Dimanche
13 Mai
Ça y est, nous sommes enfin prêts à
prendre la route de l’ouest américain. Sur la carte, la route la plus courte
fait 2 300 miles, soit 3 500 kilomètres. Nous choisissons donc de la faire d’un
trait, sans arrêts ni détours. Il y a certes de nombreuses choses à découvrir
et à visiter en chemin, mais la moindre petite incartade touristique se chiffre
aux states en centaines de kilomètres. Notre objectif est avant tout d’avoir du
temps dans l’ouest, et notre route est déjà suffisamment longue pour ne pas la
rallonger… Nous décidons de tracer.
A 14h35, nous entamons donc notre long
périple… Pour la première fois, nous lançons le camion sur la highway. Depuis
que nous l’avons acheté, nous n’avons fait que de tous petits trajets et il
faut maintenant se familiariser avec l’engin. Au début, on flippe au moindre
petit bruit suspect. Nous avons acheté un camion qui a déjà vingt-trois ans et
nous appréhendons les pannes. Celles-ci crèveraient notre budget et, surtout,
nous retiendraient encore en Floride, ou sur un bord de route, notre cauchemar…
Mais pour l’instant, tout se passe bien. Notre beau camion se comporte bien. Il
faut juste s’habituer un peu à son gabarit, cinq tonnes et vingt-sept pieds de
long, et à sa direction flottante, mais apparemment habituelle pour un Ford,
qui le fait tanguer un peu de droite à gauche. Mais après une heure passée
agrippé au volant, on arrive à s’accoutumer et à se détendre. Mis à part ça,
pour la conduite, rien de bien difficile. Les routes sont toutes droites et avec
le cruise control nous n’avons pas grand-chose à faire. A la vitesse où nous
allons, nous n’avons pas vraiment à nous soucier du trafic puisque nous ne
doublons personne. Nous trouvons assez rapidement un nom à notre nouveau
compagnon. Son modèle est un Mini Winnie. Avec vingt-sept pieds, aux
Etats-Unis, nous sommes ridiculement petits. Nous gardons donc «Winnie» et
ajoutons «Rodéo», en souvenir des galères que nous avons eu pour l’acheter, et
qui nous ont demandé de s’agripper sérieusement pour arriver au bout. Voilà,
avec Winnie Rodéo, nous sommes lancés à 55 miles à l’heure, plein ouest.
Nous retrouvons rapidement le rythme
de la route et des grandes tapées, mais avec plus de confort que d’habitude
dans le Trafic. Lorsque l’un de nous deux conduit, l’autre mange, dort ou
bouquine à l’arrière. Geneviève, notre GPS, nous guide et il n’y a plus qu’à se
laisser porter par les longues lignes droites. Pour dormir, pas question de
s’arrêter dans les campings. Cela nous oblige à sortir de l’autoroute et prend trop
de temps. Et puis l’objectif est de se relayer pour s’arrêter le moins
possible. L’un conduit tard le soir, l’autre tôt le matin pour réduire le temps
où l’on n’avance pas. Pour tenir le rythme, nous comprenons vite quels seront
nos alliés des pauses rapides : les stations-services Flying J, friendly
avec les RVs, elles nous laissent squatter dans un coin, et les trucks stop où
l’on se sent vraiment minuscule au milieu des semi-remorques américains.
Ecrasés de fatigue, nous arrivons à y dormir, bercés par le générateur de nos
énormes voisins et les bruits de fond de l’autoroute. Ça n’a rien de
confortable, mais c’est pratique. En moins de cinq minutes, nous pouvons nous
arrêter et nous coucher, et inversement le lendemain matin.
Notre course vers l’ouest ne sera
ralentie que par quelques petites choses à régler… Nous devrons changer la
batterie qui, après avoir montré quelques signes de faiblesse, nous a carrément
lâchés au moment de redémarrer quelque part au Texas, puis la deuxième
batterie, celle de l’habitacle, pour les mêmes raisons que l’autre. Ça n’est
pas vraiment une surprise. Au moment de l’achat, nous avions remarqué que les
testeurs de batterie s’allumaient faiblement. Mais dans le doute, nous n’avions
pas voulu changer les deux batteries avant d’être sûrs qu’elles ne se
rechargeraient pas en roulant. Il nous faudra aussi faire une vidange, régler
un petit problème de mauvaises odeurs de canalisations et s’arrêter dans un
magasin de camping-car pour réparer la pompe à eau qui, par bonheur, s’est
remise à marcher juste devant le magasin, comme par magie. Mais malgré ces
stops, nous conservons notre moyenne et enchaînons les kilomètres. Ainsi
lançés, la route devient hypnotique. Nous voyons défiler les panneaux. Les
villes et les paysages apparaissent, comme dans un flash, avant de disparaître
dans le rétroviseur. Nous avons à peine le temps de prendre une photo par la
fenêtre pour les fixer dans notre mémoire. Le soir, au moment de s’endormir,
lorsque nous fermons les yeux, nous voyons défiler les longues lignes blanches.
Mais loin d’être ennuyeuse, la route est grisante. Nous avons rêvé de la
parcourir, et malgré la fatigue, nous avons toujours envie de reprendre le
volant et d’avancer.
A ce rythme, nous voyons défiler la
Floride, l’Alabama, le Mississipi (nous traversons même le fleuve mythique), la
Louisiane, le Texas et le Nouveau-Mexique. Par la fenêtre, nous voyons les
paysages évoluer. Des cocotiers de Miami, aux forêts de pins du nord de la
Floride, en passant par les paysages lacustres de la Louisiane et les grandes
plaines agricoles du Texas, nous arrivons aux steppes désertiques du
Nouveau-Mexique. C’est la porte d’entrée de l’ouest. L’environnement devient
aride, les habitations s’espacent et les cultures et les troupeaux de bétail
qui peuplaient le Texas disparaissent. Le paysage se vide et devient minéral.
Au loin, l’asphalte et l’horizon se déforment sous l’effet de la chaleur. Pas
de doute, nous touchons au but. En fin de journée, après un superbe coucher de
soleil sur la longue route rectiligne et le désert, nous traversons la dernière
grande ville de notre trajet, Albuquerque.
Le lendemain, après un énième dodo
dans un truck stop, nous reprenons le volant. Devant nos yeux défilent toujours
les grandes plaines désertiques, mais dans le lointain se dessine une haute
montagne qui se dresse dans le désert. Un peu plus près de nous se dessine une
autre forme, plus petite, qui se rapproche. Rectangulaire, seul, perdu au
milieu de nulle part, apparaît devant nos roues le mythique et tant attendu
panneau : ARIZONA !!! Miracle, Yes I, Hourra, Alléluia !!! Nous
y sommes !!! Nous y sommes arrivés !!!
Nous sommes soulagés, contents,
fatigués, euphoriques. Après toutes nos dernières mésaventures, nous avions
commencé à douter de la réalisation de la suite de notre voyage. Nous pensions
que peut-être, après avoir passé tant de bons moments dans les Caraïbes, notre
périple s’achèverait en Floride. Mais là, ça y est, nous sommes arrivés dans l’ouest
et plus rien ne pourra nous empêcher d’en découvrir les merveilles.
A la fin de l’après-midi, nous
atteignons enfin la grande montagne qui s’est dressée toute la journée devant
nous dans le lointain. Il ne reste plus qu’elle entre Grand Canyon et nous.
Nous l’attaquons sans tarder et hallucinons complètement en voyant, en quelques
kilomètres seulement, le désert céder la place aux grands pins. Plus nous
prenons de l’altitude, plus la température descend et plus la forêt se
densifie. En peu de temps, nous nous retrouvons dans un paysage de montagne,
surplombé par le Humphreys Peak qui culmine à plus de 3 800 mètres.
Désormais, nous ne sommes plus pressés. Nous sommes arrivés là où nous voulions
aller, alors nous ne résistons pas à l’envie de tirer le frein à main parmi les
pins et à aller nous dégourdir les jambes. Nous sommes aussitôt accueillis par
deux « mule deer », une sorte de biche à grandes oreilles. Comme la
baleine en Guadeloupe, nous prenons leur apparition comme un message de bienvenue.
Après une courte marche, un rapide repas, 2 300 miles et quatre jours de route,
nous posons notre tête sur l’oreiller, sans qu’aucun bruit ne vienne nous
perturber. Nous nous endormons tranquillement sous le plus haut pic d’Arizona.
Vendredi
18 mai : Grand Canyon
On se réveille au milieu de la forêt, dans
le silence. Quel contraste avec nos précédentes nuits dans les trucks
stop ! Une vraie nuit de neuf heures, sans bruit de moteur ou de
générateur, quel bonheur. On prend le petit déjeuner en profitant du spectacle.
C’est le premier jour où ne nous attend pas une tapée de plusieurs centaines de
kilomètres, alors nous pouvons enfin prendre notre temps. Et en plus de ne pas
avoir à faire les routiers, nous attaquons aujourd’hui nos visites de l’ouest
puisque nous sommes juste à côté de Grand Canyon !
Nous quittons notre spot et reprenons
la route. Celle-ci chemine à travers la forêt de Coconino, avant de rejoindre la
forêt de Kaibab. Alors que l’on s’attendait à traverser une zone aride et
sèche, le paysage est terriblement vert aux abords du canyon le plus célèbre
des USA. A l’entrée du parc, on achète le Pass de 80 $, valable un an, et qui
donne accès à tous les parcs nationaux. A 25 $ l’entrée d’un parc, on devrait
vite l’amortir.
Le canyon a deux versants, le north
rim et le south rim. Sur le south rim, plusieurs accès permettent de pénétrer
dans le parc. Nous choisissons le plus central, l’entrée sud. De ce côté, le
parc se divise en trois parties. Au centre, la zone de « Grand Canyon
Village », où se trouvent les commodités. De part et d’autre du village
s’étendent, à l’ouest, la zone de Hermit Road, fermée aux véhicules personnels,
mais accessible à pied ou avec les navettes du parc, et à l’est, la Desert View
Drive, une route jalonnée de nombreux points de vue, qui va jusqu’à l’entrée
Est du parc. On se gare sur le parking de Grand Canyon Village, à côté du Rim
Trail, une balade qui longe le canyon. A une centaine de mètres à peine du
camion, presque sans s’y attendre, on tombe nez à nez avec le
« Big ». L’approche est directe. Au détour d’un virage, on se
retrouve perché au-dessus du précipice. Première image saisissante, tant par son
côté impromptu que par la grandeur du lieu. On ne peut s’empêcher de se dire
« ah ouais, quand même ! ». On ne peut qu’être impressionné par les
mensurations démesurées de l’une des sept merveilles du monde. 1 600
mètres de profondeur, 15 kilomètres de largeur, plusieurs centaines de
kilomètres de longueur, c’est tout simplement hallucinant. On a vraiment du mal
à se faire à l’idée qu’un simple fleuve, même s’il s’agit du mythique Colorado,
ait pu laisser une telle empreinte sur la terre. Notre petite cervelle, et son
échelle humaine, a bien du mal à réaliser le travail effectué pendant des
millions d’années. On poursuit notre balade vers l’ouest en enchaînant les
points de vue. On commence à se familiariser avec le géant. On aperçoit
furtivement le Colorado, si loin, tout en bas. Il est blotti dans une gorge
plus étroite, un canyon dans le canyon. Pour se le représenter, on peut dire
qu’il y a, en partant du haut, une première ouverture, pharaonique, d’un
kilomètre de profondeur et très large, puis une seconde, beaucoup plus étroite,
profonde de cinq à six cent mètres, dans laquelle s’écoule le fleuve.
Après une pause déjeuner, on repart pour
Hermit Road, où l’on découvre de nouveaux points de vue sur le canyon. On les rallie
tantôt en bus, tantôt à pied. Il souffle un très fort vent qui remplit l’air de
poussière et réduit un peu la visibilité. Et du coup, il ne fait pas chaud. Plusieurs
trails partent de la route et descendent dans le canyon. Ils nous tentent bien
mais la dernière semaine à Miami et les 3 500 kms de camion nous ont un
peu séché. D’autant que les randonnées sont au minimum de dix à douze heures
avec, bien entendu, un fort dénivelé. On reste donc sagement sur le plateau et
profitons du spectacle depuis les falaises. On a la chance d’apercevoir un
condor, d’une incroyable envergure, s’envoler et s’élever rapidement au-dessus
de nos têtes. On croise aussi quantité de petits écureuils pas vraiment
farouches.
Après une pause au camion, nous
retournons sur le Rim Trail pour profiter des couleurs changeantes de la fin de
journée. On est encore saisi par l’immensité du lieu, ses à-pics, ses couleurs.
Un lieu unique, porte d’entrée des parcs de l’ouest américain, et graal rêvé
depuis plusieurs mois. On se revoit, en France, en train de déplier la carte
routière des US et de surligner en fluo « Grand Canyon ». Aujourd’hui
on y est ! Après de multiples péripéties et rebondissements, on y est
arrivé. Et ce n’est que le début…
Le soleil se couche et nous reprenons
Winnie pour aller dormir en dehors des limites du parc. Les campings y sont
très chers et l’on y est les uns sur les autres. Nous préférons essayer de nous
trouver un bout de forêt. On croise en chemin un orignal qui broute
tranquillement au bord de la route. Il n’a pas l’air gêné par les touristes qui
le mitraillent en tous sens et, telle une star entourée de paparazzis, il
continue naturellement son repas. Il est majestueux avec ses longs bois
recouverts de velours. Passées les guérites de l’entrée, on prend un chemin de
terre que l’on avait repéré. On trouve rapidement un bon emplacement pour la nuit,
toujours dans la forêt de Kaibab et on savoure une fois de plus ce campement en
pleine nature.
Samedi
19 mai : Desert View Drive et Lac Powell
Ce matin, nous prenons la route de
Desert View Drive qui longe la rive sud du canyon et mène au lac Powell, notre
prochaine escale. Nous nous arrêtons à tous les points de vue. Les premiers
sont similaires à ceux d’hier mais la lumière, ce matin, est plus belle. Le
vent est tombé et l’air n’est plus encombré de poussière. On arrive à Lipan
Point et on tombe tous les deux en admiration. Cet endroit diffère des autres
car on surplombe une partie du canyon qui fait un virage. De là, on peut voir
le Colorado venir de l’Est, sinuer sous nos yeux et s’étirer vers l’Ouest. De
plus, c’est le point le plus élevé de la route et de cette hauteur on peut voir
les immenses étendues qui composent les terres Navajo. Le regard peut ainsi
s’étendre sur des kilomètres sans rencontrer d’obstacle. Le cadre est
fantastique, les à pics sont vertigineux, et on prend d’un coup toute la mesure
et la force du canyon. C’est sans conteste le plus beau point de vue. Mais
également presque le dernier. On a du mal à quitter le site. On marche à
reculons pour ne pas décoller les yeux du canyon. Mais on ne va pas y rester
toute notre vie, et la route du grand Ouest ne fait que commencer !
Avant de partir, nous remarquons un
couple en train de galérer à se faire une photo. Nous leur proposons de les
photographier et rencontrons ainsi Bob et Micheline, un couple de québécois,
adorables et chaleureux comme savent l’être les canadiens. Nous discutons un
long moment et réalisons que nous suivons le même itinéraire. Eux aussi se
rendent au lac Powell, alors nous avons de fortes chances de nous recroiser.
On quitte donc Grand Canyon, direction
le Nord vers Page, la ville bordant le fameux lac Powell. La route est superbe.
On roule sur de hauts plateaux tailladés par de nombreux canyons. C’est une
région incroyable. La forêt a laissé place à d’immenses étendues désertes. On
fait un stop à Horse Shoe Bend, un endroit où le Colorado fait une boucle en
forme de fer à cheval. On le surplombe du haut de falaises hautes de 300
mètres. Là encore, le spectacle est superbe. Mais par rapport à Grand Canyon,
la température est montée d’un cran, et il ne fait pas bon s’aventurer loin du
camion sans bouteille d’eau sous la main. Nouky, au départ ravi de voir que les
chiens n’étaient pas interdits, tire une langue d’un kilomètre de long et se
montre plutôt pressé de retrouver sa maison roulante.
On arrive au Lac Powell en fin de
journée. On repère un point de vue en hauteur pour aller admirer le coucher du
soleil. On y a une vue dégagée sur le lac, ou tout du moins une partie, car
celui-ci s’étend sur plus de deux cent kilomètres. On aperçoit également le
barrage, qui a donné naissance au lac il y a une cinquantaine d’années. J’étais
sceptique sur ce lieu. Je me disais qu’un lac, de surcroit artificiel, devait
présenter un intérêt limité. Je me trompais. La zone qui a été inondée était
composée de canyons et de hauts plateaux. L’arrivée de l’eau a ainsi produit
une multitude de bras de mer ou… de lac, avec des falaises, des îlots et des
mesas, ces tables de roches bordées d’à pics. Le panorama est donc incroyable
et le couchant révèle toutes les nuances de rouge possibles sur les roches. Par
contre, pour le dodo ça fait moins rêver car toute la zone est
classée « Glen Canyon Recreation Area ». Le camping sauvage y est
interdit et il est donc impossible de se poser au bord du lac. Les seules
alternatives sont soit un camping hors de prix en bord de route, soit le
parking du Wal Mart, ce sera donc parking… Et nous ne sommes pas les seuls à
avoir choisi cette option. A peine arrivés, nous repérons le camion de Bob et
Micheline. Laeti va taper à leur porte pour leur faire un petit coucou.
Fatigués après une journée bien remplie, ces derniers avaient décidé, pour une
fois, de se coucher tôt. Mais malgré le fait d’avoir été ainsi réveillé en
début de nuit, ils ne perdent rien de leur bonne humeur et on se donne rendez-vous
le lendemain pour aller visiter Antelope Canyon ensemble.
Dimanche
20 mai : Antelope Canyon et flight
Au réveil, on se dirige donc tous les
quatre vers Antelope Canyon. Il s’agit d’un petit canyon très étroit, profond
seulement d’une trentaine de mètres et qui est aujourd’hui asséché. Les eaux
ont fendu le sol et poli la roche, créant ainsi un étroit passage aux formes
psychédéliques où l’on peut pénétrer à pied et se balader pendant une bonne
heure. La plupart du temps, le canyon ne fait qu’une taille d’homme de large,
si bien que l’entrée est à peine visible. De l’extérieur, il apparaît
d’ailleurs davantage comme une faille ou une fissure que comme un canyon. De
fait, les rayons du soleil ne pénètrent que furtivement par endroits, créant
des puits de lumière et une ambiance irréelle. La roche polie fait de multiples
courbes qui revêtent, grâce à la lumière diffuse, des couleurs fantastiques. On
est encore ébahis devant ce spectacle surnaturel.
Après une rapide corvée de linge en
ville, on attend avec impatience la fin de journée. On a craqué et on a réservé
pour 17h30 un tour en avion qui doit survoler le lac durant une quarantaine de
minutes. C’est un budget colossal pour notre tirelire, mais tout le monde
s’accorde à dire que c’est un immanquable. Il y a peu d’accès terrestres au lac
et, de toute façon, celui-ci est tellement étendu que c’est le moyen le plus
adéquat d’en admirer la superficie et la beauté. Laeti est un peu anxieuse,
bien sûr, mais c’est un petit avion, alors ça va… Ce sont les gros qui font
peur, les petits, moins…
A 17 h 30, le soleil a déjà décliné.
La lumière commence à illuminer la roche quand les roues du Cesna Caravelle
quittent l’asphalte. On s’élève très vite et prenons la direction du Nord, vers
le Rainbow Bridge, un pont naturel formé dans la roche. Là, c’est simple, le
temps s’arrête, on bascule dans un autre monde, féérique. On survole les
innombrables bras de mer qui forment des « S » interminables comme
des serpents. Les eaux du lac sont d’un bleu profond et intense. Les rives
éclatantes. Les mesas font places à des canyons. C’est une merveille absolue à
360°. Même Laeti en oublie complètement ses peurs et détache sa ceinture pour
mieux se contorsionner et ne pas en perdre une miette.
A la fin du vol, on voit l’avion se
poser à contrecœur. C’est presque contre nature de retourner à la réalité. Le
regard porte moins loin et le monde redevient tout petit. Ou c’est nous qui le
redevenons. En tout cas, ça fait un choc et on n’a pas du tout envie de quitter
nos sièges, un peu comme un matin d’hiver glacial où on ne voudrait pour rien
au monde quitter sa couette moelleuse et généreuse après y avoir fait de beaux
rêves. Heureusement, pour compenser ce déchirement, nous avons, sur le tarmac
même de l’aéroport, droit à un spectacle unique : une éclipse de
soleil ! Incroyable, on n’était pas au courant, mais des gens nous tendent
spontanément des lunettes spéciales. On voit distinctement la lune couvrir le
soleil pour se placer en plein milieu, ne laissant apparaître qu’un anneau de
lumière. On a vraiment une chance inouïe car des français, rencontrés par
hasard, nous révèlent avoir organisé tout leur trip en fonction de l’éclipse,
car c’était uniquement à Page que l’on pouvait l’observer de cette
manière ! A une heure près, ou à 100 kilomètres près, on loupait
tout !
Cette éclipse clôture donc une journée
encore exceptionnelle. Ça ne fait que trois jours que nous avons commencé les
visites et nous avons déjà pu observer tellement de merveilles. On se demande sérieusement
ce qui fait que l’ouest des USA ait autant de sites exceptionnels regroupés
dans une même zone. Pourquoi eux ? Et pourquoi tout ici ? On a à
peine le temps de réaliser tout ce que l’on a vécu que déjà se dessine le
programme du lendemain : Monument Valley… !
Lundi
21 mai : Monument Valley
Ce matin, on ne se résout pas à
quitter Page sans revoir une dernière fois le lac. On sort donc de la route de
Kayenta et prenons la direction de Antelope Point, un des rares accès au lac
ouvert aux véhicules. On pique une tête dans une eau bien fraiche, mais c’est
Nouky qui se baigne le plus longtemps. Trop heureux de voir de l’eau après ces
immensités désertes, il ne veut plus sortir de son bain.
On prend la route en fin de matinée.
Celle-ci est toujours magnifique et chemine entre des formations rocheuses en
tous genres et de toutes les couleurs. Et ça aussi c’est incroyable : que
le paysage soit fabuleux à l’intérieur des parcs, cela semble normal, sinon il
n’y aurait pas de parcs. Mais une fois sortis, le spectacle ne s’arrête pas et
nous continuons d’en prendre plein les yeux. Il faut résister à l’envie de
s’arrêter toutes les cinq minutes pour faire des photos, sinon nous
n’avancerions pas.
En début d’après-midi, on voit se dessiner au
loin des mesas caractéristiques. La mythique Monument Valley n’est plus très
loin ! La route s’engage entre de grandes formations rocheuses. Le paysage est
certes joli mais ne correspond pas à l’image que nous nous étions forgée. Nous
sommes presque déçus et doutons d’être au bon endroit. Mais la route continue à
grimper en pente douce jusqu’à un parking aménagé pour les touristes. Nous
garons le camion et traversons le parking à pied. Celui-ci monte encore un peu
jusqu’à une cassure abrupte. Et là, nos doutes s’évanouissent. C’est bien là,
et c’est grandiose. Nous prenons de plein fouet l’image sur laquelle nous avons
rêvé depuis tant de temps, et qui nous a donné envie de parcourir tout ce
chemin. Devant nous se trouvent les trois mesas les plus connues de l’ouest
américain. Elles se dressent dans le désert comme trois sentinelles, les trois
gardiennes des terres Navajo. Nous en restons sans voix.
Du parking, une piste plonge dans la
plaine et serpente entre les mesas. Mais elle est trop défoncée pour l’imposer
à Winnie. Les Navajos proposent bien des excursions en 4 x 4, mais à 80 $ par
personne ! Au pays du business, les indiens ne sont pas en reste… Mais comme
les véhicules particuliers sont autorisés à emprunter la piste, on décide de
faire du stop, en ciblant les pick-ups qui peuvent nous charger dans leur
benne. Après avoir changé trois fois de véhicule, on se retrouve au cœur de la
vallée. D’ici, les trois géantes nous semblent encore plus imposantes. La piste
nous conduit jusqu’au pied des « Three sisters », trois pics verticaux
qui se détachent d’une immense paroi rocheuse.
Après cette escapade, on retrouve le
parking et on se poste pour le coucher du soleil qui, peu à peu, va teinter les
formations rocheuses en déclinant encore une fois la palette des rouges. Le
cadre est grandiose, « Monument – al ». Incapable de quitter le site,
on dort sur le parking pour profiter une nouvelle fois de ce décor incroyable,
mais cette fois en version lever de soleil.
Mardi
22 mai : Sun rise et Canyonlands
Réveil à 5 h 30. Il est temps de
quitter la couette car le ciel est déjà bien illuminé à l’Est. En sortant du
camion, le vent frais qui souffle sur la vallée finit de nous réveiller. On
prépare nos appareils à immortaliser les instants à venir et on va se poster
sur un rocher. Le ciel rougit de plus en plus jusqu’à ce que, peu après six
heures, le paysage s’illumine complètement. Le soleil apparaît pile entre les
mesas, les dessinant en ombres chinoises dans le désert. La nature est bien
faite. L’instant est magique. Tels des lézards, nous restons immobiles,
laissant le soleil nous réchauffer en admirant les changements de couleurs sur
la roche. Après avoir profité de ce nouveau spectacle sur Monument Valley, nous
ne résistons pas à l’envie de retourner une heure sous la couette.
Après un deuxième réveil et un dernier
salut aux trois grandes, on prend la direction du Nord. Dans le rétro, on les
regarde s’éloigner lentement. Après la célèbre vallée, on traverse une longue plaine
aride jusqu’à la bifurcation avec la 261. En empruntant cette dernière, nous
avons la sensation de quitter la civilisation. Nous ne croisons personne, et
lorsque que l’on s’arrête prendre une photo, nous prenons conscience du silence
qui nous entoure. Nous sommes au milieu du désert, absolument seuls, et il ne
semble rien y avoir sur des kilomètres à la ronde. Nous en ressentons une
sensation grisante. La route semble ensuite foncer tout droit dans une paroi
rocheuse. Ce n’est qu’au dernier moment, une fois arrivé au pied des falaises,
que l’on devine son tracé sinueux. Celle-ci grimpe à flan de rocher et n’est
plus goudronnée. Nous avons un moment d’hésitation devant les panneaux
interdisant l’accès aux véhicules de plus de cinq tonnes, exactement notre
poids. Mais le paysage est encore une fois sublime et l’envie de se lancer est
la plus forte. D’autant qu’après les milliers de bornes effectuées sur les
pistes sud-américaines, celle-ci nous semble être du velours. On gravit la côte
lentement, mais Winnie tient le coup. Il accomplit sans broncher son baptême du
« off-road ». On est content. La route nous fait prendre de l’altitude
et on peut admirer le paysage en contrebas sur des dizaines de kilomètres.
On continue notre remontée vers le
Nord, vers notre nouvel objectif, le Canyonlands National Park. C’est un parc
qui se trouve en dehors des grands circuits touristiques et qui est donc moins
fréquenté. Notre guide de voyage qui le décrit comme « une vision des
premiers jours sur la Terre » a fait travailler notre imagination et nous
a donné envie de nous y rendre. On y pénètre par son entrée Sud, le secteur des
Needles, et après quelques miles seulement la route devient simplement sublime.
Elle descend au fond d’un canyon et sinue le long des immenses parois
verticales. Le fond de la vallée est verdoyant et baigné par une belle lumière
d’altitude. Il y a ici et là des mesas comme à Monument Valley. Elles sont un
peu plus petites mais elles ont été façonnées par la nature selon le même procédé,
à savoir une longue paroi verticale au pied de laquelle les débris de roche ont
formé de hauts contreforts. Plus ou moins longues et plus ou moins hautes, ces
formations forment un panorama inoubliable.
On est moins chanceux avec le secteur
des Needles, ces cheminées colorées en forme d’aiguilles, que l’on n’apercevra
qu’à distance. On rebrousse chemin et allons nous installer pour la nuit en sauvage,
juste avant l’entrée du parc. On profite des derniers rayons pour aller se
promener sur la crête qui surplombe notre spot, pour la plus grande joie de Nouky.
Mercredi 23 mai : Island in the sky
On reprend la route principale, la
191, vers le Nord. On dépasse Moab, qui semble être le Hookipa du VTT, et
bifurquons sur la 313, où se trouve l’autre partie du Canyonlands NP ;
Island in the sky. La route sinue sur de hauts plateaux en surplombant les
canyons. A la pointe sud, à Grand View Point, on a une splendide vue ouverte à
presque 360° sur la région. A perte de vue, le paysage est minéral. On devine
les tracés de la Colorado River et de la Green River qui sillonnent le paysage
et on aperçoit au loin les Needles. On se fait une balade sur les bords du
canyon, longeant ainsi des à-pics verticaux de plusieurs centaines de mètres.
Comme d’habitude, on doit ressortir du
parc pour trouver un endroit où passer la nuit. Malheureusement, tous les parcs
nationaux fonctionnent sur le même principe. Il est interdit d’y faire du
camping sauvage. Pourtant, un parc comme Canyonlands s’étend sur des centaines de
kilomètres et n’est composé quasiment que de roche. On n’imagine pas bien ce
que nous pourrions y détériorer en garant notre camion pour y passer la nuit.
Paradoxalement, dans les forêts nationales, qui pourtant, comme leur nom
l’indique, sont composées d’arbres, le camping est autorisé, et les campeurs
ont même le droit d’y faire un feu ! Bref, nous subissons ces règles
absurdes qui, il nous semble, visent plus à enrichir les propriétaires de
camping qu’à protéger l’environnement.
Il est 18 h lorsque nous trouvons un
coin sympa pour passer la nuit. Nous partons balader avec Nouky qui, durant la
journée, n’a malheureusement pas la joie de se dégourdir les pattes sur les
sentiers des National Parks. Là encore nous sommes confrontés à des règles
stupides. Dans les parcs, les chiens sont autorisés sur les routes goudronnées,
mais pas sur les sentiers. Et là encore, on ne comprend pas bien la raison.
Seuls les « chiens de service » sont autorisés. Résultat, de nombreux
américains se sont inventé une maladie mentale qui nécessite la compagnie d’un
chien pour être supportable. Ils sont ainsi autorisés à promener leur compagnon
qui lui, apparemment, ne pollue pas comme un chien « pas de service ».
Cet aspect-là des Etats-Unis nous gave
un peu. Le « trop cadré » américain. Marchez là et pas à côté. Campez
uniquement dans les campgrounds. Vous pouvez camper ici, mais il faut demander
une autorisation en trois exemplaires six mois à l’avance. Sortez votre chien
en laisse renforcée uniquement sur la « pet area » ou le « dog
walk ». Ne pétez pas n’importe où… On se sent un peu à l’étroit avec toutes
ces règles. On est venu pour profiter des grands espaces et se sentir libre, et
non pas entravé par des tonnes de règles absurdes. Pour échapper à ce
trop-plein de règles, on décide de couper nos visites des parcs par des pauses
de deux ou trois jours dans les zones plus sauvages qui séparent les parcs. Et
heureusement, les « National Forests » sont là. Ce sont des zones de
forêts protégées qui brillent par leur absence de règles ; le paradis. Et
en général, tous les parcs en sont entourés. On prend donc vite l’habitude de
repérer ces espaces de liberté sur la carte et organisons notre itinéraire de
manière à ne jamais se trouver bien loin de l’une d’elles.
Enfin, en cette fin de journée, on
profite une nouvelle fois de notre virée en sauvage où l’on parque Winnie où l’on
veut et où l’on se balade avec Nouky à notre gré.
Le matin, de bonne heure, nous sommes
réveillés en sursaut par une sorte de sirène ou d’alarme que, dans notre coma
matinal, nous n’arrivons pas à identifier. Sans sortir du lit, nous jetons un
œil par la fenêtre et apercevons, à trois mètres du camion, et donc à trois
mètres de notre oreiller, une énorme vache. Celle-ci est plantée des quatre
fers face à Winnie et, l’œil courroucé, elle nous assène à intervalles
réguliers d’un « meuuuuh » plein de colère. Elle est visiblement
outrée qu’un tel intrus ait osé pénétrer sur son territoire pour se mettre en
travers de sa route. Après un long moment, voyant que, malgré sa voix
tonitruante, elle n’arrive pas à impressionner notre mastodonte de camion, elle
se décide à poursuivre son chemin et à nous laisser nous rendormir. C’est sûr
que dans les campings, on ne doit pas connaître ce genre de réveil…
Jeudi
24 mai : Dixie National Forest
Nous quittons la zone de Canyonlands
pour l’Ouest, et partons en direction du très attendu Bryce Canyon. La route
traverse une nouvelle fois de grandes étendues désertiques avant de plonger au
fond de superbes canyons. Elle serpente ensuite dans une vallée encadrée par de
majestueuses parois verticales. C’est un itinéraire peu fréquenté et, encore
une fois, lorsque nous arrêtons le camion, nous n’entendons que le silence et
le bruit du vent sur la roche. On en ressent plus intensément l’aridité et
l’isolement du lieu. Puis, notre route nous fait traverser le Capitol Reef Natinal
Park et ses énormes formations rocheuses blanches et arrondies. Ce doit être le
cinquantième canyon que nous traversons depuis le début de notre voyage dans
l’ouest et pourtant, nous avons à chaque fois l’impression de découvrir quelque
chose de nouveau. La roche n’a jamais deux fois la même couleur ou la même
forme. A chaque nouvelle étape, nous découvrons la créativité sans limites de
la nature et de l’érosion. Alors qu’à un endroit celle-ci va user les roches de
manière agressive, créant ainsi des pointes, des flèches ou des arrêtes,
ailleurs l’eau et le vent vont sculpter des formes douces, lisses et arrondies.
Pour découvrir le Capitol Reef, on fait
une halte à Natural Bridge. A un mile de la route, par une courte mais très
belle balade dans un décor minéral, on découvre un gigantesque pont de pierre
naturel. Il est réellement impressionnant. Et là encore, on est bluffé par ce
que les éléments et les années sont capables de réaliser. A sa base, on découvre
que la paroi est lentement en train de s’effeuiller car des morceaux de roche sont
en train de se détacher. Sous nos yeux, nous observons la preuve du travail de
la roche dont l’immobilité n’est qu’apparente.
Lors d’une seconde pause, nous
apprenons qu’à Capitol Reef, le taux de pollution est l’un des plus bas du pays
et qu’ainsi la visibilité s’étend jusqu’à 230 kms. Nous serions donc en train
de respirer l’air le plus pur des USAs…
On poursuit la « scenic road »,
c’est-à-dire une route officiellement reconnue comme belle, qui en l’espace
d’une demi-heure nous fait passer des canyons désertiques à une véritable
forêt ! On se retrouve à plus de 2 500 mètres d’altitude au milieu
des pins, bordé de sommets à plus de 3 000. C’est incroyable. En Utah, les
paysages fluctuent aussi vite que la température. Dès que nous passons la barre
des 2000, il fait frais et nous retrouvons les forêts, alors qu’en dessous, ça
n’est que roche et aridité. Les nombreux massifs montagneux dont est doté
l’état apparaissent ainsi comme des îlots de verdure et de fraicheur au milieu du
désert. On décide de faire un stop dans la Dixie National Forest pour la nuit
et de profiter de la forêt pour faire une marche le lendemain. On découvre une
piste qui part de la route goudronnée et s’enfonce dans la forêt. Un peu plus
loin, on tire le frein à main entre les hauts arbres. Ce sera parfait pour la
nuit.
Samedi
26 mai : Bryce Canyon
Ce vendredi, on part donc se balader
en pleine forêt. On gravit un sentier qui, à la manière dont nous sommes
essoufflés, nous fait prendre conscience de l’altitude. Malheureusement, après
une bonne heure de marche, celui-ci s’évanouit dans la forêt. Mais nous sommes
lancés et bien décidés à atteindre un point de vue dégagé. On doit alors
improviser parmi les arbres et les éboulis, et pour être sûr de retrouver notre
chemin au retour, nous faisons des petits tas de cailloux. Nous ne sommes pas
au pays des indiens pour rien… et puis ça a marché pour le Petit Poucet… En
grimpant ainsi, on arrive dans une zone dégagée à partir de laquelle nous avons
un très beau point de vue. C’est surréaliste. Nous sommes en montagne, parmi
les arbres, et nous pouvons pourtant admirer le désert à perte de vue. Mais
même si le spectacle est splendide, le vent glacial et violent qui souffle ne
nous donne pas envie de nous installer pour pique-niquer. On redescend
s’installer au bord d’un ruisseau, dans une prairie léchée par le soleil et
encadrée par de hauts pins.
En fin de journée, on repart tranquillement
vers le Sud-Ouest pour se rapprocher de Bryce Canyon. La route, après un col à
3 000, descend brutalement pour retrouver les canyons et leur aridité. On
roule tantôt dans le fond des vallées, tantôt au-dessus des falaises. Un très
beau tracé chemine un moment sur une crête étroite, séparant deux profonds
canyons. Comme la nuit approche, nous quittons le goudron pour emprunter une
petite piste. Celle-ci longe un champ à partir duquel nous avons une vue
dégagée sur les montagnes du parc de Grand-Staircase Escalante. La vue est
superbe et nous ne pouvons résister à l’envie de s’arrêter pour la nuit, même
si la piste semble mener à un ranch. On arrête un fermier qui passe sur le
chemin pour lui demander son avis. Celui-ci, fermier des temps modernes qui ne
se déplace plus à cheval mais en quad, nous répond gentiment que ça ne pose pas
de problème. Il souffle toujours un vent violent qui fera tanguer Winnie toute
la nuit, nous berçant ainsi doucement.
Ça y est, aujourd’hui samedi, nous
arrivons au célèbre Bryce Canyon National Park. Celui-ci est organisé un peu
comme Grand Canyon, avec une route parsemée de points de vue sur le site. On
commence par aller se garer au parking du premier belvédère, Sunrise Point. Après
quelques pas seulement, nous découvrons le site et restons médusés par ce que
nous voyons. Bryce Canyon n’est en fait pas un canyon. Il s’agit d’un immense
amphithéâtre dans lequel la roche friable, chargée de minéraux, s’est érodée en
formant d’innombrables « hoodoos », des cheminées de fées. Ces
cheminées, déjà spectaculaires par leurs formes, ont en plus pris la teinte des
métaux qu’elles contiennent et déclinent ainsi une palette de couleurs allant
de l’orange au rouge, coupées de strates blanches. Le spectacle de la roche est
donc incroyable, mais il est encore renforcé par le cadre alentour. L’amphithéâtre
est bordé d’une forêt de pins dont la couleur tranche avec les teintes chaudes
de la pierre. De plus, le site est élevé et dégagé, et la vue porte sur des plaines
et plateaux s’étendant sur plusieurs centaines de kilomètres.
Du haut de la falaise, nous apercevons
plusieurs chemins qui descendent serpenter parmi les cheminées. Le lieu est
déjà magique depuis les points de vue mais ces chemins doivent offrir de
nouvelles perspectives sur les hoodoos. Pour prendre le temps de faire toutes
les randonnées et découvrir le site, nous décidons de rester plusieurs jours sur
place, malgré les températures glaciales qui y règnent. Le parc est situé en
altitude, de 2 300 à 2 800 mètres selon les endroits. De plus, le vent, déjà
fort les jours précédents, s’est encore renforcé et on a vraiment l’impression
qu’il descend directement du pôle Nord. Heureusement, nous traînons depuis le
début un sac d’affaires chaudes contre lequel nous avons râlé plus d’une fois
dans les Caraïbes. Nous sommes maintenant bien contents de déballer polaires,
vestes et écharpes. Ça caille tellement qu’il devient presque impossible de
faire des photos. A peine l’appareil sorti, on ne sent plus nos doigts. Mais ainsi
équipés, et à condition de ne pas rester immobile plus d’une demie minute, nous
arrivons à résister au froid et à poursuivre notre découverte du site. Mais la
vraie mauvaise surprise viendra le soir. Au retour de notre balade,
complètement gelé, on se jette sur le chauffage du camion pour l’allumer mais
ce dernier refuse de démarrer. Nous avons acheté le camion à Miami, dans un bon
30°, et après trois mois en short et tongs, on n’était pas vraiment dans une
optique « fraicheur ». On a donc complètement oublié de tester cette
partie-là du camion. Et à cause de cet oubli, les nuits deviennent vraiment
difficiles. Un camping-car n’est pas isolé comme une maison et il y fait vite
la même température qu’à l’extérieur. Le thermomètre descend en dessous de zéro
et nous n’avons même pas de vraies couvertures. Avec ce froid, il est quasiment
impossible de s’endormir et les nuits deviennent très courtes, ou plutôt très
longues à attendre le lever du soleil. Laeti pensera même à prendre Nouky dans
le lit, mais devra y renoncer devant l’odeur de cheval que ce dernier se
trimbale depuis qu’il s’est roulé dans du crottin.
Mais les visions du jour valent bien
les supplices de la nuit, et on décide de rester malgré tout. Les jours
suivants le vent faiblit un peu, et l’on gagne quelques maigres degrés. Le
soleil, absent depuis le début, sort le bout de son nez. Nous ne ratons alors
pas une occasion de profiter de ces rayons afin d’emmagasiner un peu de
chaleur. On se fait samedi et dimanche deux randonnées dans le parc. Les sentiers
partent des belvédères et descendent le long des parois rocheuses. On y a une
perception différente des cheminées. Plus proches, elles paraissent bien plus
imposantes que du haut de la falaise. Les chemins serpentent parmi elles dans
un dédalle de roches et de couleurs. De là, on constate que la nature n’a pas
terminer de façonner le paysage et que l’érosion n’a pas fini son travail. Sous
l’action des intempéries, de nombreux arbres se retrouvent les racines à l’air.
Le paysage de Bryce continue donc de se transformer au fil des années.
Le troisième jour, après avoir arpenté
de long en large l’amphithéâtre, on décide de profiter de la navette gratuite
que mettent à disposition les rangers pour aller découvrir la partie la plus
éloignée du parc. C’est un bus qui propose une excursion de trois heures avec
des arrêts réguliers aux points de vue qui jalonnent la route, jusqu’au plus
éloigné, Rainbow Point. Moins spectaculaire que l’amphithéâtre lui-même, ce
circuit offre tout de même de nombreuses perspectives sur le site. Et puis
cette petite virée nous permettra de confronter la discipline américaine à
l’anarchie typiquement française… Nous sommes les seuls touristes européens
dans le bus. Quand celui-ci s’arrête au premier point de vue, nous nous levons
et commençons à remonter l’allée jusqu’à la porte de sortie à l’avant. Mais
arrivé à mi-parcours, on sent comme un malaise… Tout le monde nous regarde et
personne ne s’est levé, à part les premières personnes assises à l’avant. On
comprend vite que, dans un bus rempli d’américains, il est absolument
inconcevable de se lever en premier lorsqu’on est assis à l’arrière. On doit
attendre son tour. De même, les pauses sont minutées et une heure de retour au
bus est à chaque fois fixée. A la première pause, nous rentrons au bus avec
trois minutes d’avance, et pourtant en arrivant, nous trouvons le moteur allumé
et tous les passagers déjà sanglés sur leur fauteuil. Là encore, nous nous
faisons remarquer. Mais loin de se montrer désagréables, les passagers semblent
trouver cette indiscipline, inacceptable pour un américain, tout à fait normale
venant de français. Durant toute la suite de la balade, nous prendrons quand
même garde à arriver en avance et à attendre sagement notre tour pour nous
lever…
Mais il faut reconnaître que si cette
obéissance de petits écoliers nous fait rire, elle a aussi de bons côtés. Cette
courtoisie, un peu excessive certes, se retrouve dans les relations humaines.
Sans généraliser pour autant à l’ensemble des américains, les personnes que nous
croisons se montrent particulièrement chaleureuses. Il est très facile
d’entamer la conversation avec une personne croisée sur un chemin ou dans la
rue. Et s’il nous arrive de demander un service ou un conseil, l’autre va tout
faire pour nous aider. Par ailleurs, nous observons un sentiment patriotique
extrêmement important et une grande fierté d’être américain qui peuvent, par
certains côtés, être agaçants. Ces derniers sont en effet persuadés d’habiter
le plus fabuleux des pays et ne savent à peu près rien du reste du monde. Par
exemple, de la France, ils savent qu’il y a une grande ville qui s’appelle
Paris et que nous n’avons pas de camping-cars aussi grands que les leurs. Mais
cette fierté, qui frôle parfois l’arrogance, a ses bons côtés. Grâce à elle,
les américains se font un devoir d’être agréables avec les touristes afin que
ces derniers apprécient leur pays et en garde une bonne image. Ils montrent
également assez souvent une grande empathie. En Floride, au premier bureau de
la western union, lorsque nous n’arrivions pas à retirer notre argent, nous
avons presque fait pleurer la personne du guichet. Après avoir expliqué notre
problème, alors qu’en France nous n’aurions eu droit, au mieux, qu’à du
désintérêt, nous avons quitté une employée au bord des larmes. Il faut donc
reconnaître que, même si souvent l’hyper obéissance aux règles des américains
nous tapent sur les nerfs, elle va de pair avec un certain civisme qui facilite
les relations.
Enfin, en bons français désobéissants,
nous continuons à dormir en dehors des campgrounds et à squatter les forêts
avoisinantes. Celle qui borde le parc est très belle et on y trouve refuge pour
les trois nuits glaciales que nous passerons à Bryce. On y croise de nombreux
« elks », « mule deers » et écureuils et on conserve pour
le moment notre objectif 100 % wild, 0 % camping.
Mardi
29 mai : Go North
Mardi nous levons le camp avec
difficulté car un lieu comme celui-ci ne se quitte pas volontiers. Et il y a de
fortes chances pour que ce soit notre première et dernière visite. On retourne
une dernière fois à l’amphithéâtre pour graver son spectacle dans nos mémoires,
et nous reprenons la route pour le Nord et le non moins célèbre Yellowstone NP,
à cheval sur le Wyoming, le Montana et l’Idaho. Après les fraîches nuits
passées à Bryce, et en prévision des – 2° annoncés pour la journée à notre
prochaine escale, on aimerait bien trouver un moyen de chauffer le camion. On
fait donc un stop à Salt Lake City pour tenter de trouver une solution.
Première étape, le Wal Mart. Nous avons besoin de faire un gros ravitaillement
et nous avons repéré sur leur site internet des chauffages amovibles à gaz ou à
pétrole qui pourraient nous chauffer au moins le temps de la soirée. Mais par
manque de chance, la saison hivernale est derrière nous et ils n’ont plus rien
en magasin. A défaut de chauffage, nous investissons dans des duvets.
Mais comme tout le monde nous répète
qu’à Yellowstone la température est vraiment glaciale, on décide d’explorer la
deuxième option, plus aléatoire, et certainement plus coûteuse, faire réparer
le chauffage. Ça ne nous semble vraiment pas évident et nous n’avons aucune
envie de revivre un « Iquique » bis, cette étape dans notre
périple en Amérique du Sud où nous avions fait une pause dans la ville
d’Iquique pour tenter de réparer notre chauffe-eau. Nous avions finalement
perdu une semaine entière à tourner dans la ville, à nous faire balader d’un
réparateur à l’autre, sans qu’aucun ne trouve finalement de solution, et nous
étions reparti avec notre chauffe-eau décortiqué, mais toujours en panne, pour
une année de douches froides. Cette fois, nous sommes bien décidés à ne pas
récidiver et l’on se donne la journée pour trouver une solution. Si nous n’en
trouvons pas, nous repartirons quand même vers le Nord, quitte à se greffer les
duvets sur la peau 24 h sur 24.
On frappe donc à la porte du Camping
World de Draper à 8 heures pétantes. Les Camping World sont des usines pour
camping-cars qui jalonnent toutes les routes des States. Ils vendent des
campers et effectuent des réparations. Mais à l’image des Etats-Unis, ils sont
gigantesques. Il y a peut-être deux cent véhicules neufs en expo et l’atelier
de réparation compte plus de dix hangars. C’est tellement immense que les
employés s’y déplacent en voiture électrique. Donc quand on arrive avec Winnie,
on n’est pas vraiment leur priorité. Leur agenda est booké et ils nous
proposent un rendez-vous pour la semaine suivante. Non ! Ils n’ont pas
compris. On a dit : pas de Iquique bis ! Mais après avoir parlementé
un moment, ils acceptent de s’occuper de nous dans la journée. Un employé sort
voir Winnie et nous annonce qu’on en aura pour 75 $, rien que pour établir le
diagnostic ! Pardon, 75 $ ? Mais à ce prix-là, vous faites les
travaux ? Non, non, juste le diagnostic, sans faire aucune réparation et
non déductible de la facture… On part donc en courant. Ça se présente mal.
On reprend la route en essayant de se
faire une raison : il va falloir faire avec nos duvets… Mais à côté du
méga Camping World, on aperçoit un tout petit revendeur de RV. On le dépasse,
on se regarde, on se fait une moue qui signifie « qu’est-ce qu’on a à
perdre ? » et on fait demi-tour. On tombe alors sur une bande de
jeunes ultras sympas qui acceptent tout de suite de nous aider. Mais le
bricoleur du groupe passe une bonne heure à démonter Winnie dans tous les sens
avant de s’avouer vaincu. Et il nous annonce son verdict : « Je pense
que c’est une pièce très couteuse qu’il faut changer, mais avant de vous faire
dépenser de l’argent, je préfère appeler un spécialiste qui travaille souvent
pour nous ». Il ne veut rien en échange de son travail, « you are
welcome » !
Arrive l’expert, Stew, un réparateur
mobile de RV. Il fait moins dans le détail que son prédécesseur et, après une
bonne demi-heure de recherche, nous donne son diagnostic : c’est la carte
électronique. Verdict, 200 $. A nos têtes, il comprend qu’il faut trouver une
autre solution. Il va et vient pendant de longues minutes, de son pick-up au
camion, sans mot dire, en nous laissant dans le doute. Il sort enfin une carte
d’occasion qu’il espère compatible. Après essai, ça semble
fonctionner ! Il tente de nous expliquer certaines choses techniques, mais
entre son accent sorti d’on ne sait quel état et les termes propres au chauffage,
on ne comprend absolument rien. On finit par résumer la situation par une seule
question : « Problem or no problem ? No problem ! ».
Il ne nous prendra finalement que 100 $ en tout, à peine plus que le seul
diagnostic des loustiques d’à côté. Après de longs remerciements, on quitte la
bande avec, en bonus, toute une série d’adresses et de conseils pour nos
visites. On reprend la route, heureux d’avoir rencontré des gars serviables et
désintéressés, et ravi d’avoir un chauffage en état de marche pour affronter
Yellowstone.
On quitte la capitale de l’Utah pour
le Nord. On s’écarte de la ville aussi vite que l’on grimpe en altitude. Après
quelques miles seulement, on se retrouve en pleine montagne, à Park City, une
station de ski ! On y voit les vestiges des installations olympiques
gravés dans la montagne, comme les impressionnants tremplins pour le saut à
ski. On aurait bien fait quelques jours de ride, mais même si les sommets sont
encore enneigés, il n’y a plus assez de neige à la station. On continue donc
notre route sur la 89 qui doit nous mener au Wyoming.
C'est vrai que c'est moins folklo et marrant à lire (juste marrant pour nous) que vos précédentes aventures mais c'est quand même super ! J'adore vos textes, on a l'impression d'y être, vous faites un super trip, merci de nous le faire partager. Bise, Mag et Ju
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