mardi 17 avril 2012

De Saint Barthélemy à Porto Rico (le récit)


Lundi 12 mars : St Barth as jet set spot

Dans le planning initial, nous avions prévu de faire une croix sur Saint Barth pour avoir plus de temps sur d’autres îles. Mais elle est sur la route et ça nous fait une halte après la nuit de navigation. L’équipage a donc voté pour y faire une pause d’une journée. L’arrivée sur l’île au petit matin est très belle. Elle émerge de l’horizon au lever du soleil, ainsi que toutes les îles qui l’entourent. De la mer elle semble toute petite, mais avec un beau relief découpé. Nous arrivons du côté de l’île le plus sauvage, mais sur un petit caprice d’Alain, notre sixième équipier, nous allons mouiller devant le port de Gustavia, au cœur de Saint Barth. Il y a beaucoup de bateaux de toutes tailles, de toutes formes, pour tous budgets. Monos, catas, tris, moins de 10 mètres, plus de 30. A moteur ou à voile, récents ou semblants sortis d’un mauvais coup de crayon donné dans les années 60. Au port, c’est très simple, c’est Saint-Tropez. Boutiques de luxe, belles bagnoles, gens surfringués, restos hors de prix, tout y est. Ce n’est pas notre came, mais c’est toujours bon de voir par soi-même… On repart dans l’après-midi. En s’éloignant un peu du port, on passe près de rochers plantés dans l’eau, de nombreux ilots au vent et sous le vent. On devine une côte sympa plus au Nord. En fouillant dans le carré on trouve une photo aérienne de l’île qui nous laisse apercevoir de splendides plages. Y aurait-il une face cachée de Saint Barth ? On aurait peut-être dû y consacrer un peu plus de temps… mais les Iles Vierges nous appellent.
Quelques milles plus loin une baleine vient croiser notre route. Comme d’habitude lorsque l’on croise un animal marin, c’est le branle-bas de combat. Tout le monde se précipite sur le pont pour admirer le spectacle. Même Nouky participe à l’excitation, mais sans savoir trop pourquoi... Puis, Saint Martin se dévoile petit à petit. L’île est partagée en deux parties, française au Nord, hollandaise au Sud. Nous l’abordons par son côté hollandais. Et là, c’est le choc. Barres d’immeubles, urbanisme anarchique et maxi yachts. Au port de Phillisburg mouillent  côte à côte quatre énormes bateaux de croisière style Costa ! Ça calme. La première impression est « qu’est-ce qu’on fout là ? ». On est venu chercher des plages désertes et paradisiaques, et on arrive dans tout ce qui peut se faire de pire. Après Barbuda, ça fait mal. On essaie de ne pas trop le montrer. Mais de toute façon, on n’a pas le choix. On s’était mis d’accord pour y faire escale car René veut profiter de la zone détaxée pour faire des achats pour le cata. Il affirme qu’il y a des centaines de magasins où l’on peut faire de bonnes affaires.
On débarque à 18 h mais tout est déjà fermé. A part trois restos le long de la plage, dont un avec un concert de reggae et l’autre où je vais manger mon premier « fish n’chip », il n’y a rien. On a l’explication au coin de la rue : « bah tu sais ici ça ouvre avec les bateaux, demain il y aura de l’agitation car on attend sept navires de croisière ». Attends, sept bateaux ? A trois ou quatre mille personnes dans chaque, ça va faire du monde. Le lendemain, en effet, la ville est en effervescence. Les touristes américains se déversent par vagues entières, les rues sont bondées, et tous les magasins sont ouverts. Et devant cette manne de dollars, les commerçants, libanais pour la plupart, pratiquent plus la surtaxe que la détaxe. Tout se négocie, comme au Maghreb ! Et finalement tu ne fais pas de meilleures affaires qu’ailleurs… Enfin le challenge de la matinée est rempli, à savoir, trouver la chemise hawaiienne la plus flash qui soit. Challenge remporté haut la main par Alain et sa chemise vert fluo.
A la mi-journée on reprend la mer pour passer du côté français de l’île. Un marché réputé se tient tous les jeudis soirs à Grand-Case, la deuxième ville française la plus importante après Marigot. Malgré le peu de distance à parcourir, on n’y arrive qu’en fin de journée, après avoir tiré de nombreux bords de près entre la côte de Saint Martin et Anguilla, l’île voisine. Entraînés par un bon vent on ne s’est pas résolu à allumer les moteurs. Nous arrivons dans une jolie baie où toute trace d’urbanisme outrancier a disparue. Comme sur les îles précédentes, l’habitat est à nouveau composé de cases. Les maisons sont basses, espacées et séparées par de beaux jardins. Rien à voir avec la partie hollandaise. En fait, Grand-Case apparait plutôt comme un gros village. Notre arrivée au mouillage est assez remarquée... De temps en temps, pendant la navigation, le cap’tain tente de pêcher à la traîne, sans grand succès jusque-là. Le seul problème c’est qu’il oublie une fois sur deux de remonter la ligne en arrivant. D’habitude nous y pensons pour lui, mais là, tous tournés vers Grand-Case et ses maisons colorées, nous avons tous zappé. Du coup, en plein milieu des bateaux au mouillage, alors que l’on est encore au moteur en train de slalomer, on entend un gars crier « la ligne, la ligne ! ». On se retourne d’un même mouvement et on voit un mec debout dans son annexe en train de se débattre avec la ligne. Nous risquons de lui planter l’hameçon dans les fesses ou dans le boudin de son annexe, ce qui entraînerait inévitablement le naufrage de son embarcation. Pendant que les autres tentent, sans grand succès, de retenir leur rire, je pense tout de même à couper le fil pour libérer notre pauvre victime. Soulagés de n’avoir blessé personne, et malgré l’air vexé du capitaine, on se marre carrément en pensant que notre seule pêche du séjour aura été un zodiak…
On jette l’ancre près de la plage et déjà la musique arrive jusqu’à nous. Les rafales de vent drainent également de succulentes odeurs de grillades. On quitte le cata en vitesse et on débarque sur un ponton assailli d’annexes. Les « jeudis de Grand-Case » sont très connus, et que ce soit par mer ou par terre, il y a affluence. La rue du bord de mer est fermée à la circulation et entièrement dédiée au marché. Les stands s’étendent de part et d’autre. C’est très cosmopolite. Cela va du stand de « kermesse » de la mama qui a préparé trois gâteaux au chocolat et qui vient les vendre, aux accras de poisson ou de crevette, beignets de poulet, grillades de « rip » (travers de porc) et tartes à la goyave, en passant par des crêpes bretonnes ou des sandwichs cuits sur un saj (appareil turque, espèce de plaque chauffante convexe sur laquelle on cuit une pâte, comme une pizza). Nous goutons un peu à tout en flânant dans le marché. On y trouve toutes sortes de vêtements, bijoux, peintures et objets insolites. Il y a des groupes de musique un peu partout et on a même droit au passage d’un char de carnaval avec déguisements, danseuses et musiciens.

Après l’isolement des mouillages, on apprécie tous ce bain de foule et cette ambiance festive. Tous… sauf un. Alors que nous étions posés sur un muret pour déguster des accras, Nouky, qui jusque-là était tranquillement couché aux pieds de Laeti, fait tout à coup un bond hallucinant, essaie de monter sur le muret, tente de s’enfuir, de nous grimper dessus. Bref, il se met à faire n’importe quoi ! Il a les yeux exorbités,  le cœur qui bat à 2000 à l’heure et il sort une langue démesurée. Il nous regarde avec l’air implorant du chien qui ne comprend pas ce qui lui arrive. On se stresse un peu en pensant qu’il a peut-être été piqué par quelque chose mais, comme après inspection ça ne semble pas être le cas, on ne sait pas trop quoi faire. Puis, en y repensant, on se souvient avoir vu la petite fille de la marchande d’accras le papouiller et… lui donner une boulette. On comprend alors que notre pauvre Nouky est en fait en pleine découverte culinaire… du piment antillais ! N’ayant pas d’autre solution que d’attendre que ça passe on devra, une bonne partie de la soirée, traîner au bout de la laisse un chien au regard de fou.
Une autre curiosité du marché est que tout se paie en dollars ! On est en France mais tous les prix sont donnés en monnaie américaine. Plus fort encore, si tu veux payer en euros, ils pratiquent le « one / one ». C’est-à-dire 1 € = 1 $ ! L’euro étant à 1, 30 dollar, il vaut mieux essayer de faire du change. Mais il est tard et les banques sont fermées. On demande donc conseil à un vigile qui nous indique un commerçant. C’est un chinois qui tient un supermarché et qui change des euros en dollars, tout ça sur un territoire français ! Un autre aspect est la relation entre les gens de différentes origines. Les blancs et les noirs se mélangent très peu. Les jeunes blacks ont tous le look gangsta rap américain : jean sous les fesses, tee shirts XXXXL qui tombent aux genoux, et pour couronner le tout chaussettes dans les tongs. Ils squattent en périphérie de la manifestation. Des groupes de gendarmes circulent également lourdement équipés. Cela contraste franchement avec l’ambiance bonne enfant du marché et donne un aspect plus inquiétant du reste de l’île.

Mercredi 14 mars : Marigot

Aujourd’hui nous sommes bloqués à Saint Martin. René a beaucoup de choses à acheter pour le bateau, et il attend une bouteille de gaz le lendemain. On doit de notre côté faire une lessive et racheter quelques trucs à manger. De plus, le vent souffle et il y a de la houle d’annoncée, alors on voudrait tenter notre chance en wind. D’un commun accord, on décide donc de faire une journée à quai afin que chacun puisse faire sa vie. On va prendre une place à la marina de Fort Louis. Une fois amarrés, je vais louer une voiture. Je tombe sur cinq loueurs collés les uns aux autres, chacun dans une minuscule case. Tous les loueurs sont blacks et pas stress du tout. J’attrape une Hyundaï Getz automatique. Car là aussi, on a beau être en France, toutes les voitures sont automatiques, de marques américaines ou asiatiques. Dans les rues on croise d’ailleurs des « school bus » jaunes et des « phones »… On part tous les quatre, contents de se retrouver un peu ensemble. On va tenter notre chance au Nord-Est de l’île, à Orient Bay. La baie est très belle. C’est une longue plage de sable avec un beau lagon fermé par moitié par une barrière de corail. Le problème est que l’endroit est surbooké. Première quinzaine du mois d’août sur la côte d’Azur : serviettes dans tous les sens, parachutes ascensionnels, jets skis… ça nous donne le vertige. On sort à peine de la voiture et on repart. Juste un peu plus au Sud, nous nous arrêtons à la plage du Galion, investie par le Windy Reef de Jean Seb Lavocat. Il a développé sa petite affaire autour de la loc de planche et de surf. Des gamins de son club sont d’ailleurs champions d’Europe de surf et il en est fier. Il nous dit avoir eu une saison de malade « pas plus tard que mardi dernier j’étais au taquet en 4.7 ». Mais en ce moment c’est plutôt surf, le vent est léger et assez on shore. Dommage, car il nous aurait bien amené sur ses secret spots ; Wilderness et Tintamarre.
On remplace donc la planche par la ballade. La plage, sous le vent du club, s’étend loin, et elle n’est pas du tout fréquentée. Il n’y a personne, excepté quatre locaux en train de pêcher des oursins et des lambis, et un couple de touristes. Les fonds sont rocheux mais découpés autour de trous de sable, et forment ainsi des petites piscines turquoise où l’on se baigne un long moment. Sur le chemin du retour, on entend la touriste venir vers nous, affolée. Avec son mari, ils viennent de se faire agresser au couteau (lame d’une trentaine de centimètres d’après eux). Ce sont apparemment deux des pêcheurs qui squattaient à côté de nous, et qu’on peut voir s’enfuir tranquillement dans la mangrove. Ils leur ont pris leur sacoche avec papiers, argent, clés… On les dépanne en les ramenant chez eux pour qu’ils se changent et récupèrent leurs doubles de clés de voiture… La femme nous explique qu’un ami de son fils s’est fait mortellement poignardé alors qu’il retirait de l’argent. Et là, le déballage commence. Les gars du club : « Ouais ça arrive souvent, il ne faut surtout rien laisser dans les bagnoles ». Au bar : « Sur la plage, ils passent en courant et arrachent les bijoux ». A la capitainerie : « Je me suis fait attaquer cinq fois en trois ans, la dernière dans mes bureaux, mais depuis rien ». Saint Martin is not so good… ? On flippe quand même après coup en se disant que ça aurait pu être nous les victimes. Mais c’est sûrement l’aspect effrayant du chien de garde exceptionnel qui nous accompagne qui a dû les en dissuader…

Jeudi 15 mars : Saint Martin last time

Ce matin le vent n’est pas très virulent. Hier les drisses claquaient alors qu’il n’y avait que 15 nœuds sur le spot, ce matin elles ne claquent même pas. Pas besoin de s’affoler donc. On fait une croix sur la planche et on passe en mode tourisme. On part tous les quatre dans notre Getz de location. Comme le temps n’est pas très dégagé on décide de faire d’abord un tour vers la côte Sud-Ouest, avant de rejoindre les belles plages du Nord qui méritent d’être mises en valeur par un franc soleil. Mais on ne tient que quelques kilomètres. Cette partie de l’île ne présente, à nos yeux, aucun intérêt, et même les plages ne sont pas terribles. C’est vrai qu’à cause du bateau notre degré d’exigence est élevé. Nous avons pris l’habitude d’avoir les plages pour nous, alors maintenant, la simple vue d’un parasol nous fait fuir. On remonte vers le Nord, la partie la plus sauvage de l’île. On bifurque avant Grand-Case pour rallier le plus haut point de vue de Saint Martin : le Pic Paradis. La route monte sévèrement en trace directe, et la pauvre voiture « low coast » souffre. On s’arrête quasiment après une légère courbe, et tout le monde s’apprête à descendre pour soulager ses souffrances. Mais elle nous amène malgré tout tant bien que mal jusqu’au sommet. On tombe alors sur un petit écriteau « Pic Paradis » écrit à la main, à côté de quatre panneaux énormes remplis de mises en garde « Ne laissez rien dans les voitures », « Ne vous promenez pas seuls », « Ne vous promenez pas trop longtemps »… avec rappel des numéros d’urgence de la police… Décidément, l’inscription « Saint Martin, the friendly island » écrite sur les plaques d’immatriculation des voitures colle très mal avec l’ambiance de l’île ! Un sentier mal entretenu mène à un croisement dans de hautes herbes. Il faut tirer à la courte paille pour deviner la bonne direction car il n’y a rien d’indiqué. On trouve finalement le point de vue qui donne sur la côte Sud. On découvre l’île depuis Phillisburg jusqu’à Orient Bay. Au loin, Saint Barth et son beau relief accidenté se découpe sur l’horizon.
On redescend et cette fois-ci ce sont les freins de notre petite japonaise qui sont mis à mal. Elle nous le signale clairement par une très forte odeur de brulé. On traverse l’île pour rejoindre la côte Nord-Est. D’ici, on peut aller sur l’îlet Pinel. Plus loin, se dessine l’île de Tintamarre et son beau mouillage le long d’une plage de sable protégée du Nord-Est. On aurait bien jeté l’ancre là-bas à la place de la marina… La route vers le Nord longe la plage des Grandes Cayes, et s’arrête devant la décharge de l’île. On croit halluciner. A droite de la route, côté mer, un panneau indique que le littoral est une réserve naturelle alors qu’à gauche, côté intérieur, ce sont les camions-poubelles qui défilent ! Passée cette absurdité, on emprunte le sentier du littoral qui fait tout le tour de la pointe Nord jusqu’à Anse Marcel, une petite marina « select » où se parquent les touristes les moins bronzés. C’est la seule partie de l’île qui a résisté au bétonnage. Cela s’explique par le fait que la côte soit caillouteuse et les plages remplies de coraux. Les collines qui bordent le sentier sont verdoyantes et piquantes de cactus. A certains endroits du chemin nous marchons sur un véritable tapis de coraux blanchis par le soleil, qui contrastent avec le noir de la roche volcanique. Mais surtout il n’y a rien ! C’est bien entendu pour nous le plus bel endroit de l’île. On parvient au spot de Wilderness, qui marche un peu en surf aujourd’hui, mais qui parait bien dur à exploiter en wind si l’on n’est pas accompagné de locaux. Il faut sortir à Grandes Cayes par une petite passe en tirant des bords de près, puis longer la côte, descendre un bon moment sous le vent, tout ça, la plupart du temps, sans planer. Même chose au retour. De plus, la vague pète près du reef et des patates semblent jalonner le ride… Mais ça reste un super décor et la vague a du potentiel.
Après une halte au plus gros supermarché du Nord de l’île à l’enseigne bien française : « US market », on retourne au port car on doit lever l’ancre ce soir. Je vais rendre la voiture de loc et trouve mon loueur vautré sur un banc. Il me lance « t’as mis de l’essence ? ». Après avoir acquiescé, il daigne quand même se lever pour que je le paie, mais ne va même pas voir la caisse ! Au port, on s’active tous, mais les réparations du capitaine traînent. Il s’acharne à arranger une broutille sur le boudin de l’annexe, alors que le moteur tribord qui, à plusieurs reprises, a donné de grosses alertes (dont une où l’on a bien cru que le bateau était en train de s’enflammer), n’est toujours pas réparé. En fait, depuis que nous sommes partis de la Guadeloupe, sur Shadococo, une panne en chasse une autre. Le bateau n’a que quinze ans, mais il a d’abord été loué pendant quelques années, avant d’être racheté par René. Celui-ci est plein de grands projets d’aménagement pour le futur. Mais comme il n’est pas très lucide sur l’état de son bateau, il ne voit pas qu’avant d’améliorer Shadococo, il faudrait déjà le remettre en état… Ainsi, les réparations s’accumulent. En fait, aujourd’hui absolument chaque partie du bateau aurait besoin de soins. Mais il faut dire que notre capitaine a une conception de l’organisation plutôt spéciale… en fait, il n’en n’a pas. Sur son bateau, absolument rien n’a de place. Tout ce qui est sorti une fois reste ensuite pendant des lustres abandonné sur la table du carré intérieur, qui heureusement pour nous, grâce à la chaleur des Caraïbes, ne nous est d’aucune utilité. La table se trouve ainsi jonchée de milliards de petits objets hétéroclites qui, par le miracle de la stabilité du catamaran, ne volent pas dans tous les sens en navigation. René lui-même dort confortablement installé contre… le moteur de son annexe. Marie-Jeanne et Christian ont hérité des réserves de nourriture, et sont ainsi contraints de dormir avec les oignons. La cabine d’Alain ressemble au rayon outillage de Leroy Merlin. La nôtre est le sujet tour à tour d’odeurs de caoutchouc cramé venant du moteur tribord que nous avons sous le lit ou, pire encore, de relents d’égouts venant des toilettes voisines… Enfin, ce soir, on sort du port pour une traversée de 80 milles avec un moteur boiteux, une survie dont la révision n’a jamais été faite et des fusées de détresse périmées depuis bien longtemps… Pour assurer un minimum de sécurité, nous avons quand même réussi à convaincre René que les feux de navigation (qui permettent d’être repéré par les autres bateaux et donc d’éviter des collisions) n’étaient pas, comme il le pensait, superflus, et qu’il était primordial qu’il les répare…


Vendredi 16 mars : Virgin Gorda la splendide

En fin d’après-midi, tout le monde est prêt et nous larguons enfin les amarres, direction : les BVIs, les British Virgin Islands !! Les îles dont on a le plus rêvé pendant toute notre préparation de voyage.
On prend le premier quart avec Laetitia. Enfin en théorie, car elle a écopé d’un gros mal de tête et s’est endormie à peine le repas terminé. Je me retrouve donc seul à la barre pour le créneau 21 h – 1 h. Après un départ laborieux dans la pétole, on touche enfin du vent et le cata file à 6/7 nœuds plein vent arrière. Le ciel est bien noir et les étoiles scintillent. C’est une belle nuit pour naviguer. Je me fais finalement relayer vers minuit par Christian qui émerge du carré pour remplacer Laeti. Je file me coucher et ne me réveille qu’à 8 heures pour découvrir notre première étape des BVI toute proche : Virgin Gorda.
On contourne l’île par le Sud pour aller mouiller devant le plus gros port de l’île : Virgin Gorda Yacht Harbour, afin de faire les formalités d’entrée de tout l’équipage, humain et canin. Premier étonnement, le port est petit, les alentours peu construits, et l’eau parfaitement translucide. Au mouillage, par cinq mètres, on distingue parfaitement le fond. On n’hésite donc pas une seconde à se jeter à l’eau. Après le bain d’arrivée, on prend avec l’annexe le petit chenal d’accès qui est blotti entre la côte et des hauts fonds. On débarque sur le port qui s’avère minuscule pour le principal port de l’île. Il y a un bar, une banque, un supermarché, that’s all ! Pas un truc à touristes, rien. On va effectuer les formalités d’arrivée. Tout se passe bien. Même le véto expédie rapidement l’histoire, après avoir quand même pris sa taxe de 20 $. Mais avant de penser à profiter, il faut à nouveau se prendre la tête sur internet pour la suite du périple. Le plan initial était que nous allions tous ensemble jusqu’à Porto Rico, puis le reste de l’équipage rentrait en trace directe vers la Guadeloupe, où Alain, Christian et Marie–Jeanne avaient leur vol vers la France. Mais ces derniers, devant le manque de sécurité du bateau et la grande capacité du capitaine à faire un peu n’importe quoi, ne sont pas chauds pour une nav de plusieurs jours, et décident de rentrer par un vol BVI-Guadeloupe. René, dans ce nouveau cas de figure, ne souhaite plus faire le retour de Porto Rico s’il n’y a plus qu’un seul équipier avec lui. Pour couronner le tout, il faut absolument un visa pour être autorisé à accoster à Porto Rico, qui est sous la dominance US. Oui, un visa ! Particularité des zones US soumises à un fort taux de paranoïa, toute personne arrivant par bateau privé doit avoir un visa d’ambassade. La procédure classique ESTA pour les durées de moins de trois mois ne fonctionne pas ! Pire encore, on a lu des récits de voyageurs qui ont fini en prison quelques heures, avant de se voir expulser du territoire parce qu’ils n’avaient pas les bons documents ! Seul hic, nous sommes les seuls à bord de Shadococo à détenir le fameux visa… Pour débloquer la situation, nous proposons à l’équipage de nous débarquer sur l’île de Tortola, d’où les parents de Laeti pourraient prendre un vol vers la Gwada, et nous un ferry vers Porto Rico. On va donc au seul bar du coin qui est équipé du WIFI pour checker les ferries.
On se branche sur le net et là, panique ! Le seul ferry qui jusque-là reliait les BVIs à Porto Rico ne fonctionne plus ! Alors si on se résume, on a un visa mais on ne peut pas y aller, et ceux qui pourraient nous y amener n’en n’ont pas. Même si on tentait le coup, on risquerait de se faire rembarrer, et là fini le trip, retour à la case maison sans toucher les 10 000… On passe donc l’après-midi en mode stress pour trouver une solution : appeler le port de Fajardo, à Porto Rico, pour avoir la confirmation qu’il faut ce … de visa (malheureusement c’est le cas…), essayer de trouver une compagnie de charter ou des plaisanciers pour nous amener, chercher des solutions sur les forums, checker les conditions d’admission pour le chien… Tout y passe. On pense même à louer un voilier, en dernier recours. Après de multiples recherches, une seule option s’offre à nous. C’est une astuce donnée sur les forums de navigateurs. Il parait que, lorsqu’on n’a pas de visa, on peut prendre le ferry depuis les BVIs (british) pour les USVIs (américaines) pour faire ses papiers, obtenir un visa temporaire, et pouvoir ensuite revenir avec son bateau, d’abord aux USVIs, puis à Porto Rico. L’avantage pour nous est que l’arrivée à Porto Rico serait plus cool en arrivant d’un territoire US. Après moults discussions, René semble finalement disposé à tenter le coup. Pour le moment, on en reste là. Il est tard et on est fatigué après la nav de nuit et toutes ces prises de tête…

Samedi 17 mars : The Baths

Au réveil, nous décidons de mettre de côté tous les problèmes de formalités puisque comme c’est le week-end, nous ne pouvons plus rien faire avancer. Nous sommes pour le moment bien décidés à profiter à fond des vierges. On avait repéré depuis un bon moment The Baths, un endroit à part à la pointe Sud de Virgin Gorda. On y trouve d’énormes rochers de granit tout ronds, comme des galets, posés sur la plage, certains immergés, d’autres non, baignés par de magnifiques eaux translucides. Cela produit une multitude de baignoires naturelles aux eaux cristallines, d’où le nom « the baths ».  Le sentier sinue entre les rochers jusqu’à « The cave », où l’amas de roche laisse un sentier à moitié immergé et recouvert par les blocs. La lumière pénètre par endroits entre les anfractuosités et éclaire des bains naturels. On avance entre roche et mer comme dans un labyrinthe. L’ensemble est sublime. Pour Nouky qui s’éclate dans les petites piscines, c’est certainement la plus belle escale du trip. On revient au bateau après une longue marche. Du cockpit on contemple les Iles Vierges. Elles sont vraiment incroyables. Elles s’étendent de tous les côtés et forment ainsi une sorte de mer intérieure. Cela parait une zone de navigation fantastique et unique au monde. On peut y naviguer à vue dans une mer peu formée, et il semble y avoir des milliers de mouillages. Nous sommes réellement étonnés par le peu de constructions. Les BVIs, pourtant touristiques quand on voit sur internet le nombre de croisiéristes et de loueurs de voiliers opérant dans le secteur, sont préservées. Nous sommes enthousiasmés de voir que ces îles portent encore très bien leur nom.
Après un petit casse-croute, on se dépêche de tout ranger pour aller profiter encore une fois de l’eau turquoise qui nous entoure. On débarrasse la table et, comme d’habitude, on balance les déchets biodégradables par-dessus bord. Mais au moment où l’on s’apprête à plonger, on aperçoit deux visiteurs venus renifler nos restes sous le bateau. Deux énormes bestioles qui tournent tranquillement sous la coque et qui ressemblent franchement à des petits requins. René se penche à l’échelle avec un masque pour vérifier l’identité des squatteurs. Il s’agit en fait de deux barracudas d’environ 1m20. Ces derniers, dérangés par le bruit, s’échappent à une vitesse hallucinante, et l’on comprend alors pourquoi ils sont souvent comparés à des torpilles. Même si les attaques de barracudas restent assez rares dans cette zone des Caraïbes, nous préférons différer un peu notre bain et le remplacer par une bonne sieste…

Dimanche 18 mars

Après une bonne journée passée dans une autre des sublimes BVIs, Peter Island, il faut à nouveau s’occuper de nos problèmes de formalités, et arrêter une décision. René accepte de tenter le coup par les USVIs pour obtenir un visa pour Alain et lui, et ensuite nous amener à destination. D’après les infos glanées sur le net, l’astuce devrait fonctionner. Enfin info ou intox, la seule manière de le vérifier est que René et Alain se rendent en ferry à St Thomas, l’USVI principale. De notre côté, nous ne sommes pas très rassurés sur nos chances d’arriver à bon port, mais à part croiser les doigts, on ne peut rien faire de plus. Nous décidons donc de mettre à profit la journée du lundi pour aller visiter par ferry l’île d’Anegada. Pour cela, le plus simple semble être de se caler dès le dimanche soir au port de Tortola, d’où partent tous les ferries, pour que chacun puisse attraper celui qui lui convient.
Lundi 19 mars : Magic Anegada
Réveil à 5 h 30. On a beau être matinaux depuis notre arrivée dans les Antilles, là, ça fait mal. Il faut, au moment fatidique d’ouvrir les yeux et de sortir du lit, se motiver en se repassant toutes les images sublimes que l’on a vu d’Anegada sur le net. C’était, avec Barbuda, une île qui nous tenait vraiment à cœur. Après un petit déj rapide on se dirige vers le terminal et on attrape le ferry de 6 h 30. Je m’y endors quasi instantanément alors que, courageuse, Laeti profite sur le pont de la remontée entre les îles et de l’arrêt (bref) à Virgin Gorda.
Anegada est, par bien des aspects, la petite sœur de Barbuda. Elle aussi est excentrée, et donc à l’écart des principales routes maritimes. Elle aussi est complètement plate, puisque son point le plus haut culmine à douze mètres. Elle est également composée dans sa majeure partie d’étangs, et est entièrement bordée de plages de sable. De plus, elle est entourée par une des plus longues barrières de corail du monde…
Comme Barbuda, l’île apparait au dernier moment. En fait, s’il n’y avait pas quelques grands arbres qui permettent de la repérer, nous pourrions arriver jusque sur le sable sans l’avoir vue. Le ferry rentre dans le chenal où seulement quelques voiliers sont venus mouiller. On débarque sur le quai et on traverse à pied le « port » de l’île, c’est-à-dire quelques baraques, un hôtel, une supérette, un bar, un magasin de souvenir et un loueur de bagnole. Après de nombreuses hésitations pour savoir si on allait partir à pied, en scooter, ou en voiture, on dégotte, après de longues négociations, un 4x4 équipé du classique V6 américain. On prend la route qui fait le tour de l’île en direction de West End. La voiture est américaine, avec le volant à gauche, mais île britannique oblige, il faut rouler à gauche. Les premières minutes c’est un peu déroutant, surtout dans les intersections et ronds-points, mais on s’y habitue vite. Et puis il faut dire que la circulation n’est pas vraiment dense et en fait, il n’y a qu’un seul rond-point. Mes copilotes me rattrapent quand même à plusieurs reprises où, machinalement je m’engage à droite. On découvre très vite que la majorité des routes sont en fait des pistes non balisées. Il n’y a aucun panneau. On roule donc à vue, et on emprunte parfois des impasses, aventure oblige. On s’arrête sur une succession de plages vierges bordées d’eau turquoise et protégées par la barrière de corail. Le cliché de carte postale devant nous. Les couleurs sont tellement vives qu’elles font mal aux yeux, même à travers nos lunettes. On ne peut résister à l’appel de nombreux bains, et Nouky le premier se jette à l’eau à peine sorti de la voiture.
A West End, le spot à priori windsurfable, on voit une petite vague qui déroule parfaitement alors qu’il n’y a pas vraiment de houle. Le vent est quasiment nul, nous n’avons donc pas de regret, mais on ne peut s’empêcher de fantasmer sur le potentiel du spot et de nous imaginer rider de superbes vagues dans ce décor magique. Un peu plus loin, on tombe sur des maisons pieds dans l’eau que la nature a lourdement sanctionnées, certainement lors d’un cyclone. Une est complètement explosée et les autres ont pris une sacré gite, même si elles restent étonnamment intactes. Cela donne une architecture tout à fait singulière, puisque dans un coin du salon, tu es de plain pied alors que de l’autre, tu es au premier… On continue notre périple et le V6 gronde sur la tôle ondulée. On arrive à Loblolly Bay. Ici, l’eau est transparente jusqu’à la barrière de corail. Je nage en mettant le masque au niveau de la surface. Je vois donc en même temps le « dessous » translucide et le « dessus » parfaitement turquoise avec la ligne bleue foncée à l’horizon. Je n’arrête pas de me répéter, pour moi seul, « c’est trop beau, c’est trop beau ».
Après avoir avalé un Mahi Mahi, le poisson des Antilles, on repart pour traverser l’île. On croise alors ce qui est véritablement le seul village d’Anegada. Il n’y a pas foule… Seules quelques cases et une mini boutique où l’on achète des cookies au détail. Arrivés au sud-est de l’île, on tombe sur un paysage irréel. La mangrove s’étend jusqu’au bord de l’eau, ne laissant qu’une fine bande de sable entre elle et la mer. Les fonds descendent tout doucement, de quelques centimètres à peine sous la surface. Il n’y a pas un bruit et pas un souffle de vent. Tout ça, dans une lumière particulière d’avant orage, fait que l’on ne distingue pas l’horizon. Le ciel et l’océan se mêlent sans pouvoir discerner où commence l’un et où l’autre s’arrête. Dans ce calme absolu des palétuviers se sont perdus au milieu des eaux, et forment des bouquets d’îlots éparpillés dans l’immensité uniforme. C’est un moment intense, magique, suspendu, troublé uniquement par Nouky qui y voit un fabuleux terrain de jeu pour la pêche aux crabes géants.
Un grain et un bon bain plus tard et c’est déjà l’heure de reprendre le ferry. Nous repartons en direction du débarcadère. Cette île mériterait amplement plus de temps, mais on a déjà pu prendre cette journée… La navette arrive, et avec elle, l’oxygène de l’île. Les employés du ferry passent une demi-heure à décharger des caisses de vivres et de matériel venant de Tortola. Quelques instants plus tard, Anegada disparait déjà à l’horizon. Seuls les cimes des plus hauts arbres sont encore perceptibles. On repense à cette journée et à la vie sur cette île excentrée des Antilles et des BVI. Pas si loin, mais déjà isolée… Je fais le retour éveillé et admire le North Sound de Virgin Gorda. On passe à côté d’îlots et de hauts fonds qui rebutent à toute navigation de nuit sans instruments fiables, avant de plonger sur Road Town.

Mardi 20 mars : Tortola

On devait partir ce matin pour Saint Thomas et Porto Rico. Mais en rentrant d’Anegada hier soir, on apprend que René, qui s’est emmêlé les pinceaux, n’a pas récupéré à temps sa demande d’ESTA sur internet. Ca décale donc le planning et nous offre ainsi un bonus de 24 h pour découvrir Tortola. René et Alain repartent donc une nouvelle fois en ferry pour les USVIs et nous partons, de notre côté, à la recherche d’une nouvelle caisse de loc. On ne cherche pas longtemps car il y a un loueur juste derrière la marina. Je lui demande « the cheapest car you have ». Il me montre une berline Nissan grise que deux gars sont soigneusement en train d’astiquer millimètres par millimètres. Je retourne le voir en me disant qu’il a dû se tromper. Je cherche la voiture la moins chère ! Il me répond « C’est celle-là ».  Ok ! Après un état des lieux incroyablement long où il note chaque micro rayure, on part à bord de notre super bolide. On est tout fier d’avoir une bagnole aussi clinquante, alors on se la raconte un peu, ça n’arrive pas tous les jours.
On prend la route vers l’ouest, direction West End (oui je sais ils ne sont pas très originaux pour les noms dans les îles…). Alain, qui a fait la route en taco hier nous a averti que l’endroit était moche et industriel. Je veux néanmoins aller voir à quoi ça ressemble et puis on avait décidé de toute façon de faire le tour de l’île. Mince, faut amortir à fond la voiture de loc, quand même. Surprise, on suit une petite route côtière encadrée de végétation qui serpente de criques en criques. En effet, il y a quelques hangars sur une centaine de mètres, mais la route fait une vingtaine de kilomètres de long ! Règle n°34 : toujours aller voir par soi-même ! On arrive à West End, le bout du bout de Tortola. La mer des Caraïbes se transforme alors en lac. Aussi loin que porte le regard, on ne voit que des îles séparées par de fins bras de mer. On discerne plusieurs veinards qui ont trouvé de superbes mouillages devant des plages désertes et des collines verdoyantes vierges de constructions. On se dit que l’on pourrait vraiment passer plusieurs mois dans ces îles sans faire deux soirs de suite le même mouillage.
Pour rejoindre la côte Nord, on emprunte une route de plus en plus étroite et de moins en moins goudronnée. On ne peut pas aller bien vite mais ils ont quand même mis d’énormes ralentisseurs en terre. On se tanque sur le troisième en touchant allégrement le bas de caisse. Tout le monde descend et je passe sur le côté, une roue sur le ralentisseur, une roue dans le talus. Mais quelques dizaines de mètres plus loin, rebelote. Pour ne pas continuer à massacrer le bas de caisse de notre berline, nous décidons d’abandonner la piste et de faire demi-tour. Finalement, les voitures trop classes, ça ne nous va pas…
La côte Nord-Ouest de l’île est un festival de plages superbes, Long Bay, Cappoons Bay, Carot Bay, Cane Garden Bay, Brewers Bay… toutes peu fréquentées. Le littoral est très découpé, et entre ces différentes plages s’élèvent de hautes collines, si bien qu’à chaque sortie de virage on a de magnifiques points de vue sur les Vierges. La déclivité des routes sur Tortola est par contre impressionnante. En fait, le concept d’ascension progressive est complètement inconnu ici. Si on doit monter, on monte tout droit. Et les rares virages qui ponctuent les routes sont incroyablement raides. Jusque-là, on ne comprenait pas trop pourquoi tous les locaux roulaient en 4x4, mais c’est sûrement parce que c’est le seul endroit au monde où les routes sont si pentues qu’il faut un 4x4, même pour rouler sur du goudron. Heureusement que la voiture est puissante, car avec celle de Saint Martin, on aurait fini à pied. La côte Nord recèle encore d’autres beautés mais les accès sont très difficiles et on voudrait récupérer notre caution. On préfère donc ne pas renouveler notre expérience sur la piste. On fait un dernier stop à Josiah’s Bay, un spot de surf de qualité moyenne. On y a par contre une vue sur l’île voisine de Guana Island, et sur la superbe plage de White Bay ; une plage aveuglante de blancheur qui porte bien son nom et où l’on aurait volontiers jeté l’ancre…
On finit la journée à l’Est de l’île, à Beef Island, où se situe l’aéroport. On y repère un petit hôtel pour les parents de Laetitia qui débarquent demain, mais qui n’ont pas de vol pour la Guadeloupe avant jeudi. En rentrant au port, on retrouve René et Alain de retour des USVIs. Ils n’ont toujours pas de visas, mais l’officier des douanes de St Thomas leur a assuré qu’ils pourraient rentrer !? Nous ne cherchons pas trop à comprendre. Pour nous, l’essentiel est que René y croit, et qu’il nous amène jusqu’à Porto Rico. Si le capitaine et son équipier s’y font refouler ça n’est pas très grave vu qu’ils ne comptaient pas y rester. Nous, nous trouverons toujours le moyen de sauter sur le quai avant leur expulsion. Nous nous préparons donc pour le départ du lendemain.

Mercredi 21 mars : De Tortola à Saint Thomas

That is the day. Le verdict tombera aujourd’hui. Si l’on ne peut pas rentrer aux USVIs, c’est foutu, la route s’arrête là. S’ils nous laissent passer, nous sommes sûrs d’arriver jusqu’à Porto Rico… Réveil à 6 h ce matin pour effectuer tranquillement les 25 milles qui nous séparent de St Thomas, et y arriver assez tôt pour faire les formalités. Après un petit déj tous ensemble, Christian et Marie-Jeanne nous quittent. On part du port de Road Town vers 7 h 30. Le vent peine à souffler et nous avançons à peine à 3,5 nœuds. A ce rythme-là, ça va être très long, et nous risquons bien d’arriver après la fermeture des bureaux de la douane… Heureusement, une bonne heure et demie plus tard, le vent fraîchit en approchant de la pointe de Saint Johns, et on double l’allure. Ça semble insignifiant, passer de trois ou quatre nœuds à sept ou huit, mais à la voile ça change tout. Le jour et la nuit. En gros, de l’ennui à l’action. A trois nœuds, on a l’impression de faire du sur-place et on subit vraiment la mer. Au moindre clapot, le bateau part dans tous les sens, les voiles, qui ne sont pas bien gonflées, battent et claquent, et les durées s’allongent. Alors qu’à allure moyenne, le bateau est calé. Il passe la mer plus facilement. Tout est plus fluide ; on ne lutte pas, on compose. Et surtout la durée d’une navigation diminue de moitié ! On tient bon le vent (et la barre, hisse et ho…), si bien que l’on arrive en vue de Saint Thomas en fin de matinée. La pression monte. On a lu toutes sortes de récits de voyageurs qui nous mettent en stress comme : « Ils surveillent leurs eaux par avion. Si tu ne te déclares pas par VHF, les coast guards te stoppent, et au mieux tu fais demi-tour, au pire tu finis au poste ». Mais René, qui semble avoir une foi aveuglante en son officier de douane, s’entête à ne pas vouloir les appeler par VHF. Nous, en revanche, dans ce genre de cas, n’avons que moyennement confiance en la parole donnée. Nous savons qu’il suffit que l’officier en charge un jour ne soit plus le même le lendemain pour que toute la situation ait changée. Alors de peur de ne pas pouvoir continuer notre trip aux USA (les gars, il nous reste cinq mois !!), on est en pleine parano. Dès qu’un bateau à moteur pointe à l’horizon, je me dis qu’on est fait. Je sors les jumelles toutes les trois secondes. Du coup, sans rien dire, je prends l’initiative de mettre le pavillon tricolore, que le capitaine ne sort habituellement qu’au dernier moment pour ne pas l’abimer. A défaut d’être complètement en règle, nous ne serons au moins plus sur un bateau de nationalité indéfinie…
Le temps passe sans arrestation ni tir de missile. On approche tranquillement de la baie de Charlotte Amalie, la capitale de St Thomas. Le capitaine a tout de même le culot d’aller s’amarrer à un long quai où nous sommes le seul bateau, juste à côté des services des douanes. Nous sommes assez sceptiques sur la légalité de cet amarrage, mais comme c’est le fameux officier de douane qui l’a autorisé hier, alors… Ce quai est une extension de la marina qui longe la mer et… la ville ! Il donne directement sur une route et des immeubles. On ne s’entend même pas parler dans ce vacarme urbain. Quelques minutes après notre arrivée, un gars du port nous tombe dessus. Il n’a pas trainé, preuve que, même s’ils ne nous ont pas interceptés par hélicoptère, Big Brother veille. Après discussion, il nous accorde une heure pour faire nos formalités et déguerpir.
Aux services d’immigration René s’occupe de faire rentrer son bateau, nous nous occupons de faire rentrer ses passagers. L’officier d’entrée sur le territoire, un grand black pas très souriant, nous demande de remplir des formulaires, avant de disparaître pendant plus d’une heure. Au moment où nous commencions à penser qu’il nous avait complètement zappés, nous le voyons réapparaître. Il était en fait parti faire les formalités d’entrée de la centaine de passagers débarqués du ferry dix minutes après nous… Sans un mot d’excuse, il prend nos passeports, et… nous les rend quelques minutes après. Il ne relève même pas l’absence de visas de nos deux équipiers. Alors que normalement ils n’auraient même pas dû pénétrer dans les eaux US, ils semblent maintenant autorisés à y naviguer !? Là encore, nous ne cherchons pas trop à approfondir la question. Le bateau et (presque) tous ses équipiers sont donc maintenant légaux sur le sol US. Ne reste qu’à y faire rentrer le plus petit des matelots… Forts de notre premier succès, nous nous lançons : « Euh, nous avons aussi un chien ». Là encore, nous sommes un peu inquiets. Nous n’avons pu trouver aucun renseignement sur l’import d’animaux de compagnie dans les îles américaines, et ignorons donc complètement les papiers exigés. Nous misons tout sur le certificat de bonne santé établi en Guadeloupe que nous tendons au douanier, tout en croisant dans notre dos tous les doigts de nos deux mains. L’officier le regarde, et même si le papier est pourtant rédigé en anglais, il ne semble rien n’y comprendre. Il nous le rend tout en murmurant un « thats’s ok ». That’s ok… et c’est tout ? Pas besoin d’attendre des plombes un véto qui va regarder le chien dans tous les sens et nous demander de payer ? Nous ne demandons pas notre reste et retournons au bateau presqu’en courant, au cas où il déciderait de changer d’avis. Nous sommes tout d’un coup beaucoup plus détendus : ça y est, nous sommes aux States !
On quitte aussitôt le port, le cœur léger « On va y arriver !! ». Pour couper la longue route qui nous sépare de Porto Rico, René décide de mouiller près d’un petit îlot qui se trouve sur le chemin, perdu au large de St Thomas. Ce genre de mouillage ne lui ressemble pas. L’endroit est désert et il faut jeter l’ancre au milieu des rochers, hauts fonds et coraux. On n’est pas trop rassuré car il y a du courant, pas mal de houle et de gros nuages noirs annonciateurs de grains à l’horizon. De plus, la météo annonce du vent pour la nuit. Or, si on décroche, on va directement dans les rocks. Si le vent tourne de 180°, idem. Enfin, il faut reconnaître qu’en matière de mouillage, il a toujours bien géré, jusque-là... Je ne suis tout de même pas tranquille, et encore moins quand je plonge un peu après avec le masque, et que je découvre que l’on est mouillé pile poil sur une épave de voilier ! Il ne reste que le pont et un bout de mat. L’épave est posée par cinq mètres de fond, orientée comme nous face à la plage…. Ce dernier mouillage à bord de Shadococo aura été de loin le mouillage le plus austère du séjour. L’ambiance au coucher du soleil est étrange. Les grains menacent. L’îlot est inhabité car c’est une réserve d’oiseaux, et il n’y a aucun autre bateau. Il n’y a donc aucune trace de vie humaine ni même d’oiseau d’ailleurs. Nous sommes seuls avec le bruit du vent. Du coup, je ne dors que d’un œil et me lève trois fois dans la nuit pour aller vérifier mes repères et être sûr que l’on ne décroche pas « Jusque-là, tout va bien… ».

Jeudi 22 mars : En route pour Porto Rico

Le départ est aussi laborieux que la veille. Aujourd’hui nous avons 35 milles à faire, et avec une moyenne de 3,5 nœuds, il nous faudra… 10 h de navigation. On est donc à la bourre, alors qu’il n’est que 7 h 30 du matin… Il faut là aussi attendre quelques heures que des grains arrivent pour commencer à avancer. Le vent forcit au fur et à mesure et dépasse même les 20 nœuds. Du coup, la moyenne monte en flèche et le timing devient plus raisonnable, d’autant que le mauvais temps s’installe. On ne peut plus parler de grains, les nuages sont partout et on ne voit plus le ciel bleu. C’est bon pour la vitesse, mais pour le décor, c’est moyen. On passe à côté des îles de Vieques et Culebra, ainsi que de nombreux îlots, mais on les devine plus qu’on ne les voit à travers les trombes d’eau. Il y en a même un constitué uniquement d’un banc de sable avec quelques cocotiers jetés dessus pour la photo. Enfin, pour la photo, il fait un peu trop humide... On se croirait plus en Bretagne que dans les Caraïbes. Mais l’essentiel se dévoile peu à peu sous nos yeux : Porto Rico !!
On vit nos dernières heures sur Shadococo. Les trois semaines de navigation défilent dans nos têtes. De superbes mouillages, des plongées incroyables, des couleurs extraordinaires, des îles très différentes les unes des autres, avec à chaque fois de nouvelles ambiances et de nouvelles cultures. Trois semaines à parcourir les Antilles à la voile, poussés par les alizés. C’était ma première expérience de « croisière ». Moi qui n’ai connu, avant la planche, la voile que par son aspect « régate ». Deux mondes très différents. D’un côté précision, réglage, timing, sérieux, compétition. De l’autre, aventure, liberté, détente. On passe du toujours plus vite, et surtout plus vite que l’autre, à un moyen de transport qui doit être avant tout, dans la mesure du possible, un plaisir. Beaucoup de choses ont été nouvelles pour moi. Ce séjour m’a permis d’enrichir mon expérience de la voile. Savoir repérer un mouillage, anticiper la longueur de chaîne et le courant pour jeter l’ancre. Tracer sa route, en sachant renoncer parfois aux objectifs établis la veille. Prendre son temps pour naviguer d’un point A à un point B. Toucher « l’univers des possibles », tu peux aller (presque) où tu veux, t’arrêter (re-presque) où tu veux. Comme sur un camping-car que tu conduirais sans te soucier des routes existantes… Et ça me plait ! Du coup, ça nous ouvre de nouvelles perspectives. Car Laetitia, qui a baigné dans cette ambiance toute sa jeunesse, était bien sûr partante, alors que de mon côté, j’étais extrêmement réticent. Je reconnais aujourd’hui que c’est encore une nouvelle aventure, de nouvelles expériences à vivre d’une grande richesse. Je me suis retrouvé plus d’une fois à la barre en train de me prendre pour un navigateur au long cours parti pour je ne sais quelle folle traversée, à laisser voguer mon esprit dans l’immensité en même temps que la coque filait sur l’océan. Alors on cogite… Pourquoi pas acheter un de ces quatre un bateau et partir six mois à deux, ou avec nos clones, si on se décide à en faire d’ici là… ?

1 commentaire:

  1. Ya moyen de s'incruster dans le projet cité en fin de récit ?... Car c'est tentant... Juste pour quelques jours, ça m'irait ! Je promets de laisser la place aux "clones" dès que besoin...
    Biz

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