dimanche 19 février 2012

Le cargo de Saint Nazaire à Pointe à Pitre

On a eu envie de refaire un gros trip avant même de rentrer d’Amérique du Sud. On ne connaissait pas la destination, mais les ingrédients indispensables étaient posés : des paysages spectaculaires, des vagues parfaites, et une température un peu plus « caliente» que ce qu’on a eu jusque-là.
La première étape est d’avoir le temps nécessaire. Une année c’est bien, mais une période aussi longue demande un gros budget. On opte donc pour le mi-temps annualisé. On partage l’année scolaire (et le salaire) en deux, cinq mois en classe, sept mois en trip : parfait ! Tout part de là. Il ne reste plus qu’à trouver deux instits qui acceptent de partager l’année avec nous.  De cela dépendra la période libérée, et donc la destination… Coup de chance, un couple du centre var a fait également sa demande ! Verdict : nous travaillerons jusqu’au 31 janvier puis après « hasta luego niños !! ».
Deuxième étape : la destination. Au départ, ça devait être Cap vert – Mongolie, de l’aventure et du wind. Puis, on s’est enflammé sur l’Indien : Madagascar, Maurice, Réunion, Mozambique… Mais nos dates ne correspondaient pas à la meilleure période. Alors pourquoi pas Equateur - Pérou - Trans Amazonie - Brésil. Oui, mais les meilleurs spots sont encore un peu frais… Bon ce sera Los Angeles-Panama, via toute l’Amérique centrale. Aïe ! Trop de pays peu safe sur la route. Bon, y a plus à tortiller, on veut des vagues, on veut de la chaleur, ce sera HawaÏ, avec un petit tour par les states ! Pas pour les américains, mais pour leur territoire et leurs paysages à couper le souffle. Mais alors on va tomber dans la fameuse saison des photos shoots et les spots risquent d’être blindés.
Tout ça tournait donc gentiment dans nos têtes quand on nous a, par hasard, parlé de Porto Rico, qu’on nous a vendu comme le Maui des Caraïbes (bien joué Pierrot ;). Porto Rico ? Attends, c’est où ça Porto Rico ? C’est pas de là que viennent tous les gangsters dans les films ricains ? Quoi ? Il fait 28° dans l’eau et en dehors de l’eau en plein hiver ? La meilleure saison est de décembre à avril ? Et y a de belles vagues ? Il faut vraiment regarder ça de plus près ! On sort la carte, on traque les vidéos et les stats sur internet… Pas mal ce Porto Rico, et puis tiens, à côté il y a les Iles Vierges… Un nom qui fait rêver... Et puis à coté… Et puis il y a un cargo qui pourrait nous poser en Gouadeloupe… Et voilà comment on se retrouve à faire un trip de plus de deux mois dans les Caraïbes, alors que l’on aurait dû se trouver dans les steppes mongoles. Mais tout y est : alizés, vagues, eau chaude et turquoise, plages de sable blanc et cocotiers, ok, on signe. Bon mais le vent souffle jusqu’en Avril, alors après ? Après… les parcs de l’ouest américain ? Yes ! Et pour finir ? Ben, si notre tour aux US nous fait passer chez Sam à San Diego, on est plus très loin de la Baja California, au Mexique, et de ses vagues parfaites…
Voilà l’idée, on verra comment ça se goupillera plus tard. Pour le moment, une seule certitude : le cargo pour la Gwada qui doit partir le 5 février de Saint Nazaire…

Jeudi 2 février 2012, J – 1

On est en pleine bourre. Il reste un milliard de trucs à faire alors que nous devons partir… demain ! Il faut donc que ce soir tout soit prêt. Les affaires pour le départ, bien sûr, mais celles-ci sont déjà bouclées depuis un moment. Non, ce qui doit être parfait c’est la maison. Et fermer une maison pour sept mois n’est pas comme tourner la clef de la porte d’un appartement. Mais bien entendu, ce ne serait pas drôle du tout sans les incontournables des départs : les imprévus, ces petites choses qui se présentent au dernier moment alors qu’elles avaient des mois pour arriver… comme la fuite de la chasse d’eau ou une odeur infernale de fosse qui refoule dans la maison… Grâce à elles, nous passons d’un départ cool et bien anticipé à une folie dans laquelle nous ne faisons plus que nous croiser. Mais on tient bon, on se met en mode départ stressé (on arrête de manger, boire, dormir…) car dans tous les cas nous devons être sur la route demain... Enfin si l’alerte orange de neige nous laisse passer. Mais dans cette folie, il faut laisser certains problèmes de côté… comme par exemple : « avec la neige tombée et prévue, est ce que la route va être dégagée ? Une fois sur le port, vont-ils accepter le chien (qui ne devrait faire que 6 kg et qui en fait 16 !) et le board bag (alors qu’il est bien écrit qu’ils ne prennent pas les bagages encombrants) ? ».

Vendredi 3 février

Vendredi matin, nous sommes presque prêts à partir. Le camion est chargé, bilan : nous qui voulions voyager léger, c’est raté ! Nous avons chacun un sac de voyage de 120 litres, blindé, d’environ 25 /30 kilos, pour les fringues, les pompes, les affaires de toilettes et une pharmacie d’urgence. Difficile de faire plus léger puisque nous devons nous équiper pour les différents climats que nous allons rencontrer au cours du trip. Le problème, c’est que Laeti tient à peine debout lorsqu’elle l’a sur le dos. Nous avons aussi un sac à dos pour le matos « technique » d’une quinzaine de kilos. Là aussi, difficile de faire light. Entre nos images perso et les parus et images pour Wind nous nous retrouvons avec deux appareils photo (compact et reflex), une cam, une Go Pro, les chargeurs de tout ça, un transfo pour convertir le 110 V des states en 220 de chez nous, un trépied, un ordi, un portable, un GPS. Nous avons aussi un deuxième sac à dos pour les papiers, les affaires de Nouky et les bouquins. Et enfin, le plus volumineux, le board-bag, qui doit faire ses 65 kilos. Afin de limiter le poids, on s’est fixé à une board chacun (67 L et 85 L, Tabou for ever), cinq voiles (3.3, 3.7, 4.2, 4.7, 5.3, Gaastra évidemment), quatre mats, deux wish, combis et harnais, pas mal d’ailerons, de straps et de bouts de rechange, et de quoi réparer les boards au cas où. Bien sûr, après avoir rempli et vidé un nombre incalculable de fois le bag pour essayer toutes les dispositions possibles, il faut se rendre à l’évidence, rentrer le matos de deux planchistes dans un bag triple n’est pas possible. On doit donc se résoudre à sangler ma board sur le dessus. Ça y est, tout est chargé, mais une chose est sure, windsurf trip et voyager léger ne riment définitivement pas !
Nous arrivons finalement à décoller vers 14 h avec, évidemment, un peu de retard sur le planning prévu, mais nous avons de la chance, la route est bonne. Les bas-côtés sont blancs jusqu’à Aix, puis à nouveau verts. En revanche, le mistral et la tramontane se sont levés et la température devient polaire. On s’arrête à une station faire une pause et l’onglet nous vient direct en sortant les mains des poches ! On se croirait sur les pistes d’Isola dans ses bonnes journées mythiques de janvier !
La nuit tombe petit à petit et il fait de plus en plus glacial. Depuis un moment, nous avalons les kilomètres en silence. Après des mois de préparation passés à 400 à l’heure, on se retrouve tout d’un coup de nuit, en plein hiver, sur la route, partant on ne sait où. Ce brusque changement de rythme nous déboussole. Ce n’est ni la route du ski, ni la période des vacances…! Alors où va-t-on ? En effet, dans la folie des préparatifs nous avons finalement eu peu de temps pour penser à notre voyage, à le rêver. Alors, tout nous parait si incertain, si compliqué tout à coup ! Pourquoi faire si difficile, quand il suffit de rester chez soi, près de la cheminée à mener une petite vie réglée…?
Mais il suffit de penser aux merveilles qui nous attendent pour nous rebooster : les Caraïbes, les parcs américains, les vagues de Baja… Ca y est, le petit coup de blues d’avant-départ est passé, nous avons retrouvé nos âmes d’aventuriers !
Il est maintenant 22 h, on a passé Bordeaux et Geneviève (notre GPS), nous indique un F1 à « Saintes » à une centaine de kilomètres. Ce sera parfait pour une petite nuit avant la dernière ligne droite. Mais Geneviève avait juste omis de nous dire que le F1, voisin d’une boite de nuit, était le rendez-vous de tous les jeunes de la région. Ils y louent une chambre pour l’apéro et… l’after, ce qui est très pratique pour eux, mais bruyant pour nous qui voulions un peu récupérer nos heures de sommeil…
On repart donc à 9 h avec pour objectif la gare de Saint Nazaire, où Christian et Marie-Jeanne (les parents de Laeti) doivent arriver par le train à midi. Ces derniers, en bon staff officiel de nos multiples aventures, nous ont fait la gentille (et très appréciée !) proposition de nous rejoindre en train à Saint Nazaire, pour nous accompagner au port et redescendre le trafic ! Sans eux, j’aurais dû prendre le bus avec le board bag (interdit dans le train) et Laeti le train avec Nouky (interdit dans le bus).
Au final, nous n’avons pas trop mal calculé notre coup puisqu’on se retrouve tous à la gare avec seulement dix minutes d’écart !
Annoncé pour le 5, puis pour le 4 au soir, le Fort Saint Louis (notre cargo) sera finalement à quai le dimanche matin et lèvera l’ancre le lundi 6 à l’aube. On a finalement du temps devant nous et on en profite pour aller se promener tous ensemble sur la plage de la Baule, histoire de se dégourdir les jambes et les pa-pattes. C’est une immense plage de sable comme on en trouve seulement sur la côte Atlantique ; des kilomètres de long et large comme un demi-stade de foot. On se prend un grand bol d’air en marchant sur le sable dur tassé par la marée descendante. Mais ceux qui profitent le plus sont Natou et Nouky, qui, en ce samedi, trouvent d’innombrables compagnons à aller renifler ou à courser. La plage est belle, mais la promenade est bordée de barres d’immeubles austères, dont 95 % des appartements sont fermés. Une vitrine dorée pour résidences secondaires à 10 000 € du m²… Vraiment dommage car, derrière ce rempart d’immeubles, on découvre une multitude de petites maisons typiques bretonnes aux toits d’ardoise, aux devantures travaillées, datant du 19ème et début du 20ème !
Le soir, dans la folle animation du centre-ville de Saint-Nazaire, nous tournons un long moment avant de trouver un resto ouvert et faisons finalement notre deuil des fruits de mer, crêpes bretonnes et Kouing amann devant une grosse choucroute ; mea culpa aux potes bretons !

Dimanche 5 février

A notre lever, nous voyons avec soulagement que la neige prévue n’est pas tombée, ouf ! Nous pourrons donc embarquer ! Direction le port de Montoir et le TMDC (Terminal des Marchandises Diverses (comme nous) et Containers). On distingue de loin les immenses grues blanches et rouges utilisées pour décharger les containers, mais pas signe de notre cargo… On commence à douter, je branche mon portable en espérant un message de l’agent de la CMA CGM lorsque nous le découvrons  amarré à côté de son jumeau le Fort Saint Pierre.
Le port est désert et il n’y a aucune activité. Nous garons le trafic à côté de la passerelle et allons voir, avec quelques inquiétudes, le marin posté sur la coursive. Il s’agit d’un roumain, Valentin, qui, malgré une mine plutôt austère, est en fait très sympa. Il nous demande où sont nos bagages. Aïe ! Nous appréhendons déjà sa réaction et imaginons même sa réponse : « Ou là là, je dois voir le commandant ! » Nous décidons donc, pour ne pas l’affoler, de procéder par étapes. Nous sortons d’abord les sacs à dos et nos énormes sacs de voyage. Pas de réaction ! Il nous les arrache même des mains pour les jeter à bord. Passés les sacs de voyage, je lui montre timidement le board bag avec un regard interrogateur du style « tu crois qu’on peut embarquer ce bordel ? », il me répond « pas de problème, pas de problème ! », YES, nous sommes sauvés ! On attrape donc le bag et on le transporte, non sans mal (il pèse son poids l’animal) sur la passerelle. On s’amuse avec notre nouveau pote roumain, prenons des photos si bien que le dernier élément à dévoiler, Nouky, ne sera qu’une formalité. Il se fait d’ailleurs déjà papouiller par les autres marins !
Ça y est, on est tous à bord et notre chargement a trouvé place dans un compartiment sur tribord où sont stockés des matelas tous neufs. C’est le « bosco », le chef des marins, qui s’en occupe, et qui, devant mon insistance pour caler le bag pour qu’il n’aille pas taper partout pendant la traversée me répond « avec le poids qu’il fait, s’il bouge on aura déjà perdu la moitié de nos containers ! ». Je n’insiste donc pas…
Il est déjà l’heure du déjeuner, et sachant par expérience que sur un cargo on ne rigole pas avec les horaires, nous nous apprêtons à aller rejoindre le mess. Christian a l’idée de demander s’ils peuvent rester manger contre monnaie, afin de ne pas se séparer tout de suite. Le second capitaine accepte gentiment (et gratuitement). Notre premier repas à bord est un petit festin, repas dominical oblige. Sur un cargo, on ne rigole pas non plus avec les traditions. Christian et Marie-Jeanne débarquent peu après avec regret, ils seraient volontiers restés avec nous pour la traversée. On se promet alors de remettre ça sur la ligne pour New York, affaire à suivre…
A bord, tout est au top : du marin au commandant, tout l’équipage est très sympa, on a pu tout embarquer avec nous et la cabine est… royale ! 18 m² (plus grand que l’appart d’Auron !) avec deux hublots (on apprend que l’on dit « sabord »…), un sur tribord, l’autre sur la proue, 2 lits simples, un bureau, un coin « salon » avec banquette et table, une salle d’eau avec WC. On se résume : charmant studio aménagé avec goût dans le style marin, climatisé, avec double exposition et vue panoramique sur l’océan, le top !
Le Fort Saint Louis, quant à lui, est un porte-containers de 200 mètres de long et 30 de large qui dessert uniquement les Antilles françaises. Il peut embarquer 2 200 containers, avance à une vitesse de croisière de 19 nœuds et consomme quelques 100 tonnes de fioul par jour. L’équipage est composé de 23 hommes et… 1 femme (second mécanicien). Les marins sont roumains et les officiers et sous-officiers français. Il y a aussi deux autres passagers : Olivier, de la région de Saint Nazaire, qui connait bien toutes les races de vaches, et Andreas, un allemand, qui connait mieux le vin français que nous.
La disposition du navire est totalement différente du Grande Amburgo (le cargo qui nous avait amenés en Amérique latine). L’espace de vie est concentré dans une tour située aux ¾ arrière du bateau, les containers étant disposés de part et d’autre sur deux niveaux (six étages en cale, six étages sur le pont). Le gros plus : une coursive qui fait tout le tour du navire avec un « spot » magique à la proue : un banc suspendu au-dessus de l’étrave du bateau (à la Titanic), et surtout carte blanche du commandant lui-même pour aller où l’on veut (excepté dans la salle des machines) !
 On profite de l’après-midi pour arpenter les quais dans ce décor toujours aussi fascinant fait de piles de containers, de grues démesurées et de machines de toutes sortes. Ça nous rappelle évidemment notre premier gros trip… il y a 6 ans déjà !
Après le diner, les quais s’animent tout à coup. Trois grues géantes se postent au-dessus du cargo et commencent leurs va et vient incessants. Sur le quai, les camions tournent en boucle pour amener ou emporter des centaines de containers. On observe ce spectacle surréaliste depuis le salon des passagers où des containers de 30 tonnes nous passent à 1 mètre des hublots à la vitesse d’un éclair. On va se coucher quelques heures, laissant les dockers finir leurs travaux, avant de se lever à 5 heures pour assister au départ. Les yeux embrumés, nous montons à la passerelle où le pilote est déjà aux commandes et le bateau quitte le quai. Nous passons tranquillement sous le pont de Saint Nazaire, qui tout à coup semble beaucoup moins haut, et nous engageons dans le chenal en direction du large. Le chemin balisé par les bouées (vertes à tribord et rouges à bâbord) semble s’étendre à l’infini et j’avoue que nous sommes allés rejoindre nos oreillers bien avant que le navire n’ait quitté ses guides lumineux…

Lundi 6 février : premier jour de navigation

On loupe, comme à notre habitude, le petit déjeuner car bien que les horaires soient plus souples que sur la Grimaldi, ce n’est pas non plus Flunch ou Mac Do. Le ptit déj est donc servi de 7 h à 8 h 30, le déjeuner à 12 h et le dîner à 19 h. On fait plus ample connaissance avec notre « hôtel » navigant et ses différents ponts : le pont A, au niveau le plus bas, avec la coursive qui fait le tour du navire et la salle de sport avec la table de ping-pong. Le pont B, avec la cuisine et les salles de restauration (mess des officiers et des passagers sur bâbord, mess des marins sur tribord). Suivent les ponts des cabines suivant la hiérarchie ; au C les marins, au D les lieutenants, au E les passagers, au F les officiers, et au plus haut, la passerelle.
La première journée se passe assez tranquillement… Epuisés par les préparatifs de ces dernières semaines et la route, on s’offre de très larges siestes… On se lève (ou plutôt on nous oblige à nous lever) pour une petite information « sécurité » concernant la procédure à suivre en cas d’abandon de navire. On pense tous au Costa Concordia, mais ici pour l’évacuation nous disposons sur chaque bord d’une chaloupe de 40 personnes et de 2 radeaux de survie de 20 personnes chacun. Tout cela pour 28 personnes, ça devrait suffire. On se passera bien volontiers de tester toutes ces installations mais j’ai quand même le privilège d’enfiler, pour la démo, une superbe combinaison de survie en néoprène orange au look très… spatial.
Les officiers sont vraiment accueillants et nous laissent aller à la passerelle pour observer ou poser des questions. On assiste ainsi à un lâcher de sonde suspendu à un ballon d’hélium d’un mètre cinquante de diamètre. Deux fois par jour, des sondes sont lancées pour permettre à Météo France d’avoir des données précises sur l’atmosphère en temps réel. Sur les 4 « Fort » à naviguer vers les Antilles, deux lancent des sondes aériennes, et deux des sondes marines.
A l’extérieur, la température est encore glaciale, alors nous passons l’essentiel de notre temps à l’intérieur. Mais avec un peu de lecture, de vélo et quelques parties de ping-pong, la journée file bon train. Laeti a même la chance de voir passer quelques dauphins pendant que j’étais en pleine discussion avec Morphée. Nouky, lui, semble un peu perturbé : il regarde la mer avec méfiance, sursaute à chaque bruit du bateau, et surtout refuse catégoriquement de faire ses besoins, et ce malgré nos nombreux encouragements… On espère que demain verra le soulagement de se vessie…

Mardi 7 février

Plus de 24 heures après avoir quitté le continent, nous passons au large de la Galice et les températures remontent ! Nous avons quitté une France glaciale et serons dans une semaine à 30 degrés sous les cocotiers. Alors tous les jours, chaque degré de gagné nous rapproche de la chaleur antillaise. Ce matin, il fait beau et le soleil brille. C’est le premier jour de notre court printemps ! Les conditions de navigation sont elles aussi agréables. Nous avons un vent de Nord d’une vingtaine de nœuds, avec une belle houle longue d’WNW de trois mètres d’une période d’environ dix à treize secondes. L’océan s’est paré de son bleu intense caractéristique du grand large. Malgré cette houle raisonnable de quart avant, le cargo bouge pas mal et l’horizon fait le yoyo.
Au détour d’un pont, on tombe sur le Bosco et deux hommes d’équipage en train de faire une épissure sur une amarre. Il nous explique en effet que les amarres ne sont sollicitées que d’un côté, l’autre extrémité restant sur le touret. Au bout d’un moment, l’amarre est donc complètement bouffée alors que l’autre côté est comme neuf. Il faut alors l’inverser et faire une épissure. On observe attentivement les marins défaire les brins pour les intégrer dans le cordage, un véritable savoir-faire ! On dit de ces hommes qu’ils savent goûter les plaisirs de la vie, ce sont de vrais… épissuriens… ok, je sors ;)
L’événement de la journée est sans conteste la libération de Nouky, qui s’est soulagé en une fois, noyant le pont. Après lui avoir longuement expliqué que le Guinness Book ne viendrait pas sur le navire, il s’est résolu à abandonner sa tentative de traversée de l’Atlantique sans escale et sans uriner… Ce chameau se sera quand même retenu quarante-huit heures alors on commençait à être sérieusement inquiets !

Mercredi 8 février

Déception totale en ce mercredi : le temps est couvert ! Où sont nos trente degrés ? En plus, la nuit a été agitée. Nous comprenons mieux pourquoi en nous levant. Le vent a basculé au sud avec des pointes à 25 nœuds, ce qui nous fait naviguer dans une mer croisée entre la houle d’ouest résiduelle et une mer du vent de sud. Ce n’est pourtant pas la tempête mais le cargo se fait chahuté comme une coque de noix (ou presque). Pourtant, d’après le commandant, il tient bien la mer jusqu’à 6/8 mètres de houle. Au-delà, il faut s’inquiéter et envisager de changer le cap. Heureusement qu’il n’y a pas de grosses dépressions sur notre passage…
Grâce au décalage horaire, propice dans ce sens de la traversée, nous gagnons une heure de sommeil chaque nuit. Ce qui fait que nous sommes réveillés assez tôt (incroyable !) pour tester le petit déjeuner. Là encore, pas de déception, avec toutes sortes de confitures, miel, nutella, céréales, jus de fruit (pur jus !), thé, café, chocolat, yaourts (natures, aux fruits), fromage frais… C’est ptit déj royal !
Les journées commencent à se caler tout doucement et nous retrouvons naturellement le rythme du cargo. Le matin est propice aux balades sur le pont et au « sport » : ping pong et vélo (d’appartement), il faut bien éliminer le ptit déj pour apprécier le déjeuner. L’après-midi  c’est plutôt  sieste, lecture et contemplation de l’océan. On retrouve notre activité principale du Grande Amburgo, chercher les baleines et les dauphins. A ce jour, nous avons déjà croisé deux bancs de dauphins et une famille de baleines. L’effet est toujours aussi magique.
Les températures restent encore modérées autour de 15 degrés. Nous avons sorti les lunettes de soleil mais pas encore les tongs. Mais nous devons passer tout près des Açores ce soir, alors on espère gagner quelques degrés demain…
La vie à bord suit son cours, routinière, réglée par l’heure des repas. Pourtant, elle n’est pas monotone. Les journées nous appartiennent complètement. En effet, alors qu’à la maison s’accorder une heure de temps relève du défi, le cargo nous offre le luxe inouï de n’avoir rien à faire, et encore mieux, rien à penser. Le fait même de n’avoir jamais aucune idée de l’heure qu’il est nous procure une grande liberté.

Jeudi 9 février : le déséquilibre comme art de vivre…

Le cargo est en perpétuel mouvement. Si nous, dans notre quotidien, nous faisons des « pauses » pour manger, dormir, penser… le bateau, lui, ne s’arrête jamais. Il roule, il tangue, il gîte, il bouge et vit. Très bien, qu’il s’exprime ! Le seul problème c’est que nous subissons, sans échappatoire, ses travers. Du coup, chaque geste, même anodin, devient un défi : un couloir de cargo n’est, par exemple, jamais plat. Il devient, en mer, un parcours du combattant semé de montées et de descentes. Au grès du navire la progression devient tout à coup difficile, le pas ralentit, alors que l’instant d’après tu accélères, comme projeté en avant. Une simple partie de ping-pong devient une expérience scientifique en quatre dimensions chapotée par la Nasa. J’ai en effet l’impression que la balle a des trajectoires impossibles et vois souvent Laetitia tour à tour au-dessus de moi puis au-dessous de moi. On est, de fait, en perpétuelle recherche d’équilibre.
On est aujourd’hui à mi-parcours. Cela veut dire que nous sommes au beau milieu de l’Atlantique Nord. Il suffit de jeter un œil sur la mappe monde affichée dans le salon des passagers pour réaliser que nous sommes au milieu de nulle part. On perd tout repaire spatio-temporel. L’immensité est saisissante. Notre regard porte jusqu’à l’infini sans être arrêté par quoique ce soit. Nous sommes seuls, nous et les quelques milliers de tonnes de tôle qui nous permettent de nous mouvoir sur cette immensité liquide. Immensité fascinante qui se pare de toutes les nuances de bleu, de gris et d’argent quand le soleil, ou la lune (pleine ces jours-ci !), jouent avec les nuages et projettent leurs reflets sur les flots. Chaque seconde est unique et semble suspendue dans le temps, mais à la fois extrêmement volatile tant le paysage change constamment. Une déferlante casse non loin du navire, la proue plonge dans le creux d’une vague, une lueur éclatante apparait au loin, une risée obscurcit la surface de l’eau, une série de houle plus grosse que les autres se détache de l’horizon, le souffle d’une baleine surgit sur bâbord… C’est un spectacle incroyable, nous sommes fascinés, contemplatifs, émerveillés, projetés hors du temps. Le temps se fige, on ne sait plus où nous sommes, où nous allons, d’où nous venons. Nous sommes là, l’esprit vide, l’esprit libre.

Samedi 11 février

Hier, nous avons eu droit à la visite des machines. Impressionnant. Assourdissant. Déroutant. Encore un monde à part… dans un monde déjà à part… L’atmosphère y est très particulière. Il y fait chaud, voire très chaud, malgré la clim qui tourne à fond. L’air est saturé de vapeurs de gazole et d’huile. Tout est en mouvement, en tremblement, en gémissement. Pour les profanes que nous sommes, il s’agit d’un milieu hostile, effrayant. On a littéralement l’impression que tout va nous « péter » à la gueule. Les mouvements du bateau sont atténués (on est en dessous de la ligne de flottaison) mais la multitude de machines, tuyaux en tout genre, vannes, conduites, escaliers, donnent le tournis.
On y apprend des choses inattendues. Par exemple, ils n’utilisent pas un, mais trois types de carburant. Le gazole « traditionnel », prêt à l’emploi, mais qui ne sert qu’en cas d’urgence. Il est conservé bien au chaud car il coûte très cher. Ils utilisent donc deux autres carburants plus « bruts », moins chers à l’achat, mais qu’ils doivent « travailler ». Comme dans une raffinerie, ils chauffent, décantent et centrifugent le carburant pour séparer le gazole « consommable » de l’eau et des déchets ! Ces derniers, les « boues », sont stockées, puis évacuées à terre, voire recyclées par les chinois, moins préoccupés par l’environnement. Ces deux types de carburant « brut » sont utilisés en fonction des zones de navigation et des normes environnementales. A 50 miles des côtes françaises (métropolitaines) ils ne peuvent pas utiliser le plus polluant des deux, alors qu’ailleurs, et même aux Antilles, ce n’est plus un problème… Là encore les préoccupations écologistes sont toutes relatives… Alors qu’on nous demande de moins utiliser nos voitures, un cargo peut sans problème consommer un carburant hyper polluant, du moment qu’on est à plus de 50 miles des côtes, bien sûr… Enfin, tout est donc calculé pour réduire au maximum le poste carburant. Et quand on sait que le navire consomme environ 100 tonnes par jour, soit un aller-retour aux environs de 500 000 €, on comprend mieux cette préoccupation ! Puisqu’on est dans les chiffres, un petit dernier ; pour ce même trajet ils utilisent 5 000 litres d’huile…
Dans les machines sont aussi gérés les groupes électrogènes, qui fonctionnent aux mêmes trois carburants que le moteur, et qui alimentent le navire, mais aussi les containers réfrigérés. L’eau est également contrôlée ici. L’eau douce comme l’eau salée servent aux besoins domestiques, mais surtout pour le moteur. Une partie pour le refroidir (les échappements sont à plus de 400°C !), mais aussi pour maintenir les chambres des pistons à température, surtout quand celui-ci est en mode ralenti, au port par exemple… Bref, encore un univers surprenant, et que l’on ne peut imaginer sans y avoir été invité…
Plus anecdotique, mais pas moins important dans la catégorie impact sur l’environnement : les ballasts. Les ballasts sont des compartiments que l’on remplit d’eau afin de stabiliser le navire. De puissants logiciels calculent, en fonction des caractéristiques du bateau et du chargement, les ballasts à remplir pour assurer une déformation correcte de la structure et permettre au navire de rouler de manière appropriée. On le sait moins, mais les ballasts servent à faire rouler le cargo de manière intentionnelle ! Pas trop rapide, pour la coque et l’équipage, pas trop lent, pour ne pas prendre trop de gîte. Mais ce que l’on ne pense pas, c’est que les ballasts sont remplis à un endroit donné, avec l’eau de mer de cet endroit. Or, si on les vide ailleurs, on risque une contamination écologique. Par exemple, en important des algues ou des espèces étrangères qui peuvent nuire à l’environnement dans lequel on les déverse (ça vous rappelle quelque chose ?). Certains pays sont donc vigilants à ces « lâchers » alors que d’autres n’imposent aucunes contraintes, comptant sur le bons sens civique des marins…
Voilà pour la parenthèse technique, revenons à notre quotidien à bord. Nous allons chaque jour nous promener le long des coursives pour arriver au « spot ». Cet endroit, le meilleur du navire, est situé à la proue. Il s’agit d’une plate-forme surplombant l’extrémité avant du cargo où est installé un petit banc rudimentaire. Il n’y a aucun bruit et on se croirait en train de voler au-dessus de l’eau. On a donc l’impression, comme Leonardo Di Caprio avant son naufrage, d’être les « rois du monde ». On peut y passer des heures à contempler l’océan et l’étrave qui fend les vagues en faisant fuir les poissons volants qui veulent échapper à cette étrange et impressionnante masse. Ici encore plus qu’ailleurs, on se sent privilégié, en communion avec cet univers iodé.
Aujourd’hui est particulièrement agréable car les températures sont (enfin) supérieures à 20 degrés (25 au plus chaud de la journée !). On se met donc pieds nus, on remonte le pantalon, on enlève le polaire et on laisse le soleil caresser notre peau encore toute blanche.

Lundi 13 février : Terre en vue !!

Ce matin, après 8 jours de mer et plus de 6 000 kilomètres parcourus, les premières îles apparaissent timidement à l’horizon. On aperçoit en premier la Désirade, située à l’est de la Guadeloupe. D’abord un point sur la ligne de séparation des deux immensités bleues, l’océan et le ciel, elle grossit tranquillement en sortant peu à peu de la brume matinale. Suivent Marie Galante et même la Dominique qui, bien que plus au sud, est déjà visible car plus élevée. On découvre également la Guadeloupe qui nous offre la pointe des châteaux comme premier panorama.
Pour mieux profiter du spectacle nous troquons le traditionnel repas attablé du mess pour un pique-nique que Laetitia est allée négocier au cuisto. Elle nous ramène une assiette de fromage pantagruélique, consciente que ce sera la dernière avant plusieurs mois. Du camembert au reblochon, il ne nous manque plus que la bouteille de rouge. Nous allons savourer ce gueuleton sur notre banc favori en regardant tranquillement la côte approcher. De là nous avons une vue spectaculaire sur toutes les îles qui défilent une à une. Nous vivons, encore une fois grâce au cargo, un moment magique, une manière unique de voyager qu’aucun prospectus touristique ne peut offrir. En longeant Marie Galante, on découvre une côte où alternent falaises et plages blanches, alors qu’apparaissent plus à l’ouest les Saintes au relief découpé. On passe à côté de Petite Terre, deux îlets séparés par un banc de sable paradisiaque. Et pour couronner notre arrivée, nous avons droit à une haie d’honneur. Sur tribord, nous sommes intrigués par une tâche blanche. Un haut-fond ? Un remous mystérieux ? A peine le temps d’échafauder des hypothèses qu’une baleine sort de l’eau pour retomber bruyamment, puis une deuxième et une troisième fois, pour finir quelques brasses plus loin par un énorme saut projetant une gigantesque gerbe d’eau ! Moment féérique, limite surréaliste, que nous interprétons volontiers comme un signe de bienvenue, bien sûr, mais aussi comme annonciateur d’un séjour magnifique !
Tout juste remis de nos émotions nous regagnons la passerelle car le pilote est monté à bord. Le cargo commence à s’engager dans le chenal de Pointe à Pitre. On découvre alors une végétation luxuriante, des plages immaculées bordées de cocotiers, des eaux turquoises, le tout baigné par un ciel bleu lumineux et un soleil réglé à thermostat 29°C. On peut le dire « on est aux Antilles !! ».
Le pilote connait bien ses abords et manœuvre le cargo comme un zodiac entre les nombreux hauts fonds du « petit cul de sac marin » (c’est le vrai nom !). Il faut dire qu’il faut être précis puisque les fonds varient de 0 à 13 m, alors que le Fort Saint Louis a 11 mètres de tirant d’eau ! On est très vite amarré. On réalise tout à coup avec l’arrêt des mouvements du navire que le voyage, en tout cas sa première partie, s’achève. On a, comme pour notre première arrivée à Buenos Aires, un sentiment très contradictoire. L’excitation de la nouvelle aventure qui commence, et en même temps, la nostalgie de quitter le bateau, ce cocon en dehors du temps, et auquel on s’était attaché. Le premier acte du trip touche à sa fin, car beaucoup plus qu’un simple trajet, c’est un véritable voyage dans le voyage qui se termine. Une belle transatlantique qui nous aura permis de nous détacher, en douceur, de notre quotidien du travail, pour prendre peu à peu conscience de l’aventure que l’on s’apprête à vivre.

6 commentaires:

  1. Excellent !!
    Allez zou, bonne continuation, bises à vous trois.

    G le Breton

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  2. Quelle prose ! Vous n'avez rien perdu en 6 ans... Ah la magie des mots.. Vous devriez être profs pour transmettre cette passion des mots...
    Bravo en tous cas, ça y est, vous commencez à nous dégouter...!;)

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  3. Rhôôlalaaa......Ma petite lecture quotidienne depuis une semaine (ben oui, il faut bien ça) qui m'a permis à moi aussi ces petits moments hors du temps où l'esprit s'évade pour vous rejoindre le temps d'un article!!!
    Vous pourriez effectivement être prof de lettres...ou commerciaux, parce que là ta traversée (que tu nous avais déjà vendue lors du précédent trip), j'te l'achète tout de suite!!!! L'art de rendre un cargo et ses tonnes de tôles, romantique et féerique, c'est très fort... Quant aux baleines et aux dauphins, ils me manquent terriblement, alors profitez pour nous!!
    MilBiz et un grand sourire de la part de Loïs, qui nous fait craquer un peu plus chaque jour avec toutes ses petites mimiques

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  4. Bien agréable cette lecture!
    Vivement la suite.
    Je me demande combien doit coûter une telle traversée?

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  5. Chacha-Czech rep.11 mars 2012 à 11:13

    Hello travelers! I do not know French, but from photos I understand that you enjoy in paradise. I have a surprise, in May I will be father :-)
    Many greetings from the Czech Republic, Chacha, Katja, Rozárka and... . Hopefully see you again someday in Moulay:-)

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  6. Isa, Cissou, Mattéa6 avril 2012 à 21:45

    Je découvre le blog aujourd'hui...! Et je me suis jetée dessus comme les sauterelles sur le Mali, la sauce sur les raviolis préparés par la mamma, le retraité sur son trimestre à la Poste... Je me régale comme d'hab! Des bisous à vous 2 et une papouille à Nouky

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