuse sieste. Lorsque j’arrive enfin à faire sortir de l’eau mes deux
compères, on part se promener dans le secteur de Tuolumne Meadows pour le reste
de l’après-midi. Nous sommes vraiment contents d’être restés une journée de
plus pour profiter du lieu. Nous ne sommes pas en retard sur notre planning et
il aurait été dommage de passer à côté de ces lieux uniques que l’on n’est pas
prêt de revoir…
Mardi
19 juin : Yosemite Valley
Yosemite Valley est le secteur le plus
prisé du parc. Ici, il n’y a que trois campings réservables, complets six mois
à l’avance, et il est toujours impossible d’y dormir en sauvage. Le bulletin
d’information préconise même de prendre la navette pour se déplacer car les
parkings sont pleins et il y a souvent des embouteillages. On repère donc les
points qui nous semblent incontournables pour les faire dans la journée et
quitter au plus vite cette folie.
Depuis le White Wolf campground, la
route ne fait que descendre. Nous reperdons ainsi tous les mètres que Winnie a bravement
gravis pour rallier le Tioga Pass. Pour économiser les freins, je mets la
seconde, ce qui permet au camion de modérer les velléités que lui donnent ses
cinq tonnes. Du coup, comme à la montée, il y en a plus d’un derrière nous qui
admire le paysage… Arrivé tout en bas, on chemine le long de la Merced River,
dans une forêt de pins ponderosas gigantesques, dont la plupart s’élève à plus
de soixante mètres. Les arbres sont si denses et si hauts qu’il ne nous est
plus possible d’apercevoir le ciel et ce qui se trame aux alentours. Après plus
d’une heure de route, nous entrons enfin dans la célèbre vallée. A l’occasion
d’une trouée dans les arbres, nous apercevons ce qui fait se déplacer des millions
de visiteurs tous les ans. D’immenses parois de granit verticales de plus de
mille mètres plongent dans la vallée, les unes en face des autres. Elles sont
striées par de vertigineuses cascades qui finissent bien plus bas dans la
rivière. La plus impressionnante d’entre elles, la Yosemite Fall, est la plus
haute chute d’eau d’Amérique du Nord, avec son plongeon de 735 mètres. On est
tout de suite saisi par le lieu.
Aïe, finalement on va avoir du mal à
boucler cet endroit en un jour… Nous décidons donc d’aller tenter notre chance
au « Campground Reservation » pour voir s’il ne resterait vraiment pas
une petite place dans un camping, mais ils sont tous complets. La seule
possibilité d’avoir un emplacement serait qu’il y ait une annulation. Mais pour
obtenir une place, il faut s’inscrire sur une liste d’attente et revenir à
trois heures. Passée la première réaction sanguine de « Attends… tu veux
que je m’inscrive sur une liste d’attente pour pouvoir éventuellement avoir une
place dans un camping, mais t’es pas fou non !?! », on s’exécute.
D’une part, car l’endroit est magnifique et qu’il serait vraiment dommage de
n’y passer qu’une journée, d’autre part, car malgré notre 22ème
position, le ranger nous affirme qu’il y a de l’espoir, et enfin, car la route
est longue pour sortir du parc et ça nous permettrait d’être plus cool ce soir.
Mais on ne préfère pas trop miser sur l’obtention d’une place et attaquons
rapidement nos visites.
On avale un petit casse-croûte et on
se lance sur le Mist trail pour aller voir la Vernall Fall, l’une des
nombreuses cascades du parc. La « rando » est très populaire, mais
assez pentue, ce qui fait que le flux de touristes s’amoindrit au fur et à
mesure de la progression. On finit par un escalier de six cents marches très
raide qui grimpe le long de la cascade. Cette dernière projette un spray rafraichissant
plutôt bien venu à cet endroit… Arrivé en haut, on peut se placer au bord de la
chute, à côté de l’à-pic, et admirer la masse d’eau qui plonge dans le vide. On
pousse encore un peu jusqu’au pied de la Nevada Fall, une autre chute plus en
amont, plus puissante et tout aussi belle. Celle-ci forme un immense bassin
d’eau translucide dans lequel on aurait bien envie de se jeter après l’effort
de la montée. On râle un moment de ne pas avoir pris nos maillots et on est un
peu étonné qu’aucun touriste ne se baigne, jusqu’à ce que l’on découvre les
panneaux interdisant la baignade… ils sont fous ces américains ! Le pays
de la liberté où tout est interdit…
Dans la descente, la pente est
vraiment raide. Il faut descendre tout doucement et les genoux souffrent. C’est
long et ennuyeux, alors on décide de courir. Les touristes que nous croisons
nous regardent bizarrement et ouvrent de grands yeux effarés en nous voyant
passer comme des flèches, le sourire aux lèvres. Mais ça fait tellement plaisir
de libérer nos jambes et de courir comme des fous. On arrive en trombe près de
la rivière dans laquelle on se précipite pour s’asperger d’eau fraiche. Puis il
est l’heure de retourner au centre de réservation pour voir si nous avons
obtenu une place. A 15 h 00 pile poil, tous les campers waiting listés sont
réunis par une ranger, de façon très cérémonieuse. On se place en cercle autour
d’elle et attendons que notre nom sorte. On a l’impression de participer à une
loterie à l’enjeu phénoménal ou d’attendre les résultats d’un examen. Pour
détendre un peu l’atmosphère, on commence à faire les idiots avec un couple
d’étrangers qui parlent une langue non-identifiable. On pousse des cris et
faisons de grands gestes de victoire à chaque fois qu’une personne appelée ne
se présente pas. Mais les américains restent très concentrés et imperturbables.
Finalement, on s’amuse bien, au point même qu’on manque de rater notre nom
lorsque la ranger nous appelle. Mais celle-ci a réussi à tellement le déformer en
le prononçant qu’il n’était plus tellement reconnaissable. Enfin, on part avec
notre précieux bout de papier attestant qu’on a été appelé, et on va se placer
dans la file d’attente du paiement où nous devrons encore patienter pendant une
heure. Décidemment, on n’aura jamais fait autant d’efforts pour aller au
camping… Dans la file d’attente, on sympathise avec un couple de français
installés à Washington depuis deux ans. Ils nous lancent une invitation pour l’apéro
que l’on accepte volontiers.
Une fois installé sur notre précieux
emplacement de camping, bien callé près d’une tribu d’américains, on s‘échappe
avec Nouky pour l’une des rares promenades « pet friendly », et on
prend le chemin du « Miror Lake ». Une fois sur place, on découvre
que celui-ci est passé du stade de grand lac majestueux à l’état de petit étang
à cause de la sécheresse un peu particulière de cette année. Mais on est encore
une fois impressionné par ces dômes de granit poli et par les vertigineuses
falaises verticales qui tombent dans la majestueuse forêt de pins géants. A
chaque parc, on se dit que ça y est, on a vu tellement de choses
incroyables que le parc suivant ne pourra plus être aussi grandiose et
pourtant, à chaque fois, on est encore époustouflé par un nouveau spectacle.
Chaque endroit que l’on a visité a été différent du précédent. Le Yosemite,
lui, a un côté presque mystique. On y imagine les indiens vénérant la vallée
comme un lieu sacré à cause du caractère fabuleux des montagnes qui la
composent. Il y règne vraiment une ambiance particulière, et ce malgré le flot
de touristes qui y circulent…
Le soir venu, on part retrouver
Antoine, Amélie et leurs enfants Clémentine et Mathis, les français rencontrés
dans la journée. Lui a un contrat d’expat pour trois ans chez Airbus et elle
est médecin. L’école est terminée pour les petits alors ils en ont profité pour
se faire une petite virée dans l’ouest. Le courant passe instantanément et l’apéro
se transforme vite en repas improvisé. On en profite pour les questionner sur
leur vie aux Etats-Unis et pour en apprendre plus sur le way of life américain.
De notre côté, il est difficile de nous faire une idée. Nous n’avons qu’un
contact très superficiel avec les ricains. On apprécie fortement leur contact
facile et leur côté serviable mais il est difficile de se faire une opinion
quand on est simplement de passage. Nous ne les croisons que le temps d’une
rencontre, ce qui est bien trop court pour comprendre leur culture. On
questionne donc et on est servi car Antoine et Amélie ne nous cachent rien de
leurs pensées. Ils semblent avoir bien intégrer la manière de fonctionner des
américains et nous donnent leur vision, en précisant toujours qu’il s’agit de leur
expérience à Washington, l’une des villes les plus riches des Etats-Unis.
Côté éducation d’abord. Les écoles
sont très chères. Ils payent, ou plutôt Airbus leur paye, 16 000 $ annuel
pour le petit qui est en maternelle. Sur le rythme scolaire, les élèves
finissent vers 15 heures, ce qui leur laisse le temps de faire du sport, si les
parents peuvent le payer. Aucun encadrement public n’est proposé et les
activités coûtent très cher. Les enfants issus de quartiers privilégiés vont
donc faire du sport pendant que les autres se gavent de chips devant la télé…
Ils ont trois mois de vacances estivales, mais une seule petite semaine à Noël
et un petit break au printemps.
Côté médecine, Amélie ne peut exercer
aux states car ses diplômes français n’y sont pas reconnus. Elle nous explique
que la santé est un énorme business très gardé et qu’il n’est pas question de
se partager le pactole avec des étrangers. A titre d’exemple, une consultation
coûte facilement 400 $ ! Elle nous explique également qu’elle a été plutôt
surprise, voir dérangée, par la manière dont les médecins procèdent pour
établir un diagnostic. Ils n’auscultent jamais le patient et s’en réfèrent
systématiquement aux machines à travers des examens divers. Au moindre doute,
ils assomment leurs patients de doses faramineuses de médicaments, avec en tête
de nombreuses prescriptions d’antibiotiques. D’un point de vue médical, cette
manière de procéder aboutirait à soigner les cas les plus ordinaires mais les
ferait passer à côté de cas plus particuliers dont une simple auscultation
pourrait éviter une surconsommation de médicaments et d’examens.
Les relations sociales sont également
très singulières. Tout est très cadré et réglementé. Les réunions entre amis se
déroulent toujours en grand nombre, le plus souvent à midi, autour d’un
barbecue. D’ailleurs, ils soulignent l’importance du barbecue dans le lien
social. L’hiver, lorsqu’il fait froid et qu’ils ne peuvent se rencontrer
dehors, les américains se voient beaucoup moins. Il y a une sorte de protection
du cocon familial dans lequel ils n’introduisent pas de personnes extérieures.
Par exemple, Amélie nous dit qu’elle n’est jamais invitée à rentrer quand elle
va chercher sa fille chez une amie. Elle est toujours reçue sur le pallier,
même chez des mères qu’elle côtoie depuis longtemps. La discussion est toujours
cordiale, mais reste superficielle. Elle nous explique aussi que quand elle
invite des gens pour le dîner, si tôt le repas avalé, ces derniers semblent
s’ennuyer. L’idée de passer une soirée à discuter entre amis autour d’un verre
les dérange et ils n’y sont pas habitués. L’apothéose de ce constat se situe
dans la relation de couple. Celle-ci est tellement codifiée qu’il existe une
« talk hour ». Quand les époux doivent parler de leur couple, ils se
donnent un rendez-vous, généralement dans un restaurant le vendredi soir.
Pour le boulot, ils font quarante
heures par semaine, mais n’ont droit qu’à quatre semaines de congé par an
maximum, les jours de congé allant de pair avec l’ancienneté dans l’entreprise…
D’une manière générale, ils trouvent
les américains très formatés. L’apparence et le regard de l’autre et de la
société sont très importants. Par exemple, Mathis et Clémentine, leurs enfants,
sont vraiment sympas et nous semblent bien élevés. Et pourtant, Amélie nous
explique que souvent les américains sont surpris de leur manière de jouer. Pour
elle, il est important qu’à la maison ils soient calmes et se tiennent
correctement, mais à l’extérieur elle les laisse se défouler, ce qui nous parait
plutôt cohérent. Mais les ricains semblent faire le contraire. A l’extérieur,
là où on peut les voir, leurs enfants doivent se tenir tranquilles, alors qu’à
l’intérieur de la maison ils sont libres de faire tout ce qu’ils veulent, sans
aucune limite.
Ils soulignent également la forte
influence qu’exerce encore l’église et la fréquentation importante de la messe
du dimanche. Il y a une grande tolérance religieuse et toutes les religions
sont bien acceptées. En revanche, ce qui ne l’est pas est de ne pas avoir de
religion. Antoine et Amélie nous expliquent que cela sera très bien toléré chez
quelqu’un de passage, mais que pour être accepté d’une communauté il vaut mieux
ne pas se vanter de ne pas avoir de croyance.
Enfin, ils admirent leur patriotisme et
leur amour de la nation qui arrivent à faire élire par cinquante-deux états un
même président et à unir des millions de gens sous un même drapeau. Un
patriotisme bien entendu développé depuis le plus jeune âge puisqu’à l’école
leurs enfants commencent la journée en chantant l’hymne national.
Mais en dehors de cette longue, mais
intéressante, analyse de la société américaine, on parle de bien d’autres
choses. On est vraiment content, après plusieurs mois sans avoir rencontré des
personnes de la même culture que nous, de discuter un peu en français. Eux aussi
nous avouent que les longues soirées entre copains leur manquent. On passe la
soirée à table, alors que tout le camping dort déjà depuis neuf heures du soir.
De nombreux fromages traînent sur la table, on parle fort, on rigole, on goutte
un vin californien affreux… bref une très bonne soirée. On rentre retrouver
Winnie sous les étoiles, accompagnés par un troupeau de biches qui traversent
le camping le plus naturellement du monde.
Mercredi
20 juin : Fresno
La loterie nous a fait gagner la
soirée d’hier et nous a permis d’être plus tranquilles aujourd’hui. On se fixe
peu d’objectifs, à part celui de flâner dans les Meadows, la prairie au fond de
la vallée près de la rivière, et de prendre doucement la route du sud. A la
dump station, l’endroit où l’on vide ses réservoirs d’eau sale, on rencontre
une française partie en camping-car avec ses deux filles pour six mois. Encore
une française... Depuis notre arrivée dans le Grand Circle, et jusqu’à présent,
nous sommes très surpris de voir les nationalités des touristes qui fréquentent
les parcs. En numéro un, on trouve les américains, bien sûr. Puisque d’après
eux, ils habitent le plus beau pays du monde, pourquoi est-ce qu’ils iraient
voir ailleurs ? En second par contre on rencontre… les chinois et les japonais.
C’est impressionnant. Ils débarquent par bus entiers et sont absolument
partout. On dirait des petits soldats, tous bien rangés derrière leur guide,
avec souvent leur masque sur le nez. Comme dans les pires caricatures, ils
prennent absolument tout et n’importe quoi en photo… En troisième position, il
y a les français ! Ils se louent souvent une voiture pour se faire une
virée en famille dans l’ouest. On ne reviendra pas sur les douteux fans de
Johnny que l’on croise assez régulièrement sur leurs motos rutilantes… A noter
en quatrième position, les autres membres de la communauté européenne et plus
surprenant, de nombreux indiens. Ça a d’ailleurs beaucoup de charme de croiser
une femme en sari devant un Burger King ou devant le Grand Canyon… Mais on
reconnaît avant tout la nationalité des touristes à leur équipement. Les
français, par exemple, sont très faciles à reconnaître. Ils sont tous habillés,
et nous les premiers, en Quechua… Les Japonais sont faciles aussi à identifier,
en dehors bien sûr de leurs yeux bridés. Ils croulent sous leur matos photo.
Avec moins de deux appareils pendus autour du cou, un japonais serait ridicule.
Les américains, eux, brillent par leur suréquipement en tout. En matos photo,
comme les japonais, mais également en matos sportif. Un randonneur aura la
panoplie du randonneur avec bâtons et boissons énergétiques à la main, les
cyclistes sont tous déguisés comme s’ils allaient faire le tour de France,
bref, ils nous donnent toujours l’impression qu’ils viennent de dévaliser un
magasin de sport. Nos deux acolytes frenchies, Antoine et Amélie, nous ont
expliqué que comme ils n’ont pas beaucoup de vacances, quand ils en ont, ils ne
regardent pas à la dépense et veulent le top en tout. Enfin bref, on se fait
comme ça des petits jeux pendant nos pauses, à regarder passer les touristes et
à essayer de deviner leur origine.
Notre dernière journée à Yosemite se
déroule donc paisiblement. On se fait quelques stops le long de la vallée,
devant la Yosemite Fall ou sous l’impressionnante falaise d’El Capitan, la
montagne emblématique du parc et graal des grimpeurs de tous horizons. Il fait
très chaud par rapport aux autres jours, alors on n’a pas très envie de se
lancer dans de grandes ascensions. Vers la sortie de la vallée, on fait une
pause à Valley View, puis à Tunnel View qui est certainement le point de vue le
plus spectaculaire. Avec la paroi verticale d’El Capitan à gauche, le Half Dome
au fond, la Bridalveil Fall à droite, et la forêt de pins au milieu qui cache
toute route et toute présence humaine, on a ici une vision extraordinaire. Même
après quatre jours passés dans le parc, on reste sans voix devant ce spectacle.
Après un long moment d’extase, et comme à chaque parc, on quitte cette vue
exceptionnelle à reculons.
Après avoir quitté la vallée, la route
serpente un long moment dans la forêt. A cause des nombreux virages, on ne va
pas bien vite, ce qui me permet de piler et d’éviter un animal qui traverse au
dernier moment devant nous. Il a surgit si brusquement que ce n’est qu’au
milieu de la route que l’on s’aperçoit qu’il s’agit d’un ourson, visiblement à
la poursuite de sa mère. Superbe. On le prend comme un beau signe d’adieu du
Yosemite. Sortie du parc, la route descend vers la plaine. La végétation se
fait de plus en plus rase, la circulation de plus en plus dense et la chaleur
de plus en plus étouffante. On arrive à la nuit à Fresno, la grande ville du
coin, où l’on va se réfugier dans un fameux WalMart pour passer la nuit et
faire des courses, avant de partir pour le Sequoia National Park.
Jeudi
21 juin : Kings Canyon NP
On est réveillé par la chaleur. Après
plus d’un mois passé en altitude, on n’est plus vraiment acclimaté. Nous étions
il y a peu sous la neige et aujourd’hui nous sommes accueillis par un bon petit
40°. Après les courses, on se dirige plein Est, direction la Sierra Nevada. On
y était hier, à 2 000 mètres d’altitude, mais aucune route ne relie les
parcs de Yosemite et de Sequoia. On a donc du redescendre à 0, rouler un moment
dans la grande plaine californienne, pour gravir de nouveau les pentes de la
Sierra. En plaine, la route traverse de nombreuses cultures d’arbres fruitiers
qui s’étendent à perte de vue. On y retrouve les fameuses oranges
californiennes, mais également les fraises dont on se régale depuis quelques
semaines déjà. Puis on recommence notre ascension vers les sommets. On traverse
tout d’abord des collines à la végétation très rase et étouffée par la chaleur.
On se demande bien comment on va pouvoir voir des arbres géants au milieu d’un
tel décor. Mais au fur et à mesure de notre montée, les collines prennent des
allures de montagnes, la végétation devient plus haute et on perd quelques
degrés. Dépassés les 1 000 mètres, les arbustes se transforment en arbres
et l’air se rafraichit encore. Un peu plus haut, on pénètre dans une véritable
forêt dont les arbres augmentent aussi bien en nombre qu’en taille. On a vu en
quelques kilomètres le paysage se métamorphoser. La route serpente maintenant
entre de très hauts arbres. Leur hauteur est déjà impressionnante et pourtant il
ne s’agit pas encore des fameux séquoias. On pénètre, à 2 000 mètres, dans
le Kings Canyon National Park qui, comme son nom l’indique, abrite un profond
canyon, mais également quelques arbres géants. C’est le passage obligé vers le
Sequoia National Park lorsque l’on arrive de l’Est. Il y a un autre accès par
le Sud, mais il est fermé aux véhicules de plus de 22 pieds pour cause de
travaux.
Après quelques kilomètres à peine, on
découvre nos premiers sequoias dans le General Grant Grove. Cette zone abrite
le General Grant Tree, l’arbre le plus large du monde. Sa base a un diamètre de
12 mètres. Il faudrait que vingt personnes se tiennent par la main pour en
faire le tour. Il mesure 82 mètres de haut et a mis 1 700 ans pour
acquérir ses mensurations. La vision est surréaliste, on croit en premier lieu
à un montage, un décor de cinéma ou de dessin animé. J’ai même du mal, tant il
est démesuré, à me représenter ses dimensions. Ce n’est qu’en voyant Laetitia à
côté, si microscopique qu’on la voit à peine, que je mesure l’anormalité de la
chose. Dans sa base, on pourrait mettre notre camping-car et le kangoo, l’un
derrière l’autre ! Il faut se répéter et se pincer en se disant qu’il
s’agit bien d’un arbre, oui d’un arbre, un végétal ! Les pins alentours,
pourtant costauds, font figure d’arbustes.
C’est déjà la fin de la journée et
l’heure de quitter le général pour continuer la route. Celle-ci sort du parc et
traverse, pendant quelques miles seulement, la Sequoia National Forest, avant
d’entrer dans le Sequoia National Park. Dans cet interstice, on découvre une
zone de liberté incroyable, celle de Big Meadows, dévouée entièrement au
camping « sauvage ». Cela nous parait fou, à quelques encablures seulement
de tant d’interdits. Mais il y a une petite route d’une vingtaine de
kilomètres, à partir de laquelle partent d’innombrables pistes et chemins. Ces
derniers sont totalement libres d’accès et le camping y est autorisé. Bref,
notre paradis ! On trouve un super squat avec une très belle vue sur les
montagnes et la forêt. Du coup, on s’accorde une pause avant de partir sur le
Sequoia Park, ce qui ravit notre compagnon à quatre pattes qui va pouvoir
gambader une bonne partie de la journée.
Samedi
23 juin : Sequoia National Park
Après cette excellente journée off qui
fait toujours du bien, et pendant laquelle on prend le temps de prendre le
temps entre balade, lecture et farniente, on se décide à rouler vers Lodgepole
Village, centre d’activité du Sequoia National Park. La route chemine dans une
forêt de hauts pins, mais pas de sequoias en vue. Pour éviter à Winnie quelques
miles supplémentaires, on prend la navette du parc pour le Sherman Tree Trail
qui nous conduit cette fois au pied du plus gros arbre du monde : le
General Sherman Tree. Bien qu’il fasse un mètre de diamètre de moins que le
Grant, c’est le plus gros en volume. Il est un peu plus âgé avec 2 200 ans
au compteur. Sa plus grosse branche fait quatre mètres de diamètre ! C’est
le point phare du parc. Du coup, il y a beaucoup de monde et il faut quasiment
faire la queue pour prendre une photo. On décide alors de prendre le Congress
Trail qui rejoint une partie du parc plus sauvage en traversant la Giant
Forest. Cette forêt est peuplée, comme son nom l’indique, de séquoias géants, dont
certains atteignent cent mètres de hauteur ! On chemine tout l’après-midi
entre ces mastodontes qui ne sont plus cette fois isolés au milieu de pins,
mais forment maintenant une véritable forêt surréaliste. Cette forêt est au
règne végétal ce que peut être Manhattan à l’architecture humaine. C’est-à-dire
que l’on se sent ridiculement petit et que l’on finit la visite avec un
torticolis. Mais le spectacle de tous ces géants est somptueux. En plus, comme il
faut marcher un peu, on se retrouve complètement seul, ce qui renforce l’aspect
magique du lieu.
Les sequoias sont devenus aussi
énormes à cet endroit précis de la planète grâce à une combinaison de facteurs.
Ce flan de la Sierra Nevada reçoit directement l’air de l’Océan Pacifique,
profitant ainsi d’une hygrométrie maximale dans la zone des 2 000 mètres. Cette
humidité, associée au généreux soleil californien, offre aux séquoias des
conditions naturelles idéales pour leur croissance. Mais ils doivent leur
exceptionnelle longévité à une chance que leur a donnée la nature. Ils sont
dotés d’une écorce très épaisse dont la composition spécifique leur permet de
résister aux parasites et divers champignons, ainsi qu’aux incendies. Mieux
encore, ces derniers seraient favorables à leur croissance et à leur reproduction.
On voit d’ailleurs de très nombreux arbres aux troncs calcinés. Certains ne
semblent avoir plus que l’écorce, le cœur ayant totalement brulé, mais ils vivent
encore et tiennent debout. Les responsables du parc sont tellement convaincus des
bienfaits du feu qu’ils en allument régulièrement pour entretenir la forêt.
Pour étayer leur théorie, la souche d’un arbre mort montre dans ses cercles
annuels que l’arbre, de son vivant, a subit plus de quatre-vingts incendies au
cours de sa vie.
On continue le sentier de la Giant
Forest. On a vraiment l’impression, comme Alice aux pays des merveilles,
d’avoir avalé un champignon magique qui nous aurait fait rapetisser. On est
vraiment émerveillé par les dimensions de ces géants, mais aussi par leur âge.
Ils ont tous entre dix à vingt siècles et ont ainsi traversé bien des époques
humaines… On a l’impression de cheminer à travers l’histoire.
En arrivant au meadow, on discutait
tranquillement quand tout à coup, on se retrouve nez à nez avec une maman ours,
un black bear ! Elle est à peine à une vingtaine de mètres de nous et
est en train de mettre à mal un tronc d’arbre à la recherche d’un rongeur.
Beaucoup plus petite que ses cousins du Yellowstone, le spectacle n’en est pas
moins grandiose. Soudain, à côté de nous, on voit descendre d’un arbre un
ourson. Il était allé jouer dans les branches, perché à une dizaine de mètres
de hauteur. Il saute gauchement au sol et va rejoindre sa mère en trébuchant
une ou deux fois. On est ému et on se sent privilégié de pouvoir observer cette
faune sauvage dans son élément, et cette fois-ci de très près. Et puis le petit
est vraiment trop craquant avec ses grandes oreilles. On reste un bon moment à
les observer tous les deux, jusqu’à ce qu’ils disparaissent dans les herbes
hautes. Quelle chance, à quelques minutes près, ou si l’on avait choisi un
autre sentier, on loupait cette magnifique rencontre.
Après toutes ces émotions, on marche
jusqu’au Moro Rock, un dôme de granit d’où l’on a une vue à 360° sur la Sierra
Nevada, la plaine californienne et la Giant Forest. On y distingue très
nettement les cimes des séquoias. Contrairement aux autres arbres, ils ne se
terminent pas en pointe, mais en boule. Chaque branche fait des espèces de
grappes volumineuses, un peu à la manière des baobabs. Après cette belle
journée, on ressort du parc pour retourner dans notre refuge de la National
Forest. Trop bien installé, on décide d’y passer encore deux nuits pour
profiter de la forêt avant de prendre la route pour San Diego et le Mexique.
Je suis fan encore et toujours!
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