samedi 16 juin 2012

De la Floride au Wyoming (texte)


Dimanche 13 Mai

Ça y est, nous sommes enfin prêts à prendre la route de l’ouest américain. Sur la carte, la route la plus courte fait 2 300 miles, soit 3 500 kilomètres. Nous choisissons donc de la faire d’un trait, sans arrêts ni détours. Il y a certes de nombreuses choses à découvrir et à visiter en chemin, mais la moindre petite incartade touristique se chiffre aux states en centaines de kilomètres. Notre objectif est avant tout d’avoir du temps dans l’ouest, et notre route est déjà suffisamment longue pour ne pas la rallonger… Nous décidons de tracer.

A 14h35, nous entamons donc notre long périple… Pour la première fois, nous lançons le camion sur la highway. Depuis que nous l’avons acheté, nous n’avons fait que de tous petits trajets et il faut maintenant se familiariser avec l’engin. Au début, on flippe au moindre petit bruit suspect. Nous avons acheté un camion qui a déjà vingt-trois ans et nous appréhendons les pannes. Celles-ci crèveraient notre budget et, surtout, nous retiendraient encore en Floride, ou sur un bord de route, notre cauchemar… Mais pour l’instant, tout se passe bien. Notre beau camion se comporte bien. Il faut juste s’habituer un peu à son gabarit, cinq tonnes et vingt-sept pieds de long, et à sa direction flottante, mais apparemment habituelle pour un Ford, qui le fait tanguer un peu de droite à gauche. Mais après une heure passée agrippé au volant, on arrive à s’accoutumer et à se détendre. Mis à part ça, pour la conduite, rien de bien difficile. Les routes sont toutes droites et avec le cruise control nous n’avons pas grand-chose à faire. A la vitesse où nous allons, nous n’avons pas vraiment à nous soucier du trafic puisque nous ne doublons personne. Nous trouvons assez rapidement un nom à notre nouveau compagnon. Son modèle est un Mini Winnie. Avec vingt-sept pieds, aux Etats-Unis, nous sommes ridiculement petits. Nous gardons donc «Winnie» et ajoutons «Rodéo», en souvenir des galères que nous avons eu pour l’acheter, et qui nous ont demandé de s’agripper sérieusement pour arriver au bout. Voilà, avec Winnie Rodéo, nous sommes lancés à 55 miles à l’heure, plein ouest.

Nous retrouvons rapidement le rythme de la route et des grandes tapées, mais avec plus de confort que d’habitude dans le Trafic. Lorsque l’un de nous deux conduit, l’autre mange, dort ou bouquine à l’arrière. Geneviève, notre GPS, nous guide et il n’y a plus qu’à se laisser porter par les longues lignes droites. Pour dormir, pas question de s’arrêter dans les campings. Cela nous oblige à sortir de l’autoroute et prend trop de temps. Et puis l’objectif est de se relayer pour s’arrêter le moins possible. L’un conduit tard le soir, l’autre tôt le matin pour réduire le temps où l’on n’avance pas. Pour tenir le rythme, nous comprenons vite quels seront nos alliés des pauses rapides : les stations-services Flying J, friendly avec les RVs, elles nous laissent squatter dans un coin, et les trucks stop où l’on se sent vraiment minuscule au milieu des semi-remorques américains. Ecrasés de fatigue, nous arrivons à y dormir, bercés par le générateur de nos énormes voisins et les bruits de fond de l’autoroute. Ça n’a rien de confortable, mais c’est pratique. En moins de cinq minutes, nous pouvons nous arrêter et nous coucher, et inversement le lendemain matin. 

Notre course vers l’ouest ne sera ralentie que par quelques petites choses à régler… Nous devrons changer la batterie qui, après avoir montré quelques signes de faiblesse, nous a carrément lâchés au moment de redémarrer quelque part au Texas, puis la deuxième batterie, celle de l’habitacle, pour les mêmes raisons que l’autre. Ça n’est pas vraiment une surprise. Au moment de l’achat, nous avions remarqué que les testeurs de batterie s’allumaient faiblement. Mais dans le doute, nous n’avions pas voulu changer les deux batteries avant d’être sûrs qu’elles ne se rechargeraient pas en roulant. Il nous faudra aussi faire une vidange, régler un petit problème de mauvaises odeurs de canalisations et s’arrêter dans un magasin de camping-car pour réparer la pompe à eau qui, par bonheur, s’est remise à marcher juste devant le magasin, comme par magie. Mais malgré ces stops, nous conservons notre moyenne et enchaînons les kilomètres. Ainsi lançés, la route devient hypnotique. Nous voyons défiler les panneaux. Les villes et les paysages apparaissent, comme dans un flash, avant de disparaître dans le rétroviseur. Nous avons à peine le temps de prendre une photo par la fenêtre pour les fixer dans notre mémoire. Le soir, au moment de s’endormir, lorsque nous fermons les yeux, nous voyons défiler les longues lignes blanches. Mais loin d’être ennuyeuse, la route est grisante. Nous avons rêvé de la parcourir, et malgré la fatigue, nous avons toujours envie de reprendre le volant et d’avancer. 

A ce rythme, nous voyons défiler la Floride, l’Alabama, le Mississipi (nous traversons même le fleuve mythique), la Louisiane, le Texas et le Nouveau-Mexique. Par la fenêtre, nous voyons les paysages évoluer. Des cocotiers de Miami, aux forêts de pins du nord de la Floride, en passant par les paysages lacustres de la Louisiane et les grandes plaines agricoles du Texas, nous arrivons aux steppes désertiques du Nouveau-Mexique. C’est la porte d’entrée de l’ouest. L’environnement devient aride, les habitations s’espacent et les cultures et les troupeaux de bétail qui peuplaient le Texas disparaissent. Le paysage se vide et devient minéral. Au loin, l’asphalte et l’horizon se déforment sous l’effet de la chaleur. Pas de doute, nous touchons au but. En fin de journée, après un superbe coucher de soleil sur la longue route rectiligne et le désert, nous traversons la dernière grande ville de notre trajet, Albuquerque.

Le lendemain, après un énième dodo dans un truck stop, nous reprenons le volant. Devant nos yeux défilent toujours les grandes plaines désertiques, mais dans le lointain se dessine une haute montagne qui se dresse dans le désert. Un peu plus près de nous se dessine une autre forme, plus petite, qui se rapproche. Rectangulaire, seul, perdu au milieu de nulle part, apparaît devant nos roues le mythique et tant attendu panneau : ARIZONA !!! Miracle, Yes I, Hourra, Alléluia !!! Nous y sommes !!! Nous y sommes arrivés !!!

Nous sommes soulagés, contents, fatigués, euphoriques. Après toutes nos dernières mésaventures, nous avions commencé à douter de la réalisation de la suite de notre voyage. Nous pensions que peut-être, après avoir passé tant de bons moments dans les Caraïbes, notre périple s’achèverait en Floride. Mais là, ça y est, nous sommes arrivés dans l’ouest et plus rien ne pourra nous empêcher d’en découvrir les merveilles.

A la fin de l’après-midi, nous atteignons enfin la grande montagne qui s’est dressée toute la journée devant nous dans le lointain. Il ne reste plus qu’elle entre Grand Canyon et nous. Nous l’attaquons sans tarder et hallucinons complètement en voyant, en quelques kilomètres seulement, le désert céder la place aux grands pins. Plus nous prenons de l’altitude, plus la température descend et plus la forêt se densifie. En peu de temps, nous nous retrouvons dans un paysage de montagne, surplombé par le Humphreys Peak qui culmine à plus de 3 800 mètres. Désormais, nous ne sommes plus pressés. Nous sommes arrivés là où nous voulions aller, alors nous ne résistons pas à l’envie de tirer le frein à main parmi les pins et à aller nous dégourdir les jambes. Nous sommes aussitôt accueillis par deux « mule deer », une sorte de biche à grandes oreilles. Comme la baleine en Guadeloupe, nous prenons leur apparition comme un message de bienvenue. Après une courte marche, un rapide repas, 2 300 miles et quatre jours de route, nous posons notre tête sur l’oreiller, sans qu’aucun bruit ne vienne nous perturber. Nous nous endormons tranquillement sous le plus haut pic d’Arizona.

Vendredi 18 mai : Grand Canyon

On se réveille au milieu de la forêt, dans le silence. Quel contraste avec nos précédentes nuits dans les trucks stop ! Une vraie nuit de neuf heures, sans bruit de moteur ou de générateur, quel bonheur. On prend le petit déjeuner en profitant du spectacle. C’est le premier jour où ne nous attend pas une tapée de plusieurs centaines de kilomètres, alors nous pouvons enfin prendre notre temps. Et en plus de ne pas avoir à faire les routiers, nous attaquons aujourd’hui nos visites de l’ouest puisque nous sommes juste à côté de Grand Canyon !

Nous quittons notre spot et reprenons la route. Celle-ci chemine à travers la forêt de Coconino, avant de rejoindre la forêt de Kaibab. Alors que l’on s’attendait à traverser une zone aride et sèche, le paysage est terriblement vert aux abords du canyon le plus célèbre des USA. A l’entrée du parc, on achète le Pass de 80 $, valable un an, et qui donne accès à tous les parcs nationaux. A 25 $ l’entrée d’un parc, on devrait vite l’amortir.

Le canyon a deux versants, le north rim et le south rim. Sur le south rim, plusieurs accès permettent de pénétrer dans le parc. Nous choisissons le plus central, l’entrée sud. De ce côté, le parc se divise en trois parties. Au centre, la zone de « Grand Canyon Village », où se trouvent les commodités. De part et d’autre du village s’étendent, à l’ouest, la zone de Hermit Road, fermée aux véhicules personnels, mais accessible à pied ou avec les navettes du parc, et à l’est, la Desert View Drive, une route jalonnée de nombreux points de vue, qui va jusqu’à l’entrée Est du parc. On se gare sur le parking de Grand Canyon Village, à côté du Rim Trail, une balade qui longe le canyon. A une centaine de mètres à peine du camion, presque sans s’y attendre, on tombe nez à nez avec le « Big ». L’approche est directe. Au détour d’un virage, on se retrouve perché au-dessus du précipice. Première image saisissante, tant par son côté impromptu que par la grandeur du lieu. On ne peut s’empêcher de se dire « ah ouais, quand même ! ». On ne peut qu’être impressionné par les mensurations démesurées de l’une des sept merveilles du monde. 1 600 mètres de profondeur, 15 kilomètres de largeur, plusieurs centaines de kilomètres de longueur, c’est tout simplement hallucinant. On a vraiment du mal à se faire à l’idée qu’un simple fleuve, même s’il s’agit du mythique Colorado, ait pu laisser une telle empreinte sur la terre. Notre petite cervelle, et son échelle humaine, a bien du mal à réaliser le travail effectué pendant des millions d’années. On poursuit notre balade vers l’ouest en enchaînant les points de vue. On commence à se familiariser avec le géant. On aperçoit furtivement le Colorado, si loin, tout en bas. Il est blotti dans une gorge plus étroite, un canyon dans le canyon. Pour se le représenter, on peut dire qu’il y a, en partant du haut, une première ouverture, pharaonique, d’un kilomètre de profondeur et très large, puis une seconde, beaucoup plus étroite, profonde de cinq à six cent mètres, dans laquelle s’écoule le fleuve.

Après une pause déjeuner, on repart pour Hermit Road, où l’on découvre de nouveaux points de vue sur le canyon. On les rallie tantôt en bus, tantôt à pied. Il souffle un très fort vent qui remplit l’air de poussière et réduit un peu la visibilité. Et du coup, il ne fait pas chaud. Plusieurs trails partent de la route et descendent dans le canyon. Ils nous tentent bien mais la dernière semaine à Miami et les 3 500 kms de camion nous ont un peu séché. D’autant que les randonnées sont au minimum de dix à douze heures avec, bien entendu, un fort dénivelé. On reste donc sagement sur le plateau et profitons du spectacle depuis les falaises. On a la chance d’apercevoir un condor, d’une incroyable envergure, s’envoler et s’élever rapidement au-dessus de nos têtes. On croise aussi quantité de petits écureuils pas vraiment farouches.

Après une pause au camion, nous retournons sur le Rim Trail pour profiter des couleurs changeantes de la fin de journée. On est encore saisi par l’immensité du lieu, ses à-pics, ses couleurs. Un lieu unique, porte d’entrée des parcs de l’ouest américain, et graal rêvé depuis plusieurs mois. On se revoit, en France, en train de déplier la carte routière des US et de surligner en fluo « Grand Canyon ». Aujourd’hui on y est ! Après de multiples péripéties et rebondissements, on y est arrivé. Et ce n’est que le début…

Le soleil se couche et nous reprenons Winnie pour aller dormir en dehors des limites du parc. Les campings y sont très chers et l’on y est les uns sur les autres. Nous préférons essayer de nous trouver un bout de forêt. On croise en chemin un orignal qui broute tranquillement au bord de la route. Il n’a pas l’air gêné par les touristes qui le mitraillent en tous sens et, telle une star entourée de paparazzis, il continue naturellement son repas. Il est majestueux avec ses longs bois recouverts de velours. Passées les guérites de l’entrée, on prend un chemin de terre que l’on avait repéré. On trouve rapidement un bon emplacement pour la nuit, toujours dans la forêt de Kaibab et on savoure une fois de plus ce campement en pleine nature.

Samedi 19 mai : Desert View Drive et Lac Powell

Ce matin, nous prenons la route de Desert View Drive qui longe la rive sud du canyon et mène au lac Powell, notre prochaine escale. Nous nous arrêtons à tous les points de vue. Les premiers sont similaires à ceux d’hier mais la lumière, ce matin, est plus belle. Le vent est tombé et l’air n’est plus encombré de poussière. On arrive à Lipan Point et on tombe tous les deux en admiration. Cet endroit diffère des autres car on surplombe une partie du canyon qui fait un virage. De là, on peut voir le Colorado venir de l’Est, sinuer sous nos yeux et s’étirer vers l’Ouest. De plus, c’est le point le plus élevé de la route et de cette hauteur on peut voir les immenses étendues qui composent les terres Navajo. Le regard peut ainsi s’étendre sur des kilomètres sans rencontrer d’obstacle. Le cadre est fantastique, les à pics sont vertigineux, et on prend d’un coup toute la mesure et la force du canyon. C’est sans conteste le plus beau point de vue. Mais également presque le dernier. On a du mal à quitter le site. On marche à reculons pour ne pas décoller les yeux du canyon. Mais on ne va pas y rester toute notre vie, et la route du grand Ouest ne fait que commencer !

Avant de partir, nous remarquons un couple en train de galérer à se faire une photo. Nous leur proposons de les photographier et rencontrons ainsi Bob et Micheline, un couple de québécois, adorables et chaleureux comme savent l’être les canadiens. Nous discutons un long moment et réalisons que nous suivons le même itinéraire. Eux aussi se rendent au lac Powell, alors nous avons de fortes chances de nous recroiser.

On quitte donc Grand Canyon, direction le Nord vers Page, la ville bordant le fameux lac Powell. La route est superbe. On roule sur de hauts plateaux tailladés par de nombreux canyons. C’est une région incroyable. La forêt a laissé place à d’immenses étendues désertes. On fait un stop à Horse Shoe Bend, un endroit où le Colorado fait une boucle en forme de fer à cheval. On le surplombe du haut de falaises hautes de 300 mètres. Là encore, le spectacle est superbe. Mais par rapport à Grand Canyon, la température est montée d’un cran, et il ne fait pas bon s’aventurer loin du camion sans bouteille d’eau sous la main. Nouky, au départ ravi de voir que les chiens n’étaient pas interdits, tire une langue d’un kilomètre de long et se montre plutôt pressé de retrouver sa maison roulante. 

On arrive au Lac Powell en fin de journée. On repère un point de vue en hauteur pour aller admirer le coucher du soleil. On y a une vue dégagée sur le lac, ou tout du moins une partie, car celui-ci s’étend sur plus de deux cent kilomètres. On aperçoit également le barrage, qui a donné naissance au lac il y a une cinquantaine d’années. J’étais sceptique sur ce lieu. Je me disais qu’un lac, de surcroit artificiel, devait présenter un intérêt limité. Je me trompais. La zone qui a été inondée était composée de canyons et de hauts plateaux. L’arrivée de l’eau a ainsi produit une multitude de bras de mer ou… de lac, avec des falaises, des îlots et des mesas, ces tables de roches bordées d’à pics. Le panorama est donc incroyable et le couchant révèle toutes les nuances de rouge possibles sur les roches. Par contre, pour le dodo ça fait moins rêver car toute la zone est classée « Glen Canyon Recreation Area ». Le camping sauvage y est interdit et il est donc impossible de se poser au bord du lac. Les seules alternatives sont soit un camping hors de prix en bord de route, soit le parking du Wal Mart, ce sera donc parking… Et nous ne sommes pas les seuls à avoir choisi cette option. A peine arrivés, nous repérons le camion de Bob et Micheline. Laeti va taper à leur porte pour leur faire un petit coucou. Fatigués après une journée bien remplie, ces derniers avaient décidé, pour une fois, de se coucher tôt. Mais malgré le fait d’avoir été ainsi réveillé en début de nuit, ils ne perdent rien de leur bonne humeur et on se donne rendez-vous le lendemain pour aller visiter Antelope Canyon ensemble.

Dimanche 20 mai : Antelope Canyon et flight

Au réveil, on se dirige donc tous les quatre vers Antelope Canyon. Il s’agit d’un petit canyon très étroit, profond seulement d’une trentaine de mètres et qui est aujourd’hui asséché. Les eaux ont fendu le sol et poli la roche, créant ainsi un étroit passage aux formes psychédéliques où l’on peut pénétrer à pied et se balader pendant une bonne heure. La plupart du temps, le canyon ne fait qu’une taille d’homme de large, si bien que l’entrée est à peine visible. De l’extérieur, il apparaît d’ailleurs davantage comme une faille ou une fissure que comme un canyon. De fait, les rayons du soleil ne pénètrent que furtivement par endroits, créant des puits de lumière et une ambiance irréelle. La roche polie fait de multiples courbes qui revêtent, grâce à la lumière diffuse, des couleurs fantastiques. On est encore ébahis devant ce spectacle surnaturel.

Après une rapide corvée de linge en ville, on attend avec impatience la fin de journée. On a craqué et on a réservé pour 17h30 un tour en avion qui doit survoler le lac durant une quarantaine de minutes. C’est un budget colossal pour notre tirelire, mais tout le monde s’accorde à dire que c’est un immanquable. Il y a peu d’accès terrestres au lac et, de toute façon, celui-ci est tellement étendu que c’est le moyen le plus adéquat d’en admirer la superficie et la beauté. Laeti est un peu anxieuse, bien sûr, mais c’est un petit avion, alors ça va… Ce sont les gros qui font peur, les petits, moins…

A 17 h 30, le soleil a déjà décliné. La lumière commence à illuminer la roche quand les roues du Cesna Caravelle quittent l’asphalte. On s’élève très vite et prenons la direction du Nord, vers le Rainbow Bridge, un pont naturel formé dans la roche. Là, c’est simple, le temps s’arrête, on bascule dans un autre monde, féérique. On survole les innombrables bras de mer qui forment des « S » interminables comme des serpents. Les eaux du lac sont d’un bleu profond et intense. Les rives éclatantes. Les mesas font places à des canyons. C’est une merveille absolue à 360°. Même Laeti en oublie complètement ses peurs et détache sa ceinture pour mieux se contorsionner et ne pas en perdre une miette.

A la fin du vol, on voit l’avion se poser à contrecœur. C’est presque contre nature de retourner à la réalité. Le regard porte moins loin et le monde redevient tout petit. Ou c’est nous qui le redevenons. En tout cas, ça fait un choc et on n’a pas du tout envie de quitter nos sièges, un peu comme un matin d’hiver glacial où on ne voudrait pour rien au monde quitter sa couette moelleuse et généreuse après y avoir fait de beaux rêves. Heureusement, pour compenser ce déchirement, nous avons, sur le tarmac même de l’aéroport, droit à un spectacle unique : une éclipse de soleil ! Incroyable, on n’était pas au courant, mais des gens nous tendent spontanément des lunettes spéciales. On voit distinctement la lune couvrir le soleil pour se placer en plein milieu, ne laissant apparaître qu’un anneau de lumière. On a vraiment une chance inouïe car des français, rencontrés par hasard, nous révèlent avoir organisé tout leur trip en fonction de l’éclipse, car c’était uniquement à Page que l’on pouvait l’observer de cette manière ! A une heure près, ou à 100 kilomètres près, on loupait tout !

Cette éclipse clôture donc une journée encore exceptionnelle. Ça ne fait que trois jours que nous avons commencé les visites et nous avons déjà pu observer tellement de merveilles. On se demande sérieusement ce qui fait que l’ouest des USA ait autant de sites exceptionnels regroupés dans une même zone. Pourquoi eux ? Et pourquoi tout ici ? On a à peine le temps de réaliser tout ce que l’on a vécu que déjà se dessine le programme du lendemain : Monument Valley… !

Lundi 21 mai : Monument Valley

Ce matin, on ne se résout pas à quitter Page sans revoir une dernière fois le lac. On sort donc de la route de Kayenta et prenons la direction de Antelope Point, un des rares accès au lac ouvert aux véhicules. On pique une tête dans une eau bien fraiche, mais c’est Nouky qui se baigne le plus longtemps. Trop heureux de voir de l’eau après ces immensités désertes, il ne veut plus sortir de son bain.

On prend la route en fin de matinée. Celle-ci est toujours magnifique et chemine entre des formations rocheuses en tous genres et de toutes les couleurs. Et ça aussi c’est incroyable : que le paysage soit fabuleux à l’intérieur des parcs, cela semble normal, sinon il n’y aurait pas de parcs. Mais une fois sortis, le spectacle ne s’arrête pas et nous continuons d’en prendre plein les yeux. Il faut résister à l’envie de s’arrêter toutes les cinq minutes pour faire des photos, sinon nous n’avancerions pas.

En début d’après-midi, on voit se dessiner au loin des mesas caractéristiques. La mythique Monument Valley n’est plus très loin ! La route s’engage entre de grandes formations rocheuses. Le paysage est certes joli mais ne correspond pas à l’image que nous nous étions forgée. Nous sommes presque déçus et doutons d’être au bon endroit. Mais la route continue à grimper en pente douce jusqu’à un parking aménagé pour les touristes. Nous garons le camion et traversons le parking à pied. Celui-ci monte encore un peu jusqu’à une cassure abrupte. Et là, nos doutes s’évanouissent. C’est bien là, et c’est grandiose. Nous prenons de plein fouet l’image sur laquelle nous avons rêvé depuis tant de temps, et qui nous a donné envie de parcourir tout ce chemin. Devant nous se trouvent les trois mesas les plus connues de l’ouest américain. Elles se dressent dans le désert comme trois sentinelles, les trois gardiennes des terres Navajo. Nous en restons sans voix.

Du parking, une piste plonge dans la plaine et serpente entre les mesas. Mais elle est trop défoncée pour l’imposer à Winnie. Les Navajos proposent bien des excursions en 4 x 4, mais à 80 $ par personne ! Au pays du business, les indiens ne sont pas en reste… Mais comme les véhicules particuliers sont autorisés à emprunter la piste, on décide de faire du stop, en ciblant les pick-ups qui peuvent nous charger dans leur benne. Après avoir changé trois fois de véhicule, on se retrouve au cœur de la vallée. D’ici, les trois géantes nous semblent encore plus imposantes. La piste nous conduit jusqu’au pied des « Three sisters », trois pics verticaux qui se détachent d’une immense paroi rocheuse.

Après cette escapade, on retrouve le parking et on se poste pour le coucher du soleil qui, peu à peu, va teinter les formations rocheuses en déclinant encore une fois la palette des rouges. Le cadre est grandiose, « Monument – al ». Incapable de quitter le site, on dort sur le parking pour profiter une nouvelle fois de ce décor incroyable, mais cette fois en version lever de soleil.

Mardi 22 mai : Sun rise et Canyonlands

Réveil à 5 h 30. Il est temps de quitter la couette car le ciel est déjà bien illuminé à l’Est. En sortant du camion, le vent frais qui souffle sur la vallée finit de nous réveiller. On prépare nos appareils à immortaliser les instants à venir et on va se poster sur un rocher. Le ciel rougit de plus en plus jusqu’à ce que, peu après six heures, le paysage s’illumine complètement. Le soleil apparaît pile entre les mesas, les dessinant en ombres chinoises dans le désert. La nature est bien faite. L’instant est magique. Tels des lézards, nous restons immobiles, laissant le soleil nous réchauffer en admirant les changements de couleurs sur la roche. Après avoir profité de ce nouveau spectacle sur Monument Valley, nous ne résistons pas à l’envie de retourner une heure sous la couette.

Après un deuxième réveil et un dernier salut aux trois grandes, on prend la direction du Nord. Dans le rétro, on les regarde s’éloigner lentement. Après la célèbre vallée, on traverse une longue plaine aride jusqu’à la bifurcation avec la 261. En empruntant cette dernière, nous avons la sensation de quitter la civilisation. Nous ne croisons personne, et lorsque que l’on s’arrête prendre une photo, nous prenons conscience du silence qui nous entoure. Nous sommes au milieu du désert, absolument seuls, et il ne semble rien y avoir sur des kilomètres à la ronde. Nous en ressentons une sensation grisante. La route semble ensuite foncer tout droit dans une paroi rocheuse. Ce n’est qu’au dernier moment, une fois arrivé au pied des falaises, que l’on devine son tracé sinueux. Celle-ci grimpe à flan de rocher et n’est plus goudronnée. Nous avons un moment d’hésitation devant les panneaux interdisant l’accès aux véhicules de plus de cinq tonnes, exactement notre poids. Mais le paysage est encore une fois sublime et l’envie de se lancer est la plus forte. D’autant qu’après les milliers de bornes effectuées sur les pistes sud-américaines, celle-ci nous semble être du velours. On gravit la côte lentement, mais Winnie tient le coup. Il accomplit sans broncher son baptême du « off-road ». On est content. La route nous fait prendre de l’altitude et on peut admirer le paysage en contrebas sur des dizaines de kilomètres. 

On continue notre remontée vers le Nord, vers notre nouvel objectif, le Canyonlands National Park. C’est un parc qui se trouve en dehors des grands circuits touristiques et qui est donc moins fréquenté. Notre guide de voyage qui le décrit comme « une vision des premiers jours sur la Terre » a fait travailler notre imagination et nous a donné envie de nous y rendre. On y pénètre par son entrée Sud, le secteur des Needles, et après quelques miles seulement la route devient simplement sublime. Elle descend au fond d’un canyon et sinue le long des immenses parois verticales. Le fond de la vallée est verdoyant et baigné par une belle lumière d’altitude. Il y a ici et là des mesas comme à Monument Valley. Elles sont un peu plus petites mais elles ont été façonnées par la nature selon le même procédé, à savoir une longue paroi verticale au pied de laquelle les débris de roche ont formé de hauts contreforts. Plus ou moins longues et plus ou moins hautes, ces formations forment un panorama inoubliable.

On est moins chanceux avec le secteur des Needles, ces cheminées colorées en forme d’aiguilles, que l’on n’apercevra qu’à distance. On rebrousse chemin et allons nous installer pour la nuit en sauvage, juste avant l’entrée du parc. On profite des derniers rayons pour aller se promener sur la crête qui surplombe notre spot, pour la plus grande joie de Nouky.

Mercredi 23 mai : Island in the sky

On reprend la route principale, la 191, vers le Nord. On dépasse Moab, qui semble être le Hookipa du VTT, et bifurquons sur la 313, où se trouve l’autre partie du Canyonlands NP ; Island in the sky. La route sinue sur de hauts plateaux en surplombant les canyons. A la pointe sud, à Grand View Point, on a une splendide vue ouverte à presque 360° sur la région. A perte de vue, le paysage est minéral. On devine les tracés de la Colorado River et de la Green River qui sillonnent le paysage et on aperçoit au loin les Needles. On se fait une balade sur les bords du canyon, longeant ainsi des à-pics verticaux de plusieurs centaines de mètres.

Comme d’habitude, on doit ressortir du parc pour trouver un endroit où passer la nuit. Malheureusement, tous les parcs nationaux fonctionnent sur le même principe. Il est interdit d’y faire du camping sauvage. Pourtant, un parc comme Canyonlands s’étend sur des centaines de kilomètres et n’est composé quasiment que de roche. On n’imagine pas bien ce que nous pourrions y détériorer en garant notre camion pour y passer la nuit. Paradoxalement, dans les forêts nationales, qui pourtant, comme leur nom l’indique, sont composées d’arbres, le camping est autorisé, et les campeurs ont même le droit d’y faire un feu ! Bref, nous subissons ces règles absurdes qui, il nous semble, visent plus à enrichir les propriétaires de camping qu’à protéger l’environnement. 

Il est 18 h lorsque nous trouvons un coin sympa pour passer la nuit. Nous partons balader avec Nouky qui, durant la journée, n’a malheureusement pas la joie de se dégourdir les pattes sur les sentiers des National Parks. Là encore nous sommes confrontés à des règles stupides. Dans les parcs, les chiens sont autorisés sur les routes goudronnées, mais pas sur les sentiers. Et là encore, on ne comprend pas bien la raison. Seuls les « chiens de service » sont autorisés. Résultat, de nombreux américains se sont inventé une maladie mentale qui nécessite la compagnie d’un chien pour être supportable. Ils sont ainsi autorisés à promener leur compagnon qui lui, apparemment, ne pollue pas comme un chien « pas de service ».

Cet aspect-là des Etats-Unis nous gave un peu. Le « trop cadré » américain. Marchez là et pas à côté. Campez uniquement dans les campgrounds. Vous pouvez camper ici, mais il faut demander une autorisation en trois exemplaires six mois à l’avance. Sortez votre chien en laisse renforcée uniquement sur la « pet area » ou le « dog walk ». Ne pétez pas n’importe où… On se sent un peu à l’étroit avec toutes ces règles. On est venu pour profiter des grands espaces et se sentir libre, et non pas entravé par des tonnes de règles absurdes. Pour échapper à ce trop-plein de règles, on décide de couper nos visites des parcs par des pauses de deux ou trois jours dans les zones plus sauvages qui séparent les parcs. Et heureusement, les « National Forests » sont là. Ce sont des zones de forêts protégées qui brillent par leur absence de règles ; le paradis. Et en général, tous les parcs en sont entourés. On prend donc vite l’habitude de repérer ces espaces de liberté sur la carte et organisons notre itinéraire de manière à ne jamais se trouver bien loin de l’une d’elles.

Enfin, en cette fin de journée, on profite une nouvelle fois de notre virée en sauvage où l’on parque Winnie où l’on veut et où l’on se balade avec Nouky à notre gré.

Le matin, de bonne heure, nous sommes réveillés en sursaut par une sorte de sirène ou d’alarme que, dans notre coma matinal, nous n’arrivons pas à identifier. Sans sortir du lit, nous jetons un œil par la fenêtre et apercevons, à trois mètres du camion, et donc à trois mètres de notre oreiller, une énorme vache. Celle-ci est plantée des quatre fers face à Winnie et, l’œil courroucé, elle nous assène à intervalles réguliers d’un « meuuuuh » plein de colère. Elle est visiblement outrée qu’un tel intrus ait osé pénétrer sur son territoire pour se mettre en travers de sa route. Après un long moment, voyant que, malgré sa voix tonitruante, elle n’arrive pas à impressionner notre mastodonte de camion, elle se décide à poursuivre son chemin et à nous laisser nous rendormir. C’est sûr que dans les campings, on ne doit pas connaître ce genre de réveil…

Jeudi 24 mai : Dixie National Forest

Nous quittons la zone de Canyonlands pour l’Ouest, et partons en direction du très attendu Bryce Canyon. La route traverse une nouvelle fois de grandes étendues désertiques avant de plonger au fond de superbes canyons. Elle serpente ensuite dans une vallée encadrée par de majestueuses parois verticales. C’est un itinéraire peu fréquenté et, encore une fois, lorsque nous arrêtons le camion, nous n’entendons que le silence et le bruit du vent sur la roche. On en ressent plus intensément l’aridité et l’isolement du lieu. Puis, notre route nous fait traverser le Capitol Reef Natinal Park et ses énormes formations rocheuses blanches et arrondies. Ce doit être le cinquantième canyon que nous traversons depuis le début de notre voyage dans l’ouest et pourtant, nous avons à chaque fois l’impression de découvrir quelque chose de nouveau. La roche n’a jamais deux fois la même couleur ou la même forme. A chaque nouvelle étape, nous découvrons la créativité sans limites de la nature et de l’érosion. Alors qu’à un endroit celle-ci va user les roches de manière agressive, créant ainsi des pointes, des flèches ou des arrêtes, ailleurs l’eau et le vent vont sculpter des formes douces, lisses et arrondies. 

Pour découvrir le Capitol Reef, on fait une halte à Natural Bridge. A un mile de la route, par une courte mais très belle balade dans un décor minéral, on découvre un gigantesque pont de pierre naturel. Il est réellement impressionnant. Et là encore, on est bluffé par ce que les éléments et les années sont capables de réaliser. A sa base, on découvre que la paroi est lentement en train de s’effeuiller car des morceaux de roche sont en train de se détacher. Sous nos yeux, nous observons la preuve du travail de la roche dont l’immobilité n’est qu’apparente.

Lors d’une seconde pause, nous apprenons qu’à Capitol Reef, le taux de pollution est l’un des plus bas du pays et qu’ainsi la visibilité s’étend jusqu’à 230 kms. Nous serions donc en train de respirer l’air le plus pur des USAs…

On poursuit la « scenic road », c’est-à-dire une route officiellement reconnue comme belle, qui en l’espace d’une demi-heure nous fait passer des canyons désertiques à une véritable forêt ! On se retrouve à plus de 2 500 mètres d’altitude au milieu des pins, bordé de sommets à plus de 3 000. C’est incroyable. En Utah, les paysages fluctuent aussi vite que la température. Dès que nous passons la barre des 2000, il fait frais et nous retrouvons les forêts, alors qu’en dessous, ça n’est que roche et aridité. Les nombreux massifs montagneux dont est doté l’état apparaissent ainsi comme des îlots de verdure et de fraicheur au milieu du désert. On décide de faire un stop dans la Dixie National Forest pour la nuit et de profiter de la forêt pour faire une marche le lendemain. On découvre une piste qui part de la route goudronnée et s’enfonce dans la forêt. Un peu plus loin, on tire le frein à main entre les hauts arbres. Ce sera parfait pour la nuit.

Samedi 26 mai : Bryce Canyon

Ce vendredi, on part donc se balader en pleine forêt. On gravit un sentier qui, à la manière dont nous sommes essoufflés, nous fait prendre conscience de l’altitude. Malheureusement, après une bonne heure de marche, celui-ci s’évanouit dans la forêt. Mais nous sommes lancés et bien décidés à atteindre un point de vue dégagé. On doit alors improviser parmi les arbres et les éboulis, et pour être sûr de retrouver notre chemin au retour, nous faisons des petits tas de cailloux. Nous ne sommes pas au pays des indiens pour rien… et puis ça a marché pour le Petit Poucet… En grimpant ainsi, on arrive dans une zone dégagée à partir de laquelle nous avons un très beau point de vue. C’est surréaliste. Nous sommes en montagne, parmi les arbres, et nous pouvons pourtant admirer le désert à perte de vue. Mais même si le spectacle est splendide, le vent glacial et violent qui souffle ne nous donne pas envie de nous installer pour pique-niquer. On redescend s’installer au bord d’un ruisseau, dans une prairie léchée par le soleil et encadrée par de hauts pins.

En fin de journée, on repart tranquillement vers le Sud-Ouest pour se rapprocher de Bryce Canyon. La route, après un col à 3 000, descend brutalement pour retrouver les canyons et leur aridité. On roule tantôt dans le fond des vallées, tantôt au-dessus des falaises. Un très beau tracé chemine un moment sur une crête étroite, séparant deux profonds canyons. Comme la nuit approche, nous quittons le goudron pour emprunter une petite piste. Celle-ci longe un champ à partir duquel nous avons une vue dégagée sur les montagnes du parc de Grand-Staircase Escalante. La vue est superbe et nous ne pouvons résister à l’envie de s’arrêter pour la nuit, même si la piste semble mener à un ranch. On arrête un fermier qui passe sur le chemin pour lui demander son avis. Celui-ci, fermier des temps modernes qui ne se déplace plus à cheval mais en quad, nous répond gentiment que ça ne pose pas de problème. Il souffle toujours un vent violent qui fera tanguer Winnie toute la nuit, nous berçant ainsi doucement.

Ça y est, aujourd’hui samedi, nous arrivons au célèbre Bryce Canyon National Park. Celui-ci est organisé un peu comme Grand Canyon, avec une route parsemée de points de vue sur le site. On commence par aller se garer au parking du premier belvédère, Sunrise Point. Après quelques pas seulement, nous découvrons le site et restons médusés par ce que nous voyons. Bryce Canyon n’est en fait pas un canyon. Il s’agit d’un immense amphithéâtre dans lequel la roche friable, chargée de minéraux, s’est érodée en formant d’innombrables « hoodoos », des cheminées de fées. Ces cheminées, déjà spectaculaires par leurs formes, ont en plus pris la teinte des métaux qu’elles contiennent et déclinent ainsi une palette de couleurs allant de l’orange au rouge, coupées de strates blanches. Le spectacle de la roche est donc incroyable, mais il est encore renforcé par le cadre alentour. L’amphithéâtre est bordé d’une forêt de pins dont la couleur tranche avec les teintes chaudes de la pierre. De plus, le site est élevé et dégagé, et la vue porte sur des plaines et plateaux s’étendant sur plusieurs centaines de kilomètres.

Du haut de la falaise, nous apercevons plusieurs chemins qui descendent serpenter parmi les cheminées. Le lieu est déjà magique depuis les points de vue mais ces chemins doivent offrir de nouvelles perspectives sur les hoodoos. Pour prendre le temps de faire toutes les randonnées et découvrir le site, nous décidons de rester plusieurs jours sur place, malgré les températures glaciales qui y règnent. Le parc est situé en altitude, de 2 300 à 2 800 mètres selon les endroits. De plus, le vent, déjà fort les jours précédents, s’est encore renforcé et on a vraiment l’impression qu’il descend directement du pôle Nord. Heureusement, nous traînons depuis le début un sac d’affaires chaudes contre lequel nous avons râlé plus d’une fois dans les Caraïbes. Nous sommes maintenant bien contents de déballer polaires, vestes et écharpes. Ça caille tellement qu’il devient presque impossible de faire des photos. A peine l’appareil sorti, on ne sent plus nos doigts. Mais ainsi équipés, et à condition de ne pas rester immobile plus d’une demie minute, nous arrivons à résister au froid et à poursuivre notre découverte du site. Mais la vraie mauvaise surprise viendra le soir. Au retour de notre balade, complètement gelé, on se jette sur le chauffage du camion pour l’allumer mais ce dernier refuse de démarrer. Nous avons acheté le camion à Miami, dans un bon 30°, et après trois mois en short et tongs, on n’était pas vraiment dans une optique « fraicheur ». On a donc complètement oublié de tester cette partie-là du camion. Et à cause de cet oubli, les nuits deviennent vraiment difficiles. Un camping-car n’est pas isolé comme une maison et il y fait vite la même température qu’à l’extérieur. Le thermomètre descend en dessous de zéro et nous n’avons même pas de vraies couvertures. Avec ce froid, il est quasiment impossible de s’endormir et les nuits deviennent très courtes, ou plutôt très longues à attendre le lever du soleil. Laeti pensera même à prendre Nouky dans le lit, mais devra y renoncer devant l’odeur de cheval que ce dernier se trimbale depuis qu’il s’est roulé dans du crottin.

Mais les visions du jour valent bien les supplices de la nuit, et on décide de rester malgré tout. Les jours suivants le vent faiblit un peu, et l’on gagne quelques maigres degrés. Le soleil, absent depuis le début, sort le bout de son nez. Nous ne ratons alors pas une occasion de profiter de ces rayons afin d’emmagasiner un peu de chaleur. On se fait samedi et dimanche deux randonnées dans le parc. Les sentiers partent des belvédères et descendent le long des parois rocheuses. On y a une perception différente des cheminées. Plus proches, elles paraissent bien plus imposantes que du haut de la falaise. Les chemins serpentent parmi elles dans un dédalle de roches et de couleurs. De là, on constate que la nature n’a pas terminer de façonner le paysage et que l’érosion n’a pas fini son travail. Sous l’action des intempéries, de nombreux arbres se retrouvent les racines à l’air. Le paysage de Bryce continue donc de se transformer au fil des années. 

Le troisième jour, après avoir arpenté de long en large l’amphithéâtre, on décide de profiter de la navette gratuite que mettent à disposition les rangers pour aller découvrir la partie la plus éloignée du parc. C’est un bus qui propose une excursion de trois heures avec des arrêts réguliers aux points de vue qui jalonnent la route, jusqu’au plus éloigné, Rainbow Point. Moins spectaculaire que l’amphithéâtre lui-même, ce circuit offre tout de même de nombreuses perspectives sur le site. Et puis cette petite virée nous permettra de confronter la discipline américaine à l’anarchie typiquement française… Nous sommes les seuls touristes européens dans le bus. Quand celui-ci s’arrête au premier point de vue, nous nous levons et commençons à remonter l’allée jusqu’à la porte de sortie à l’avant. Mais arrivé à mi-parcours, on sent comme un malaise… Tout le monde nous regarde et personne ne s’est levé, à part les premières personnes assises à l’avant. On comprend vite que, dans un bus rempli d’américains, il est absolument inconcevable de se lever en premier lorsqu’on est assis à l’arrière. On doit attendre son tour. De même, les pauses sont minutées et une heure de retour au bus est à chaque fois fixée. A la première pause, nous rentrons au bus avec trois minutes d’avance, et pourtant en arrivant, nous trouvons le moteur allumé et tous les passagers déjà sanglés sur leur fauteuil. Là encore, nous nous faisons remarquer. Mais loin de se montrer désagréables, les passagers semblent trouver cette indiscipline, inacceptable pour un américain, tout à fait normale venant de français. Durant toute la suite de la balade, nous prendrons quand même garde à arriver en avance et à attendre sagement notre tour pour nous lever… 

Mais il faut reconnaître que si cette obéissance de petits écoliers nous fait rire, elle a aussi de bons côtés. Cette courtoisie, un peu excessive certes, se retrouve dans les relations humaines. Sans généraliser pour autant à l’ensemble des américains, les personnes que nous croisons se montrent particulièrement chaleureuses. Il est très facile d’entamer la conversation avec une personne croisée sur un chemin ou dans la rue. Et s’il nous arrive de demander un service ou un conseil, l’autre va tout faire pour nous aider. Par ailleurs, nous observons un sentiment patriotique extrêmement important et une grande fierté d’être américain qui peuvent, par certains côtés, être agaçants. Ces derniers sont en effet persuadés d’habiter le plus fabuleux des pays et ne savent à peu près rien du reste du monde. Par exemple, de la France, ils savent qu’il y a une grande ville qui s’appelle Paris et que nous n’avons pas de camping-cars aussi grands que les leurs. Mais cette fierté, qui frôle parfois l’arrogance, a ses bons côtés. Grâce à elle, les américains se font un devoir d’être agréables avec les touristes afin que ces derniers apprécient leur pays et en garde une bonne image. Ils montrent également assez souvent une grande empathie. En Floride, au premier bureau de la western union, lorsque nous n’arrivions pas à retirer notre argent, nous avons presque fait pleurer la personne du guichet. Après avoir expliqué notre problème, alors qu’en France nous n’aurions eu droit, au mieux, qu’à du désintérêt, nous avons quitté une employée au bord des larmes. Il faut donc reconnaître que, même si souvent l’hyper obéissance aux règles des américains nous tapent sur les nerfs, elle va de pair avec un certain civisme qui facilite les relations.

Enfin, en bons français désobéissants, nous continuons à dormir en dehors des campgrounds et à squatter les forêts avoisinantes. Celle qui borde le parc est très belle et on y trouve refuge pour les trois nuits glaciales que nous passerons à Bryce. On y croise de nombreux « elks », « mule deers » et écureuils et on conserve pour le moment notre objectif 100 % wild, 0 % camping.

Mardi 29 mai : Go North

Mardi nous levons le camp avec difficulté car un lieu comme celui-ci ne se quitte pas volontiers. Et il y a de fortes chances pour que ce soit notre première et dernière visite. On retourne une dernière fois à l’amphithéâtre pour graver son spectacle dans nos mémoires, et nous reprenons la route pour le Nord et le non moins célèbre Yellowstone NP, à cheval sur le Wyoming, le Montana et l’Idaho. Après les fraîches nuits passées à Bryce, et en prévision des – 2° annoncés pour la journée à notre prochaine escale, on aimerait bien trouver un moyen de chauffer le camion. On fait donc un stop à Salt Lake City pour tenter de trouver une solution. Première étape, le Wal Mart. Nous avons besoin de faire un gros ravitaillement et nous avons repéré sur leur site internet des chauffages amovibles à gaz ou à pétrole qui pourraient nous chauffer au moins le temps de la soirée. Mais par manque de chance, la saison hivernale est derrière nous et ils n’ont plus rien en magasin. A défaut de chauffage, nous investissons dans des duvets.

Mais comme tout le monde nous répète qu’à Yellowstone la température est vraiment glaciale, on décide d’explorer la deuxième option, plus aléatoire, et certainement plus coûteuse, faire réparer le chauffage. Ça ne nous semble vraiment pas évident et nous n’avons aucune envie de revivre un « Iquique » bis, cette étape dans notre périple en Amérique du Sud où nous avions fait une pause dans la ville d’Iquique pour tenter de réparer notre chauffe-eau. Nous avions finalement perdu une semaine entière à tourner dans la ville, à nous faire balader d’un réparateur à l’autre, sans qu’aucun ne trouve finalement de solution, et nous étions reparti avec notre chauffe-eau décortiqué, mais toujours en panne, pour une année de douches froides. Cette fois, nous sommes bien décidés à ne pas récidiver et l’on se donne la journée pour trouver une solution. Si nous n’en trouvons pas, nous repartirons quand même vers le Nord, quitte à se greffer les duvets sur la peau 24 h sur 24.

On frappe donc à la porte du Camping World de Draper à 8 heures pétantes. Les Camping World sont des usines pour camping-cars qui jalonnent toutes les routes des States. Ils vendent des campers et effectuent des réparations. Mais à l’image des Etats-Unis, ils sont gigantesques. Il y a peut-être deux cent véhicules neufs en expo et l’atelier de réparation compte plus de dix hangars. C’est tellement immense que les employés s’y déplacent en voiture électrique. Donc quand on arrive avec Winnie, on n’est pas vraiment leur priorité. Leur agenda est booké et ils nous proposent un rendez-vous pour la semaine suivante. Non ! Ils n’ont pas compris. On a dit : pas de Iquique bis ! Mais après avoir parlementé un moment, ils acceptent de s’occuper de nous dans la journée. Un employé sort voir Winnie et nous annonce qu’on en aura pour 75 $, rien que pour établir le diagnostic ! Pardon, 75 $ ? Mais à ce prix-là, vous faites les travaux ? Non, non, juste le diagnostic, sans faire aucune réparation et non déductible de la facture… On part donc en courant. Ça se présente mal. 

On reprend la route en essayant de se faire une raison : il va falloir faire avec nos duvets… Mais à côté du méga Camping World, on aperçoit un tout petit revendeur de RV. On le dépasse, on se regarde, on se fait une moue qui signifie « qu’est-ce qu’on a à perdre ? » et on fait demi-tour. On tombe alors sur une bande de jeunes ultras sympas qui acceptent tout de suite de nous aider. Mais le bricoleur du groupe passe une bonne heure à démonter Winnie dans tous les sens avant de s’avouer vaincu. Et il nous annonce son verdict : « Je pense que c’est une pièce très couteuse qu’il faut changer, mais avant de vous faire dépenser de l’argent, je préfère appeler un spécialiste qui travaille souvent pour nous ». Il ne veut rien en échange de son travail, « you are welcome » !

Arrive l’expert, Stew, un réparateur mobile de RV. Il fait moins dans le détail que son prédécesseur et, après une bonne demi-heure de recherche, nous donne son diagnostic : c’est la carte électronique. Verdict, 200 $. A nos têtes, il comprend qu’il faut trouver une autre solution. Il va et vient pendant de longues minutes, de son pick-up au camion, sans mot dire, en nous laissant dans le doute. Il sort enfin une carte d’occasion qu’il espère compatible. Après essai, ça semble fonctionner ! Il tente de nous expliquer certaines choses techniques, mais entre son accent sorti d’on ne sait quel état et les termes propres au chauffage, on ne comprend absolument rien. On finit par résumer la situation par une seule question : « Problem or no problem ? No problem ! ». Il ne nous prendra finalement que 100 $ en tout, à peine plus que le seul diagnostic des loustiques d’à côté. Après de longs remerciements, on quitte la bande avec, en bonus, toute une série d’adresses et de conseils pour nos visites. On reprend la route, heureux d’avoir rencontré des gars serviables et désintéressés, et ravi d’avoir un chauffage en état de marche pour affronter Yellowstone.

On quitte la capitale de l’Utah pour le Nord. On s’écarte de la ville aussi vite que l’on grimpe en altitude. Après quelques miles seulement, on se retrouve en pleine montagne, à Park City, une station de ski ! On y voit les vestiges des installations olympiques gravés dans la montagne, comme les impressionnants tremplins pour le saut à ski. On aurait bien fait quelques jours de ride, mais même si les sommets sont encore enneigés, il n’y a plus assez de neige à la station. On continue donc notre route sur la 89 qui doit nous mener au Wyoming.

1 commentaire:

  1. C'est vrai que c'est moins folklo et marrant à lire (juste marrant pour nous) que vos précédentes aventures mais c'est quand même super ! J'adore vos textes, on a l'impression d'y être, vous faites un super trip, merci de nous le faire partager. Bise, Mag et Ju

    RépondreSupprimer